Communication de crise : démentir les Cassandre sans nier les difficultés - NextStep Magazine

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Communication de crise : démentir les Cassandre sans nier les difficultés

La communication des entreprises en restructuration doit évoluer sur une ligne
de crête entre la confidentialité nécessaire pour ne pas amplifier les difficultés
et la transparence indispensable au rétablissement de la confiance.

Dans la torpeur du début du mois d’août, le communiqué de presse annonçant l’approbation du plan de sauvegarde accélérée d’Altice France est presque passé inaperçu. Coup de chance lié au calendrier du tribunal des activités économiques de Paris qui a rendu sa décision un lundi 4 août 2025 ou habileté des stratèges de la com’ du groupe de Patrick Drahi, qui avaient intérêt à ce que l’écho de cette information perde de son intensité avant la rentrée ? On ne le saura pas, mais ce qui est sûr c’est que la communication liée aux restructurations relève de l’art subtil d’en dire le moins possible, bien plus que de la manière de faire savoir. « La restructuration d’une entreprise entraîne la perte de rationalité de l’écosystème avec un risque de multiplication des rumeurs et des « fake news », et un effet « sauve qui peut » aggravant ses difficultés, souligne Véronique Pernin, fondatrice de VP Strat, agence de communication corporate et de crise. Notre métier de technicien de la communication est de maîtriser ce qui va se dire autour et à l’intérieur de l’entreprise pour maintenir la confiance qui joue un rôle crucial dans ses chances de redressement ». 

La maîtrise en l’occurrence consiste à anticiper les différents scénarios de diffusion de l’information des difficultés à l’extérieur de l’entreprise et préparer la teneur du message en réponse à chaque degré de gravité tout en identifiant en amont ceux qui le porteront le mieux.

Communication proactive ou défensive

« La première question que l’on se pose est celle de la pertinence d’une communication proactive car l’objectif est de réduire l’impact d’un sujet sensible plutôt que de l’amplifier, rappelle Jérôme Goaër, cofondateur de l’agence de communication Verbatee. Chaque situation est différente et parfois, le silence est la position la plus prudente notamment dans le cadre de procédures amiables confidentielles. De bonnes relations tissées avec les parties prenantes, et avec la presse, permettent de donner des explications et de désamorcer une fuite. Pour autant, il est indispensable de préparer une communication adaptée à chaque scénario et de calibrer le message destiné à chaque cible : salariés, actionnaires, journalistes, clients… ». « Quand l’entreprise est très connue du grand public, elle doit préparer en amont une communication proactive car les difficultés vont forcément s’ébruiter et prendre une ampleur disproportionnée dans un contexte de prolifération des fake news, boostée par la montée en puissance de l’IA », appuie Véronique Pernin, qui a notamment conseillé des marques comme Celio, Tati, Flunch ou Lapeyre pour leur communication de crise. « Pour des entreprises à la notoriété plus limitée, il vaut mieux opter pour une communication plus ciblée vers l’écosystème en s’adressant à la presse locale et spécialisée. Et enfin pour des PME pas du tout médiatiques ou des ETI opérant dans des secteurs très peu exposés, on peut tenter une communication défensive en misant sur la probabilité que les informations ne filtreront pas ou seront très peu relayées ». Les entreprises évoluant dans un environnement BtoB sont peu familiarisées avec les codes de la communication grand public, a fortiori quand elles sont détenues par des fonds d’investissement eux-mêmes peu habitués à la transparence. D’où l’intérêt d’opter pour des professionnels de la communication rôdés également aux situations de crise, car ils connaissent déjà les équipes et l’écosystème de l’entreprise, ce qui fait gagner un temps précieux dans ces périodes d’urgence. « Cette préparation en amont permet d’éviter le registre émotionnel dans lequel pourrait tomber le dirigeant qui, se sentant attaqué, adopterait une communication défensive contre-productive »,
poursuit Jérôme Goaër.
« Les procédures amiables ont beau être confidentielles, les négociations avec les partenaires peuvent fuiter, prévient Véronique Pernin. Nous recommandons dans tous les cas d’occuper le terrain avec des informations positives sur les projets liés au business pour conserver la confiance de l’écosystème.  Par ailleurs, il est préférable – sauf exceptions liées à la cotation ou à un projet particulier - de garder la procédure amiable confidentielle tant qu’on peut la maintenir dans le secret », préconise Véronique Pernin.

