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FAIRE DE LA SUCCESSION DU DIRIGEANT UN SUCCÈS

Parce qu’il n’a pas été soigneusement anticipé ou parce que le dirigeant appelé à confier les rênes rechigne à le faire, le changement de CEO peut parfois se révéler chaotique. Afin d’éviter que la passation de pouvoirs ne vienne perturber le fonctionnement de l’entreprise, les instances de gouvernance ont un rôle central à jouer.

UNE PAGE VIENT DE SE TOURNER CHEZ SCOR.

Le 9 juin dernier, le réassureur annonçait la disparition de son président emblématique, Denis Kessler, qu’il avait rejoint en 2002. Conformément au règlement intérieur du conseil d’administration, l’intérim de la présidence de SCOR est assuré par Augustin de Romanet, vice-président du conseil d’administration, jusqu’à la nomination d’un nouveau président dans le cadre du processus en cours. La problématique de la succession de Denis Kessler n’est pas nouvelle. Pour le remplacer à la tête de la direction générale, le groupe avait jeté son dévolu, début 2021, sur Benoit Ribadeau-Dumas. Mais le départ prématuré de ce dernier, moins de six mois après son arrivée, avait conduit le groupe à lui trouver un remplaçant, en la personne de Laurent Rousseau. Faisant mieux que son prédécesseur, celui-ci sera quant à lui resté en poste… un peu plus d’un an et demi. C’est dans ce contexte tourmenté que Thierry Léger avait été intronisé, début mai, directeur général de Scor.

Les dirigeants « éternels »

En matière de succession chaotique, Scor n’est pas un cas isolé. Comme aiment à le rappeler certains spécialistes en gouvernance, le passage de relais entre Gérard Mestrallet et Isabelle Kocher à la tête d’Engie avait également connu son lot d’anicroches. Et si de tels exemples y sont moins médiatiques, les entreprises non cotées, familiales ou non, n’y échappent pas non plus. Et pour cause. « Une succession n’est jamais facile, fait remarquer Laurence Antiglio, administratrice indépendante au sein notamment d’ETI familiales, d’ETI patrimoniales et de startup. S’il ne le souhaite pas vraiment, le dirigeant amené à laisser la main peut, à l’aune de ses pouvoirs, rendre le processus particulièrement complexe. » Or ils sont nombreux à être susceptibles de le faire. Dans son nouveau guide intitulé « Transmission : enjeux et bonnes pratiques », à l’usage des acteurs de la gouvernance des PMEETI, l’Institut Français des Administrateurs (IFA) met en effet en garde contre les dérives potentielles d’un certain profil de dirigeants, qualifiés de « fondateurs éternels ». « À leurs yeux, il n’y a personne qui puisse être à même de les remplacer, explique Yves Poivey, président du groupe industriel Seeb et de la holding familiale Oxilia, et co-auteur du rapport. Ce faisant, il leur est très difficile d’envisager leur départ. » Pourtant, cette obstination à vouloir garder le contrôle peut se révéler préjudiciable à plusieurs titres : érosion des performances de l’entreprise – une étude ancienne de BPCE L’Observatoire faisait par exemple ressortir que la rentabilité économique et la rentabilité financière décroissaient nettement dès que le principal responsable est âgé de plus de 60 ans ; risque de vacance du pouvoir en cas de disparition brutal du dirigeant ; augmentation du turnover chez les salariés... D’après l’IFA, le dirigeant éternel, « peu ouvert sur l’extérieur », peut ni plus, ni moins, mettre en péril la pérennité de son entreprise si le problème de sa succession n’est pas résolu. « Ce sujet étant trop important pour être laissé à la seule main du CEO, il appartient aux organes de gouvernance de s’en saisir », insiste Yves Poivey.

La désignation d’un référent transmission

Du reste, c’est au conseil d’administration qu’appartient le pouvoir de nomination du dirigeant. Mais sa tâche n’est pas toujours évidente. « Si le dirigeant est le seul actionnaire ou presque – ce qu’on retrouve souvent dans les entreprises patrimoniales –, il a alors la main sur la nomination du conseil, qui nomme le dirigeant, pointe Laurence Antiglio. Et s’il est en SAS, il définit lui-même les pouvoirs du conseil, qui peut n’être que consultatif. » Bien que chaque situation soit propre à chaque société, les experts en gouvernance préconisent malgré tout quelques bonnes pratiques à mettre en oeuvre. La première consiste pour les administrateurs à discuter de cette problématique de la succession avec la personne concernée le plus en amont possible, et de façon régulière. « Il est d’usage d’entendre que pour réussir une transmission, une dizaine d’années sont nécessaires », rappelle Yves Poivey. Pour essayer d’avoir l’oreille du « dirigeant éternel », il peut s’avérer pertinent de désigner une personne chargée de piloter ce dossier. « L’administrateur indépendant se sent plus libre de mettre les pieds dans le plat », estime Laurence Antiglio. L’IFA recommande pour sa part de nommer un « administrateur référent transmission ». Sorte de chef d’orchestre du processus de transmission au niveau du conseil, celui-ci aurait vocation à jouer à la fois un rôle de confident auprès du dirigeant et de facilitateur, voire de médiateur, au sein de l’organe de gouvernance. Outre cette initiative, le conseil dispose aussi d’un levier pour accélérer le calendrier de la succession… si tant est qu’il jouisse de marges de manoeuvre vis-à-vis du dirigeant : fixer une limite d’âge dans les statuts de l’entreprise.

Les bienfaits d’une période de transition

Une fois le processus enclenché et un successeur identifié, en interne ou en externe, l’instauration d’une période de transition relativement longue est souvent préconisée. « J’ai en tête le cas d’un dirigeant exigeant, pour lequel il a fallu attendre près de 18 mois et trois greffes de successeurs pour que cela fonctionne, se remémore Fabrice Coudray, managing director executive search France chez Robert Half. En ce sens, il peut se révéler utile d’anticiper la période de passation de pouvoir, dans la perspective d’un ou de plusieurs échecs. » Dans ce cas, les étapes doivent cependant être bien définies dans un plan de succession (voir encadré), « avec des dates précises », insiste Laurence Antiglio. Mais le jour du passage du témoin effectif ne marque pour autant pas forcément la mise en retrait totale de l’ancien dirigeant, certains d’entre eux choisissant de rester impliqués au sein des organes de gouvernance. « Lorsqu’il s’agit de personnalités puissantes, charismatiques, il y a un risque réel qu’elles jouent un rôle destructeur pour le successeur », prévient Fabrice Coudray, par exemple en remettant en question ses décisions stratégiques. Un avis largement partagé. « La cohabitation n’est pas nécessairement bonne, surtout dans la configuration où le mode de management entre l’ancien et le nouveau dirigeant s’avère différent », signale Yves Poivey. Si cette cohabitation doit malgré tout avoir lieu, l’organe de gouvernance doit chercher, autant que faire se peut, à en limiter la durée. En outre, « il importe que l’ancien CEO ne conserve pas de fonction exécutive », ajoute Fabrice Coudray. Enfin, dans les entreprises familiales, des points pratiques éventuellement souhaités par l’ancien dirigeant doivent également être discutés, parmi lesquels « sa venue régulière dans les locaux de l’entreprise, le maintien d’un bureau de fonction... », illustre Laurence Antiglio. Comme le dit l’adage, gouverner, c’est prévoir !

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