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Les clés d’une négociation internationale réussie

Présent dans 134 pays à travers diverses usines commerciales, usines et centres de conception, le groupe Renault a, depuis ses débuts, manifesté sa volonté d’internationalisation. Un positionnement qui implique un savoir-faire exigeant en termes de négociation et de savoir-faire. Quitterie de Pelleport, Chief Legal Officer de Renault Group, et Armand Grumberg, associé de Skadden Arps, head of european M&A, livrent les principales clés pour préparer et réussir une négociation internationale.

Le retour du protectionnisme dans les relations internationales, depuis trois ans, a-t-il eu des conséquences sur la façon de négocier des deals de fusions-acquisitions ?

Armand Grumberg : Le retour du protectionnisme a profondément impacté les pratiques M&A. Il a conduit à l’adoption par les États de législations visant à réguler ou à renforcer davantage les investissements étrangers, pour protéger certains domaines clés, avec pour conséquence de compliquer les négociations et les réalisations des opérations transfrontalières. D’abord, les parties ne sont plus maîtres du sort final de l’opération et doivent ajouter dans les contrats des conditions suspensives pour se prémunir de l’issue des autorisations en matière d’investissements étrangers. En réalité, l’autorité compétente pour approuver la transaction trouve une place dans les négociations et en devient en quelque sorte la troisième partie. En effet, dans certaines opérations internationales, il convient d’obtenir l’autorisation préalable de l’autorité compétente étrangère ou, à tout le moins, l’approbation officieuse.

Quitterie de Pelleport : L’État français, en tant qu’actionnaire de Renault, a bien sûr une influence sur les transactions stratégiques du groupe. Mais la présence, visible ou invisible, d’autres États ou autorités compétentes, du côté des entreprises privées avec lesquelles nous sommes amenés à négocier est, dans certains cas, palpable. Je pense par exemple aux dernières opérations menées par Renault, que ce soit en Russie ou au Japon. Dans d’autres opérations plus classiques menées à l’étranger cette pression étatique est souvent moindre.

Armand Grumberg : La réglementation du contrôle des investissements étrangers est d’ailleurs généralement limitée à certains secteurs, certains États ne les définissant toutefois pas précisément. En France, ils sont prédéfinis même si le ministère des Finances a pu faire preuve d’une interprétation assez large des textes, notamment dans le deal Carrefour/Couche-Tard. Certaines opérations transnationales ne peuvent se nouer sans les accords, explicites ou non, des États ou autorités concernés. Il convient de tenir compte de ce paramètre dès la structuration de l’opération. Parfois, il est nécessaire d’informer l’autorité compétente bien en amont, avec un risque de fuite réel. Dans d’autres cas, il est préférable d’attendre la dernière minute.

Quitterie de Pelleport : Cette stratégie vis-à-vis des États étrangers potentiellement impliqués doit effectivement être anticipée dès le début de la transaction en fonction des circonstances, des enjeux, des États concernés, des sujets de confidentialité, etc. Tout dépend également de la relation de l’entreprise avec l’État ou l’autorité concerné. Dans certains pays dans lesquels Renault est implanté depuis de nombreuses années et représente un poids économique important en tant qu’employeur, nous tenons au courant les services officiels, en amont, de nos projets locaux pour qu’ils accompagnent nos investissements car leur influence est, sur place, déterminante. Dans d’autres pays, ou sur des sujets moins stratégiques, l’intervention étatique est généralement moins critique pour le succès d’un projet.

Armand Grumberg : En résumé, tout dépend de l’État, de l’industrie ou du domaine concerné, et des parties prenantes. Imaginons, par exemple, qu’un groupe chinois ou d’autres États hors Union européenne veuille prendre une participation significative dans Airbus, il faudrait anticiper que le projet sera probablement scruté de très près par les autorités.

Avez-vous vu apparaître de nouvelles clauses dans les contrats internationaux ?

Quitterie de Pelleport : Le sujet des sanctions internationales est désormais prégnant dans certaines négociations. Lors de la création d’une co-entreprise avec un groupe étranger potentiellement concerné par un contexte géopolitique mouvant, il convient toujours d’imaginer le scénario du pire dans lequel le partenaire ou l’entité concernée se trouve un jour visé par une sanction internationale et que in fine, nous soyons contraints de dissoudre l’opération. C’est un véritable casse-tête qu’il est parfois désormais impératif d’anticiper dans le contrat de constitution d’une joint-venture ou d’acquisition.