L’exception Slip Français

Bien sûr, il y a quelques exceptions comme le cas du Slip Français qui a pris le parti inverse en faisant de la communication sur ses difficultés une stratégie de mobilisation de ses clients et de conquête de nouveaux consommateurs sensibles au made-in-France.
Car après une belle décennie de 2012 à 2021, où la jeune entreprise double de taille tous les ans jusqu’à atteindre 25 M€ de chiffre d’affaires, la crise inflationniste post-covid sonne le glas de la croissance avec une dégringolade des revenus en 2022, puis 2023 et une rentabilité dans le rouge. En 2024, la formule du président-fondateur de la marque, Guillaume Gibault, « ça passe ou ça casse », balancée sur les réseaux sociaux pour accompagner le lancement de sa gamme à prix réduit, a fait le buzz. Mais plutôt que d’adopter une posture d’auto-apitoiement et de culpabilisation des consommateurs, les dirigeants de cette marque emblématique ont décidé d’agir et de faire pivoter son modèle économique d’une stratégie haut de gamme à une stratégie de volume. Moins de deux ans après ce « plan de sauvetage », l’entreprise n’a pas encore atteint le seuil de la rentabilité, mais elle a repassé la barre des 20 M€ de chiffre d’affaires. Ni son image, ni le capital sympathie dont elle jouit au-delà de sa clientèle n’ont souffert de cette restructuration qui s’est pourtant traduite par une réduction d’effectifs de 120 à 38 salariés. « Si le Slip Français est un cas d’école d’une communication de crise basée sur la transparence qui réussit à renverser la vapeur, il n’est pas transposable dans l’univers de l’industrie où l’inquiétude causée par la diffusion des difficultés peut être complexe à gérer », nuance Véronique Pernin.

Dédramatiser les procédures

Souvent le théâtre de dissensions entre actionnaires et créanciers dont les intérêts se retrouvent désalignés, les procédures amiables et collectives focalisent l’attention sur la violence des débats et des rancœurs, faisant passer au second plan l’intérêt du corps social de l’entreprise et le sens de son activité. D’où l’intérêt de contrebalancer cet aspect sombre, voire parfois sordide, avec une communication axée sur les réalisations factuelles et les projets en cours. Même quand les difficultés ne sont pas encore sorties sur la place publique, c’est une manière d’être prêts quand elles seront connues tôt ou tard. « Certes, l’homologation d’une procédure de conciliation met fin à sa confidentialité mais si l’entreprise a occupé le terrain auparavant, elle peut anesthésier la communication sur l’homologation d’autant qu’elle marque l’aboutissement d’une négociation réussie avec ses partenaires financiers, explique Véronique Pernin. Même si elle se traduit par la dégradation de la note crédit fournisseur, on peut dédramatiser une procédure de conciliation en arguant que l’entreprise a voulu anticiper le financement de ses multiples projets de développement en renégociant avec ses créanciers ». « L’objectif est de réduire l’impact de la crise. C’est tout un équilibre entre ce qui peut être dit et qui ne doit pas l’être pour préserver la crédibilité du porte-parole et la notoriété de la marque », alerte le conseiller en communication Jérôme Goaër. La probité et la rectitude des dirigeants est en effet soumise à un examen sans concession pendant ces périodes troubles, et leur exemplarité est un allié certain quand
il faut annoncer des nouvelles socialement désastreuses comme les plans de licenciement.
« La communication dans les cas des PSE reste toujours un exercice très délicat car il touche à l’humain et implique les familles des salariés et parfois tout un bassin d’emploi lié à l’entreprise depuis des générations, rappelle Véronique Pernin. Les dirigeants et porte-parole doivent légitimer cette décision douloureuse en retraçant tout ce qui a été fait auparavant pour éviter d’en arriver là et expliquer qu’il n’y a pas d’autre choix pour sauver l’entreprise et les salariés qui restent ». L’experte en communication, qui avait notamment accompagné le sidérurgiste Ascoval dans son long feuilleton de restructurations, insiste sur l’importance de « faire exister le rationnel dans un contexte où l’émotionnel prend le dessus, tout en faisant preuve d’empathie et en prenant en compte les risques psycho-sociaux ». Dans les milieux industriels chahutés par des crises depuis une cinquantaine d’années, les salariés se sentent respectés quand la direction adopte un parler-vrai, même si la pilule reste toujours difficile à avaler. « Bien sûr, le timing peut jouer en faveur ou en défaveur de l’entreprise en fonction du contexte et d’une actualité qu’elle ne maîtrise pas forcément, souligne Jérôme Goaër. Si un plan social portant sur une vingtaine de salariés est concomitant au licenciement de centaines d’employés d’un grand groupe, il est certain que les projecteurs seront braqués sur l’annonce la plus importante ». La préparation a beau être indispensable, la chance et le hasard restent des facteurs impondérables avec lesquels il faut aussi composer.

 

 

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