Deux ans après avoir adopté la qualité d’entreprise à mission, la société de gestion Phitrust, pionnière de l’investissement à impact, a récemment choisi de modifier ses statuts dans le but de mieux associer ses salariés à la gouvernance et au partage de la valeur. Un double objectif que lui permet d’atteindre la société anonyme de participation ouvrière (Sapo), un dispositif plus que centenaire mais largement méconnu.
Un pionnier dans son domaine qui, un peu plus de vingt ans après sa création, ne cesse d’innover. En2003, Olivier de Guerre et Denis Branche donnaient naissance à Phitrust, une société de gestion dont l’ambition consistait, déjà à l’époque, à inciter les dirigeants des grandes entreprises cotées à accélérer la transition de leur modèle d’affaires. Trois ans plus tard, celle-ci créait une fondation dédiée à l’entrepreneuriat social, avant de lancer le premier fonds d’investissement pour accompagner le développement d’entreprises non cotées à impact social. En 2011, elle participait aux côtés d’ONG au dépôt de la première résolution environnementale en France lors de l’assemblée générale de TotalEnergies. S’étant rapidement imposée comme une référence de la finance à impact en France, avec notamment près d’une cinquantaine d’entreprises sociales financées et accompagnées et autant de résolutions déposées en AG en l’espace de deux décennies, Phitrust a aussi su se distinguer sur le front de la gouvernance.
Deux types d’action
En juin 2021, la société de gestion, parfois qualifiée d’actionnaire activiste, a non seulement inscrit dans ses statuts une raison d’être (voir encadré), mais elle est aussi devenue à cette occasion l’un des tout premiers acteurs du secteur de la gestion d’actifs à adopter la qualité d’entreprise à mission. Ce n’est pas tout. Deux ans après cette annonce, Phitrust a en effet décidé d’aller encore plus loin dans son engagement ESG, en particulier sur le volet « G », en transformant ses statuts juridiques. « Cette démarche répondait à un double objectif, à savoir faire participer les salariés à la gouvernance de la société d’une part, et mieux les associer au partage de la valeur créée d’autre part », témoigne Olivier de Guerre, son président-directeur général. Pour ce faire, Phitrust, jusqu’alors société anonyme (SA), a jeté son dévolu sur une forme aussi originale que méconnue : la société anonyme à participation ouvrière, ou Sapo. « C’est en discutant avec Pierre Valentin, un ancien dirigeant du groupe Crédit Coopératif qui venait de lancer l’Association de Promotion des Sapo, que j’ai véritablement pris connaissance de ce statut », poursuit Olivier de Guerre.
Modestement remise au goût du jour par la loi Pacte de 2019, la Sapo est pourtant apparue… un siècle plus tôt ! C’est en effet la loi Briand du 26 avril 1917 qui l’a instituée, avec justement la volonté de proposer un dispositif offrant à la fois aux salariés une meilleure représentation dans les organes délibérants de la SA et une participation aux bénéfices. Malgré son ancienneté, rares sont les entreprises qui l’ont depuis expérimentée (Union de transports aériens avant son absorption par Air France, Ambiance Bois…). Un échec qui ne s’explique en aucun cas par son mode de fonctionnement, particulièrement simple. Définie dans le code de commerce entre ses articles L225-258 et L225-270, la société anonyme à participation ouvrière comprend deux types d’action. D’un côté, on trouve les actions dites de capital, qui correspondent aux apports effectués par les associés. D’un autre côté, on retrouve les actions dites de travail, qui sont quant à elles la propriété exclusive et collective des salariés regroupés en une entité, dénommée « société́ coopérative de main-d’œuvre » (SCMO).
Un outil de fidélisation
N’étant pas la contrepartie d’un apport, ces actions de travail confèrent plusieurs droits aux salariés. « Elles leur permettent déjà, à travers la SCMO, de disposer d’un représentant au sein du conseil d’administration, explique Olivier de Guerre. À ce titre, ces derniers ont voix au chapitre en ce qui concerne la stratégie de l’entreprise et ses projets de développement ». Certes, la nomination d’un représentant des salariés aurait été possible sans l’adoption du statut de Sapo. « Toutefois, la présence de celui-ci au conseil d’administration aurait tenu à une décision des actionnaires et administrateurs, qui pourraient facilement revenir dessus ultérieurement. Dans le cas de la Sapo, cette présence est inscrite dans les statuts, inscrivant de ce fait dans le long terme l’association des salariés à la gouvernance de l’entreprise », insiste le dirigeant.
20 % du capital
L’autre atout des actions de travail réside dans le fait qu’elles permettent aux intéressés de voter lors des assemblées générales et de percevoir une fraction des dividendes versés, cette fraction correspondant aux titres détenus par la SCMO. « La SCMO délibère d’ailleurs, au niveau du conseil, sur les modalités de versement des dividendes. L’an dernier, il a été décidé que la distribution se ferait de façon égalitaire, l’ensemble des actionnaires recevant ainsi le même montant », signale Olivier de Guerre. Pour pouvoir prétendre aux actions de travail, Phitrust et sa SCMO ont défini deux conditions. Déjà, une durée de présence dans l’entreprise d’au moins un an est nécessaire. Ensuite, il faut rester dans l’entreprise pour continuer d’en avoir la jouissance.
Aujourd’hui, la vingtaine de salariés de Phitrust possède 10 % d’actions de travail. « À cela s’ajoutent 10 % d’actions gratuites, soit 20 % du capital au total », précise Olivier de Guerre, dont l’intention est de faire croître cette part dans les prochaines années. Et l’investisseur de lancer un appel.
« Je m’étonne que la Sapo ne soit jamais évoquée durant les discussions sur le partage de la valeur au sein des entreprises. Pouvoir associer ainsi ses salariés à la gouvernance constitue une chance immense ». À bons entendeurs…