Sorties : quand les process fantômes hantent le marché - NextStep Magazine

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Sorties : quand les process fantômes hantent le marché

Tâter discrètement le pouls d’acquéreurs triés sur le volet plutôt que de risquer un process en bonne et due forme devient une pratique courante pour les fonds pressés de vendre mais pas encore à n’importe quel prix.  

Des process fantômes et des fonds zombies…
La dixième édition de l’IPEM s’est tenue fin septembre à Paris dans une ambiance de film catastrophe, loin de l’euphorie d’il y a quatre ans ou encore de la méthode Coué des deux dernières années où l’on prédisait le retour imminent des beaux deals. Car rendez-vous était pris en 2025 où la baisse des taux et une forme d’habituation à l’instabilité de l’environnement géopolitique devaient dégripper le M&A et réalimenter en liquidité les souscripteurs des fonds en levée. Las, devant une année encore décevante et des performances en berne, les LPs ne veulent plus qu’on leur raconte d’histoires et perdent patience devant le discours de déni des gérants de leurs portefeuilles. « Nous nous attendions à une normalisation des distributions en 2025, mais il est désormais évident que cela n’arrivera pas avant 2027 », a constaté avec lucidité Martine Legendre-Kaloustian, responsable des investissements alternatifs d’Allianz France, lors de la conférence de clôture de l’IPEM. Au premier semestre 2025, la valeur des cessions enregistrées par les fonds de private equity tricolore a en effet chuté de 48 % par rapport au premier semestre 2024, atteignant le plus bas niveau comptabilisé depuis cinq ans. « Le contexte macroéconomique actuel traduit un climat d’incertitude qui a un effet direct sur les valorisations des PME de la zone euro, à nouveau en baisse au 2e trimestre 2025. Les nouveaux tarifs douaniers annoncés par le Président Donald Trump lors du « Liberation Day » en avril ont eu un impact significatif sur les perspectives économiques, entraînant des perturbations mondiales dans les échanges commerciaux et les chaînes de valeur et sur le marché du M&A. Cette baisse des valorisations résiste pour l’instant à l’amélioration des fondamentaux dans la zone euro liée à la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt », a ainsi résumé Louis Godron, président d’Argos Wityu, lors de la publication en juillet du dernier baromètre Argos faisant état d’une chute des valorisations midmarket à 9,2x l’Ebitda.

Backlog de sorties au plus haut

Au-delà du contexte géopolitique global et l’incertitude liée aux « Tarifs » qui ont secoué
le private equity mondial, l’instabilité politique et la dégradation de la note de la dette française ont joué un rôle de repoussoir pour les acquéreurs et accentué la frilosité des fonds face à la multiplication des process avortés. Ainsi, la vente de la chaîne B&B Hôtels détenue par Goldman Sachs depuis 2019 n’a pas abouti malgré des offres de KKR et CVC citées par Bloomberg pour une valorisation attendue à plus de 3 mds€. Idem pour Prosol, la société gestionnaire des rayons fruits et légumes de l’enseigne Grand Frais, plusieurs fois mise en vente sans succès ces dernières années, et dont Ardian espère tirer plus de 4 mds€. Même les entreprises sous LBO des secteurs les plus résilients ont subi l’attentisme du marché et sont restées sur le banc après avoir fait l’objet de mandats de vente un peu trop optimistes, comme la société de conseil en technologie Devoteam, que KKR aurait voulu céder plus d’1 md€, ou le groupe d’ingénierie Expleo et les laboratoires d’analyse médicale Innovie qu’Ardian a vainement mis sur le marché à plusieurs reprises ces derniers mois. « Les deals dont on parle depuis 12 mois sont toujours au même stade », pointe un banquier d’affaires. Les cédants ont beau essayer de noyer le poisson avec des éléments de langage usés jusqu’à la moëlle (« Il ne s’agissait pas vraiment d’un process de sortie mais plutôt de marques d’intérêt non sollicitées que nous avons déclinées », sic), plus personne n’est dupe devant l’allongement de la durée de détention des participations végétant parfois depuis plus d’une décennie dans les portefeuilles. Par conséquent, le « backlog d’exits », c’est-à-dire le stock d’actifs mûrs pour une revente, est à son plus haut depuis 2005.

