les entreprises ont du mal à avoir de la visibilité sur leur business plan.
Les sociétés sous LBO ne sont bien sûr pas épargnées et de plus en plus
d’entre elles rencontrent des difficultés pour honorer leurs échéances de dette.
Surtout celles qui ont été valorisées en des temps euphoriques qui semblent aujourd’hui bien lointains. Dès lors les LBO en difficulté s’amoncellent
sur les bureaux des conseils. Quelles différences avec ceux traités en 2008-2009 ?
Comment appréhender le traitement de la dette aujourd’hui ?
Quels sont les nouveaux outils à disposition des acteurs ?
État des lieux du marché
Laura Bavoux : Le contexte macroéconomique et politique reste particulièrement instable depuis 18 mois, prolongeant une dynamique de tensions déjà présente auparavant. On peut parler de crise continue, alimentée par des chocs successifs : crise sanitaire, guerre en Ukraine, inflation, entre autres. Cette incertitude pèse désormais sur les valorisations dans de nombreux secteurs. Dans ce climat, nous observons depuis le second semestre 2024 une hausse des restructurations de LBO, notamment ceux réalisés dans l’euphorie post-covid, dans une période marquée par des taux historiquement bas et des multiples élevés. Les émetteurs français représentent à eux seuls 44 % des cas européens de prêts à effet de levier jugés préoccupants.
À la différence de la crise de 2008, qui était avant tout systémique et ponctuelle, nous sommes aujourd’hui confrontés à une dégradation plus lente et diffuse du contexte macroéconomique, dont les effets sont moins prévisibles.
Ségolène Coiffet : En 2008, des mesures, y compris politiques, ont été prises rapidement avec notamment un soutien du système bancaire pour éviter un effondrement général. Il fallait passer la tempête, mais il y avait un horizon de sortie. Aujourd’hui, il est difficile d’en voir un. La situation actuelle me semble plus complexe. Tous les secteurs sont touchés, quelle que soit l’activité : le retail, l’immobilier, la formation, les crèches, l’industrie… et les perspectives ne sont pas très reluisantes.
Pierre Bourion : Nous constatons désormais que tous les secteurs d’activité sont concernés. Faute de confiance, le taux d’épargne augmente pour atteindre 19 % et la crise politique que nous connaissons ces derniers mois n’y est peut-être pas totalement étrangère.
Pierre von Rosenschild : La crise de 2008 était liée au financement bancaire pour lequel des mesures pouvaient et ont été prises. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de restructurer directement des problèmes de trésorerie, mais plutôt de revoir des bilans déséquilibrés. Les LBO se sont structurés durant la dernière décennie à des niveaux d’EBITDA particulièrement élevés – jusqu’à 6x ou 7x, voire beaucoup plus, avant même la prise en compte de l’impact de la capitalisation des intérêts dans certains cas. Dans ces conditions et pour bon nombre de débiteurs, le coût de la dette absorbe l’entièreté du cash flow libre et il n’y a pas d’autre solution que d’aller nettoyer le bilan et changer sa structure, sans attendre de la new money, comme ce qui était fait par le passé.
Le niveau des taux n’est en outre pas comparable à celui d’avant 2008. La grande majorité des LBO structurés ou refinancés entre 2021 et 2022 ont des échéances s’étalant entre 2026 et 2028. Le poids pluriannuel des intérêts pèse lourdement sur la santé financière de ces groupes et notamment pour ceux dont la marge ne permet pas de couvrir un taux Euribor à 3 points plus une marge - je pense notamment aux activités de service à la personne.
Ségolène Coiffet : La précédente crise de 2008-2009 est intervenue au cours des premières années d’utilisation des procédures amiables de renégociation. Depuis quasiment 20 ans, les acteurs s’en sont emparés et ont fait évoluer la pratique, qui est aujourd’hui bien rodée. Il faut reconnaître que le système français est aujourd’hui très efficace. À telle enseigne qu’au moment de la transposition de la directive européenne de 2021, dont toute une partie était consacrée aux procédures amiables, les pays qui ne « connaissaient » pas, ou peu, ce genre de procédures, ont consulté la France sur son expérience à ce titre.
L’évolution
des acteurs
de la dette
Laura Bavoux : À l’époque, les financements LBO étaient principalement structurés autour de pool bancaires. Or, ces acteurs, contraints par des obligations prudentielles plus strictes, ne disposaient ni de la flexibilité ni des leviers d’action que possèdent aujourd’hui les prêteurs alternatifs, notamment les fonds de dette privée.