Armand Grumberg : Cet accroissement du réglementaire – en vertu de normes locales ou de dispositifs de sanctions imposés par les États-Unis ou l’Union européenne notamment, avec des effets extra-territoriaux – impose de faire preuve d’une encore plus grande vigilance dans la rédaction des clauses depuis deux ou trois ans.

Quitterie de Pelleport : Même si l’on essaie dans un contrat de prévoir l’ensemble des hypothèses, je pense par exemple au cas d’expropriation, reste encore à savoir comment exécuter ces clauses. Comment obtenir le paiement d’une indemnité d’expropriation dans le pays concerné, qui par hypothèse est alors un pays « sensible » du point de vue géopolitique (comme la Russie par exemple) ? La mise en œuvre de ces clauses reste donc, in fine, très théorique.

Les différences culturelles sont un autre élément à prendre en compte dans les négociations internationales. Avez-vous constaté des évolutions récentes ?

Quitterie de Pelleport : Je n’ai pas constaté de véritables changements récents. Les différences culturelles sont toujours aussi importantes suivant les continents et les pays concernés. J’ai habité quelques années en Asie et ai négocié à de nombreuses reprises avec des Chinois et fait le constat de plusieurs difficultés. D’abord, la barrière de la langue. Dans certains pays où l’anglais – a fortiori sur des sujets parfois techniques – n’est pas maîtrisé par le plus grand nombre, la partie adverse doit être accompagnée par un traducteur, ce qui a tendance à généralement briser la dynamique de négociation. En outre, de nombreux éléments et les nuances sont perdus à l’occasion de la traduction. Le jeu de la négociation consiste d’abord à écouter l’autre, ses contraintes, ses impératifs, ses objectifs, et son body language. Or, tous ces codes et signaux sont brouillés quand on ne partage pas une langue. Dans une négociation internationale, il faut idéalement passer du temps avec l’autre partie pour apprendre à la connaître avant d’entamer la négociation de façon concrète.

Armand Grumberg : La préparation est absolument essentielle. On ne négocie pas avec un Américain comme on négocie avec un Chinois, un Japonais, ou un Allemand. D’ailleurs l’appréhension du contrat n’est pas la même. La clé consiste à rédiger un contrat intelligible pour tous, qui sera le compromis des différentes juridictions impliquées.

Quitterie de Pelleport : Le contrat final varie bien souvent en fonction du niveau de sophistication des interlocuteurs. Il convient parfois de développer certaines clauses de manière exagérément détaillée pour satisfaire à une inquiétude de la partie d’en face, liée à une différence culturelle ou de maturité. On s’attend toujours à avoir des experts du droit en face de nous, mais ce n’est pas toujours le cas. On s’adapte, on fait de la pédagogie, on simplifie et on rassure.

Qu’en est-il de la nationalité du droit applicable au contrat ?

Armand Grumberg : Il est de plus en plus difficile d’imposer « son » droit national dans un contrat international. On voit de plus en plus apparaître de droits et clauses de juridiction réputés « neutres ». La neutralité est toutefois un élément pouvant être très relatif et davantage subjectif qu’objectif. L’intérêt d’un droit civil continental, tel le droit français mais il y en a plusieurs autres, peut-être, par exemple, d’offrir des standards d’exécution en termes de bonne foi et de loyauté qui peuvent être intéressants pour l’ensemble des parties, surtout lorsque les contrats s’exécutent sur une longue durée, obligations qui s’appliqueront évidemment aussi à la partie française au contrat.

Quitterie de Pelleport : Étonnamment, le sujet du droit applicable demeure souvent un des éléments que l’on négocie en dernier, alors qu’il est essentiel dans la construction du contrat. Chaque partie sait, dès le début, quel droit sera choisi mais on négocie encore souvent tout le reste du contrat avant de choisir le droit applicable.

