Troisième marque de cosmétique vendue en pharmacie et parapharmacie après La Roche-Posay et Avène, SVR a installé sa notoriété de laboratoire engagé dans la « clean beauty », à la pointe de la recherche pour protéger les peaux les plus sensibles et à l’avant-garde de la lutte contre les perturbateurs endocriniens qui colonisent nos salles de bains. Mais l’histoire de la marque n’est pas sans aspérité. Reprise à la barre du tribunal en 2014, elle n’a renoué avec la rentabilité qu’en 2020, grâce à la restructuration profonde menée par le fonds d’investissement HLD et l’entrepreneur Didier Tabary. Déjà alliés dans l’actionnariat du spécialiste des soins anti-âge Filorga -revendu en 2019 à Colgate Palmolive-, le duo a revitalisé la croissance de SVR avant que le financier ne se retire en 2024 au profit du family office de l’entrepreneur breton, Kresk Développement.
Une crise de croissance en 2012
Affichant désormais une santé éclatante, le laboratoire table sur
250 M€ de chiffre d’affaires cette année, soit plus de six fois ses revenus de 2014. « La bascule s’est concrétisée en 2019, confirmée en 2020 malgré la crise sanitaire et un trend à plus de 30 % maintenu depuis », retrace Benoit Beyls, aux manettes opérationnelles de ce retournement depuis 2014.
Le directeur général de SVR, ancien
de L’Oréal, chapeaute aujourd’hui le pôle cosmétique de Kresk, qui comprend également la marque
de soin capillaire Lazartigue, la griffe d’hygiène corporelle Musc Intime et le spécialiste de compléments alimentaires Novoma. Appelé au chevet de SVR alors qu’elle croulait sous le poids d’une dette de 40 M€, et accusait une perte de 6 M, le dirigeant a dû activer tous les leviers pour sauver l’une des plus vieilles marques de dermocosmétique françaises. Sa création remonte à 1962 par un couple de pharmaciens, Simone et Robert Véret, qui ont voulu soigner les peaux sensibles et apaiser les brûlures des bronzeurs imprudents des plages de la Baie de Somme où ils étaient établis, à Ault, dans un petit village en bord de mer. Progressivement, la marque se construit une notoriété au-delà de son fief régional. Appréciés par les dermatologues et médecins prescripteurs, ses produits se distinguent par leur forte concentration en principes actifs (urée, vitamine C…) et des formulations particulièrement adaptées aux peaux sensibles. Mais le déploiement en pharmacie à grande échelle demande des moyens qui font défaut à la PME familiale, en concurrence avec les géants de la cosmétique L’Oréal (La Roche Posay et Vichy), Pierre Fabre (Avène, A-Derma et Ducray), Puig (Uriage) ou l’ETI familiale Naos (Bioderma). La transmission au fils des fondateurs, Cyril Véret, au début des années 2010, signera l’accélération des ambitions de la marque mais creusera le gouffre financier qui a failli l’engloutir. En 2011, SVR dégageait un chiffre d’affaires de 40 M€, avec une croissance annuelle de 15 %, pour un Ebitda de 3,6 M. Son nouveau dirigeant, pressé et quelque peu téméraire, veut accélérer la cadence et franchir le cap des 100 M€ en 2015. Il investit plus de 10 M€ pour accroître les capacités de son site de l’Essonne et moderniser ses centres de R&D,
tout en recrutant une centaine
de salariés, portant les effectifs
à 350 employés. Mais le déploiement commercial ne suit pas. Compte tenu de la forte concurrence dans ce domaine, seules quelque 1.500 pharmacies réservent une place visible aux produits SVR et le marché de la dermocosmétique accuse un déclin de près de 7 % en 2011. La PME familiale, à court de cash, se retrouve en sauvegarde au tribunal de commerce d’Ivry en décembre 2012. Si de grands industriels comme Pierre Fabre et L’Oréal se sont intéressés au dossier, c’est finalement le binôme constitué par HLD et Didier Tabary qui a convaincu le tribunal et s’est octroyé 80 % du capital au côté de la famille Véret, détentrice alors de 20 % de l’entreprise.