Ségolène Coiffet : Ces derniers n’ont pas les mêmes exigences de rentabilité.
Laura Bavoux : Absolument. D’ailleurs, post 2008 les restructurations suivaient souvent un schéma d’amend & extend, une approche relativement souple, moins intrusive et moins agressive vis-à-vis des actionnaires. C’est un outil que l’on pourrait voir réapparaître dans les prochains moins, mais pour des raisons différentes.
Cela dit, le paysage a depuis évolué avec le développement du crédit privé en Europe. Rappelons qu’en 2024, plus de 50 % des prêts mis en place étaient des prêts unitranche, ce qui a profondément modifié la nature des discussions. Les nouveaux entrants disposent de moyens d’analyse et d’outils bien plus sophistiqués, et abordent les restructurations avec des logiques de rentabilité et de contrôle beaucoup plus affirmées.
Pierre von Rosenschild : Les fonds unitranche ont la capacité de mettre en place des documentations plus flexibles avec des conditions de défaut plus rapidement activables. Ils ont de fait beaucoup plus de poids dans les négociations lorsque la situation de trésorerie d’un débiteur se tend.
Ségolène Coiffet : Ces fonds n’ont pas les mêmes obligations en termes prudentiels et de forbearance que les banques. Ils ne sont pas tenus par des règles de niveau de fonds propres « en face » des crédits consentis, règles qui sont d’ailleurs une résultante directe de la crise de 2008. L’accès au crédit bancaire est aujourd’hui plus difficile qu’il y a quelques années, mais il ne faut pas oublier le poids des PGE dans les livres des banques.
J’ajoute que la restructuration d’un crédit entraîne en général une dégradation de la note de l’emprunteur – conformément aux obligations auxquelles les banques sont tenues – ce qui peut peser sur la faculté d’accès au crédit. J’ai d’ailleurs vu plusieurs dossiers dans lesquels l’emprunteur souhaitait restructurer son PGE mais a renoncé à le faire face à ces perspectives de dégradation de note et aux taux d’intérêt applicables aux PGE, qui ont largement augmenté depuis leur octroi en raison de l’augmentation du coût de financement des banques.
Pierre Bourion : Au moment où les PGE ont été souscrits, les taux « à prix coûtant » ont rendu cet outil de financement particulièrement attractif. Dans un contexte de restructuration financière, l’emprunteur doit arbitrer entre l’amélioration de sa trésorerie qui pourrait résulter de la restructuration des PGE (franchise supplémentaire, amortissement allongé) et le surcoût occasionné par l’actualisation du taux. Rappelons toutefois que l’emprunteur n’aura pas totalement la main dans cet arbitrage, les créanciers bancaires pouvant avoir des intérêts distincts entre eux selon leur participation, ou non, à différents types d’emprunts. Et l’État, garant des PGE, veille, inversement, à l’égalité de traitement des PGE par rapport aux dettes non garanties.
Théophile Fornacciari : J’ai vu des entreprises aller en procédure collective uniquement pour avoir accès au niveau de taux d’intérêt du moment où il a été souscrit. L’écart est extrêmement important.
Ségolène Coiffet : Les taux ont augmenté de 0,7 % ou 0,8 % à l’époque, à aujourd’hui 3 %, 4 % voire parfois 5 %.
Pierre von Rosenschild : Rappelons qu’il est désormais de plus en plus courant de céder sa dette sur le marché secondaire. Les cartes sont donc rebattues, notamment par rapport aux pratiques de pool bancaire.
Théophile Fornacciari : N’est-ce pas surtout réservé aux gros dossiers ?
Ségolène Coiffet : Je le vois dans tous types de dossiers.
Pierre von Rosenschild : La composition du pool de financeurs est dès lors recomposée donnant du poids à des acteurs privés qui ont la capacité de s’affranchir des exigences réglementaires de bilan bancaire. Ils ont des intérêts différents, une capacité à trader de la dette à bas coût et parfois des ambitions de prises de contrôle par l’equity wipe-out.