Armand Grumberg : Le contrat se négocie en conséquence, c’est-à-dire que l’ensemble des clauses sont rédigées pour qu’elles fonctionnent devant les juridictions A ou B. C’est une stratégie à mener dès le début des négociations. Ceci amène à devoir être particulièrement précis dans la rédaction des clauses contractuelles, car ce sont elles qui – au premier chef – lieront les parties.

Quelle place pour le board pendant les négociations ?

Quitterie de Pelleport : Ce n’est pas le rôle du conseil d’administration d’entrer dans les détails de la négociation ou d’y participer activement. Il donne un mandat clair aux équipes de négociation, qui l’informent des progrès de la transaction au fur et à mesure. Dans mon expérience, il est important d’avoir une équipe de négociation resserrée, qui doit avoir un mandat clair du conseil d’administration et du CEO, car la rapidité d’exécution, l’alignement, la fluidité et l’agilité des interactions sont déterminants pour mener à bien des opérations complexes.

Armand Grumberg : L’avocat peut intervenir, avec le directeur juridique, pour présenter l’opération et le détail des négociations au conseil d’administration, ainsi que pour répondre aux questions sophistiquées des administrateurs. Dans certaines opérations stratégiques, le conseil d’administration est entouré d’un conseil financier et d’un conseil juridique additionnels pour les guider dans les questions posées, ce qui peut permettre, le cas échéant, de répondre non seulement au rôle du conseil d’administration mais aussi à certaines préoccupations d’administrateurs indépendants.

Quelle attitude tenir durant la négociation ?

Armand Grumberg : L’attitude dans la négociation ne doit pas être négligée. Il est souvent contre-productif d’entrer dans la salle de négociations en imposant sa façon de penser. Le risque évident est de braquer la partie en face d’entrée de jeu. À mon sens, dans quasiment toutes les opérations, il est possible de trouver une approche « win-win » ce qui permet de maintenir cette dynamique de dialogue. Dans un monde idéal, tout le monde doit apparaître gagnant à la sortie.

Quitterie de Pelleport : Je rejoins totalement Armand sur le fait que l’attitude en négociation doit être constructive et pragmatique. A contrario, sur certains sujets critiques, il faut savoir conserver une fermeté totale. Mais il est très important de maintenir en toutes circonstances une discussion respectueuse, car il est parfois difficile de contenir ses frustrations et conserver son sang-froid dans une négociation avec des interlocuteurs dont les codes culturels ou l’expertise transactionnelle sont très différents des nôtres.

Armand Grumberg : C’est pourquoi il est impératif de bien réfléchir au séquencement des points de négociation à aborder. Il ne faut généralement pas prévoir de négocier en premier le point clé sur lequel on ne veut pas céder. Le séquencement doit être préparé en amont de façon méticuleuse avec l’équipe de négociation, le CEO et le CFO.

Quitterie de Pelleport : Il me semble aussi clé de nouer des relations interpersonnelles fortes, des ponts entre certains membres des deux équipes de négociation, pour pouvoir en tant que de besoin discuter en « off ». Il arrive en effet souvent que les négociations s’enlisent sur un point en séance plénière qui pourra, parfois, se régler entre deux personnes qui se font confiance, parviennent à démêler les tensions et trouver une solution.

Le rôle de l’avocat a-t-il évolué ?

Armand Grumberg : Son rôle est devenu de plus en plus stratégique. Je pense qu’il doit avoir une parfaite compréhension du business des parties et de ce qu’elles recherchent à obtenir d’un point business, ainsi que de la loi et des réglementations applicables dans le pays dans lequel son client investit. Que ce soit en droit américain, en droit japonais ou en droit brésilien, l’avocat en charge du dossier doit parfaitement connaître le droit qu’on va lui opposer en face. J’y passe personnellement beaucoup de temps, ce qui me confère une force pour bien négocier.

Quitterie de Pelleport : Pour le client, c’est un grand confort que son avocat soit capable d’intervenir sur tous les aspects d’une transaction internationale. J’attends de mon avocat qu’il fasse la coordination interne avec ses différents bureaux et qu’il soit seul dans la pièce de négociation, à mes côtés. Pour des négociations stratégiques, le choix du cabinet et de l’associé est donc fondamental.

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