Synergies avec Filorga
Propriétaires du laboratoire Filorga dont la distribution en pharmacie a dopé les ventes, les repreneurs misent sur les synergies entre les deux marques. « D’une part, Filorga comptait faire fabriquer une grande partie de sa production sous-traitée dans l’usine en surcapacité de SVR et d’autre part, SVR devait bénéficier de la mutualisation des forces commerciales de la marque de soins anti-âges », explique Benoit Beyls. Les deux laboratoires pouvaient ainsi profiter d’une parfaite complémentarité sans risque de cannibalisation puisqu’ils ne sont pas positionnés sur la même gamme de prix, SVR étant bien plus accessible que sa consœur haut de gamme, ni les mêmes usages produits. Ce plan s’est articulé en parallèle à un relifting de SVR dont le packaging vieillissant n’était plus dans l’air du temps. « Nous avons à la fois conservé l’ADN de la marque avec des principes actifs très concentrés et une formulation très stricte en matière d’allergènes, tout en travaillant sa désirabilité avec des textures agréables et des packagings plus glamour », détaille le directeur général de Kresk Cosmétique. « L’efficacité et le plaisir ne sont pas antinomiques », sourit le dirigeant, qui a donc planché pendant trois ans sur la nouvelle mouture de la marque, maintenant le chiffre d’affaires à un étiage d’une quarantaine de millions d’euros et un équilibre financier sur le fil du rasoir. Car en attendant la montée en puissance du référencement en pharmacie, l’entreprise continuait à brûler du cash pour parfaire sa mutation. « Il faut compter six à sept rendez-vous pour être référencé dans une pharmacie, ce qui représente un investissement colossal d’environ 100 000 € en force commerciale », précise le directeur général de SVR, qui emploie plus d’une cinquantaine de représentants. En parallèle, le laboratoire poursuit son engagement en R&D pour l’innocuité de ses produits destinés aux peaux sensibles, de l’enfant souffrant d’eczéma aux peaux matures devenues intolérantes en passant par sa gamme de protection solaire. Il fait ainsi partie des premiers à s’être engagé dans la lutte contre les perturbateurs endocriniens en délestant ses formulations de composants suspects. « Ce travail nous a rapproché du consommateur final avec lequel on a réussi à établir un lien direct grâce à notre plateforme digitale refondue en 2018 », retrace Benoit Beyls.
Les moyens de la conquête
Quatre ans après sa reprise à la barre, SVR est enfin prête à s’émanciper de Filorga et à voler de ses propres ailes grâce au doublement de son taux de couverture en officines. Ça tombe bien car HLD et Didier Tabary s’apprêtent à vendre le spécialiste des soins anti-âges convoité par Colgate-Palmolive pour une valorisation stratosphérique d’1,5 md€ en 2019. Un jackpot qui permettra à l’entrepreneur breton de créer son family office avec un pôle dédié à la cosmétique, Kresk Développement, où il logera l’intégralité des parts de SVR rachetées en 2024. La marque de dermocosmétique devient ainsi le navire amiral d’une activité que l’homme d’affaires n’a de cesse de compléter en y greffant des marques émergentes dont il a flairé le potentiel de développement multicanal. Sans délaisser pour autant ses ambitions pour SVR, qui recèle encore un fort potentiel à la fois en France et à l’étranger, pesant la moitié de son chiffre d’affaires actuel. « Nous sommes présents dans 5000 pharmacies sur les 25 000 officines de l’Hexagone et même si nous nous sommes hissés à la troisième marche du podium en France, le différentiel de part de marché reste important avec les deux leaders », pointe Benoit Beyls. En effet, L’Oréal a dépassé les deux milliards d’euros de revenus avec ses deux marques dermocosmétiques La Roche-Posay et Vichy, tandis que Pierre Fabre talonne le géant cosmétique avec Avène, qui a dépassé le milliard d’euros de chiffre d’affaires à elle seule. De quoi laisser de la marge de progrès pour le vaillant petit poucet SVR, qui espère tripler son chiffre d’affaires dans cinq ans, et remonter dans le classement des pays européens où il est encore à la 15e place en Italie et la 25e en Espagne.