Laura Bavoux : Cette évolution a des conséquences directes pour l’actionnaire, qui se retrouve face à des créanciers plus offensifs, souvent prêts à activer rapidement les clauses de défaut si la situation le justifie. D’ailleurs, nous sommes de plus en plus souvent sollicités sur l’enforcement des sûretés. Là où, par le passé, l’actionnaire pouvait espérer un rééchelonnement relativement neutre, il est aujourd’hui plus souvent contraint de remettre des fonds sur la table s’il souhaite rester dans la partie.
Ségolène Coiffet : D’autant plus que certains acteurs rachètent ces crédits avec pour objectif clair de prendre le contrôle de l’entreprise par la dette. Une hypothèse rarement utilisée par les banques. L’emprunteur se retrouve donc confronté à des interlocuteurs très différents d’un établissement bancaire et pour qui, par exemple, la sauvegarde d’un secteur d’activité et des emplois attachés n’est pas nécessairement une priorité. Les cartes de la renégociation sont rebattues.
Laura Bavoux : On distingue globalement deux grandes configurations de LBO qui entraînent des dynamiques de négociation très différentes. D’un côté, les opérations les plus importantes sont plutôt structurées autour d’une dette « term loan B ». De l’autre, les opérations dont le niveau d’endettement est compris entre 50 et 300 M€, souvent dominées par des financements unitranche. Ces dernières opérations sont, je trouve, moins exposées à des stratégies de rachat de créance sur le marché secondaire en vue de jouer un rôle actif dans la restructuration et laissent donc place à des discussions moins agressives. La mobilisation de new money reste toutefois un défi.
La place
du dirigeant
Laura Bavoux : Dans ce contexte hétéroclite, la place du dirigeant dépendra beaucoup de sa personnalité. Il lui revient en premier lieu d’établir un business plan qui servira de base à la définition de la restructuration. Son rôle est opérationnel, et il a tout intérêt à ce qu’une solution soit trouvée rapidement. Une fois ce travail réalisé, le dirigeant peut assez naturellement se retrouver dans une position plus attentiste et regarder les parties prenantes, notamment sponsor et unitrancheurs, s’accorder sur une issue.
Théophile Fornacciari : Je vois deux types de LBO. D’abord le cas où il y a juste des banques et un fondateur, dans lequel bien souvent la conciliation ne se déroule pas très bien parce que les créanciers ont l’impression d’avoir été confrontés à un business plan ni sérieux ni sincère. Il y a dès lors un réel désalignement entre les parties et le rôle du conciliateur est essentiel pour rétablir la confiance.
Dans un LBO en difficulté avec une dette mezzanine, je trouve que les négociations se passent bien mieux. Le fonds de dette qui détient la mezzanine convertit sa dette en capital, prend la majorité et alors on peut se mettre d’accord sur un process de cession si le cash flow n’est pas suffisant, ou bien on se met d’accord dans le cadre d’une conciliation classique pour réétaler la dette bancaire. Inutile alors d’avoir recours à des outils « agressifs » comme les classes de parties affectées. La conciliation reste un cadre adapté à ce type de cas, encore faut-il qu’on ait de la visibilité pour rembourser dans le fameux maximum amiable des banques de deux ans.
Pierre Bourion : Dans des dossiers classiques de restructuration financière, la confrontation d’intérêts la plus importante est celle qui oppose les créanciers aux actionnaires du fait des efforts qui leur sont respectivement demandés. Lorsque le dirigeant fondateur est toujours en place, il se retrouve confronté à ses créanciers à la fois en tant que dirigeant de la société emprunteuse mais également en sa qualité d’actionnaire, ce qui peut parfois complexifier les discussions.
Dans des dossiers de type LBO, nous voyons des créanciers convertir partiellement leur dette en capital et réinstaller le solde. Des efforts peuvent être demandés à la cible pour améliorer sa capacité contributive au désintéressement de la dette d’acquisition.
Les montages de LBO doivent être correctement structurés pour ne pas être engageants en termes de responsabilité, a fortiori en cas de LBO en difficulté. Les modifications apportées à la documentation initiale doivent être appréciées notamment au regard de l’intérêt social de la cible et des parties qui y sont liées. La restructuration d’un LBO dans le cadre d’une procédure de conciliation avec l’homologation du tribunal permettra d’y veiller, si elle n’est pas réalisée en procédure collective.