Selon le dernier rapport de Bain sur le private equity mondial, 62 % des entreprises en portefeuille sont détenues depuis plus de quatre ans, contre 55 % en 2023. Et si Argos faisait état d’un nombre record de deals valorisés moins de 7 fois l’Ebitda au deuxième trimestre pesant plus d’un quart des deals, cet ajustement des prix est loin d’être suffisant pour dégripper la machine. Dans ce contexte, les bons vieux process d’enchères qui ratissent large n’ont plus la cote et les fonds soutiennent mordicus qu’ils ont l’éternité devant eux pour céder leurs participations tout en menant des « discussions » en coulisses avec des acquéreurs potentiels triés sur le volet. « Une fois qu’on a sécurisé deux acheteurs potentiels, rien n’empêche de lancer un process compétitif plus large », glisse un conseil M&A. Et parfois, un seul acheteur suffit quand le dossier est trop sensible pour risquer de susciter les remous de la classe politique. D’ailleurs, à force de tester discrètement le marché pour des actifs prêts à sortir mais pas à n’importe quel prix, les fonds ont banalisé le recours au shadow process, autrement dit des faux-vrais mandats de vente qui ne font leur « coming out » que s’ils aboutissent à une transaction. « Les shadow process vont se poursuivre tant que l’incertitude dominera l’environnement politico-économique et que l’écart de prix entre acheteurs et vendeurs sera important et compliqué à réduire, estime Guillaume Piette, managing partner de Financière de Courcelles. En ouvrant des discussions avec un nombre très resserré d’acquéreurs potentiels, les fonds espèrent tester le marché sans abîmer des actifs, ce qui laisse l’opportunité de mener un process concurrentiel en bonne et due forme dans un second temps si le current trading de la cible est robuste ». Ces négociations à huis clos se font généralement sur la base de prévisionnels d’Ebitda 2026 ou 2027 pour peu que l’actif permette une visibilité suffisante.

« Evénements de liquidité » à utiliser avec modération

En attendant, faute de trouver des acheteurs, les sociétés de gestion multiplient les solutions de contournement pour créer des « événements de liquidité ». Opérations de roll-over, fonds de continuation, NAV financing adossé à la valeur des actifs et dividend recap se multiplient pour faire patienter les souscripteurs des fonds de plus en plus agacés par ces « ersatz » de sorties. Dans son dernier rapport annuel, Bain explique que « ces outils financiers ne remplacent pas les sorties. Mais ils ont incontestablement contribué à améliorer les flux de liquidité ». Un pis-aller qui peut calmer momentanément l’impatience des LPs, à condition de ne pas trop en abuser. Dans un sondage mené par l’association mondiale des investisseurs institutionnels (ILPA), plus de 60 % d’entre eux disaient préférer une sortie conventionnelle plutôt que des alternatives comme le « dividend recap », même si la plus-value dégagée était en dessous de celle attendue. Maintenant que la plupart des sociétés de gestion ont utilisé au moins un de ces subterfuges pour retourner de la liquidité à leurs investisseurs, ils ont désormais conscience qu’ils ont atteint la limite de l’exercice. D’où la fébrilité palpable dans la manière dont certains fonds s’activent auprès de leurs plus belles participations, pressenties pour être les futures mariées de l’année. Dans le lot de messages subliminaux plus ou moins explicites, la multiplication des build-up et les refinancements annoncés en grande pompe constituent la plupart du temps une invitation à s’intéresser de plus près à l’actif. « Souvent, les dividend recap envoient un signal au marché que l’entreprise se prépare pour un process dans les prochains mois, avec une documentation déjà prête et un financement portable pour les futurs acquéreurs », confirme Guillaume Piette. L’autre tour de passe-passe qui s’est généralisé ces derniers mois, le fonds de continuation, permet, lui, de reporter la sortie le temps d’un nouveau cycle de LBO de cinq ans. Cette stratégie peut se révéler payante, à condition que la promesse de création de valeur soit au rendez-vous à l’heure de la cession pleine et entière. Idem pour le NAV Financing qui consiste à retourner des liquidités à ses souscripteurs sur la base de la valorisation de son portefeuille. L’heure de vérité peut être cruelle si le fonds n’arrive pas à vendre ses participations en ligne avec la valeur théorique extériorisée. C’est ce qui serait arrivé au FCDE pour le process de cession de Bertin Technologies, spécialisé dans la fourniture d’instruments de mesure, de détection et d’observation pour le secteur de la défense. D’après un article de l’Informé, le fonds midcap aurait décidé cet été de reporter une deuxième fois le process de vente, faute d’un prix à la hauteur de ses attentes, après avoir obtenu un NAV financing sur la base d’une valorisation de 330 M€. Ce qui renvoie au vieil adage de la sagesse populaire « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ».

 

 

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