Les outils
de négociation
Ségolène Coiffet : Les classes de parties affectées sont un outil pour restructurer la dette. Leur constitution est obligatoire au-delà de certains seuils de niveau de chiffre d’affaires et de nombre de salariés. Il reste que même en dessous de ces seuils, la constitution de classes de parties affectées peut être autorisée par le juge commissaire, dont la décision n’a pas à reposer sur des critères définis ni à être motivée. Il arrive dès lors que ce type de dérogation soit sollicité dans un objectif tout autre que celui poursuivi par ce nouveau système, notamment, il faut bien le dire, l’écrasement de la dette.
Théophile Fornacciari : Je pense que ce sont des cas accessoires.
Ségolène Coiffet : Pourtant j’entends fréquemment ce genre de « menace » de la part de certains administrateurs judiciaires.
Laura Bavoux : J’ai pu vivre la même expérience.
Théophile Fornacciari : Les classes de parties affectées ne doivent pas être utilisées comme vous l’exposez. Il reste que sur les financements structurés de LBO, les classes de parties constituent un outil indéniable pour éviter que des créanciers monnayent leur pouvoir de blocage. On voit déjà les différences de dynamiques dans les négociations ou les créanciers mezzanine ont moins leur mot à dire lorsqu’ils sont totalement hors de la monnaie et que la proposition consiste à convertir leurs créances en capital. À partir du moment où un accord avec les banques émergent, le levier dans les discussions avec les mezzaneur est très fort grâce notamment à l’alternative des CPA.
Laura Bavoux : Pour revenir sur ce que tu disais sur les banques, je pense plutôt que celles-ci refusent l’abandon de créances en conciliation, sauf si l’actionnaire apporte lui-même de la new money. Il faut que chacun prenne sa part.
Ségolène Coiffet : Comment justifier que la banque abandonne des créances alors que l’actionnaire ne concède rien ?
Laura Bavoux : Ce qui est paradoxal, c’est que certains dossiers peuvent être portés en procédure collective dans le but de faciliter un abandon de créance. Si cette démarche peut se justifier dans certains cas, elle peut aussi conduire à une situation où l’actionnaire récupère de la valeur alors même qu’il n’a consenti aucun effort. Cela créé un déséquilibre dans la répartition de la valeur. Je reste néanmoins confiante sur le fait que ce type de pratique restera marginale. On constate d’ailleurs l’émergence de clauses de retour à meilleure fortune dans les plans avec CPA, qui visent justement à réintroduire une forme d’équité dans le partage de la valeur, à moyen ou long terme.
Pierre von Rosenschild : Pour ne pas dévoyer les textes, il convient d’utiliser les classes de parties affectées au-delà de ces fameux seuils ou dans certaines situations spécifiques tout en respectant la répartition de la valeur entre les créanciers Dans des dossiers où persistent des typologies de crédit très variées – que ce soit du senior, de la mezzanine, du revolving, de l’obligataire etc. - et quand le poids de la dette devient trop conséquent, il me semble utile d’avoir cet outil permettant de fixer une hiérarchie de la valeur pour restructurer non seulement la dette mais aussi le capital. Intégrer la notion de valeur dans la structure du bilan me parait cohérent.
Théophile Fornacciari : Utilisé à bon escient, cet outil permet de dépasser les contraintes des parties. Les classes de parties affectées se prêtent très bien aux LBO.
Laura Bavoux : Il existe toutefois des limites à l’efficacité des classes de parties affectées. Je pense notamment à certains dossiers de restructuration financière de holding, mettant en scène uniquement l’actionnaire et un créancier unitrancheur. Dans ce type de configuration, les classes ne constituent pas un levier pertinent pour faire émerger une solution. Cela montre que la procédure de conciliation reste, plus que jamais, un outil central dans le traitement de nombreuses situations complexes.
Ségolène Coiffet : Il s’agissait de tenir compte de la valeur de leur créance et empêcher un acteur qui n’est plus dans la monnaie de bloquer les négociations. Mais nombreux ont compris qu’en constituant des classes, y compris de manière artificielle, on pouvait bloquer les créanciers.
J’ai tout de même l’impression qu’on tourne en rond dans les solutions que l’on propose. En 2008, 2009 et 2010, la boîte à outils était grande ouverte : il y avait les amend & extend, les conversions en capital, la new money… Aujourd’hui, les hypothèses sont plus limitées car les perspectives sont limitées.
Théophile Fornacciari : L’incertitude pèse sur toutes les solutions que l’on peut proposer. Le nombre de dossiers renégociés qui reviennent quelques mois plus tard est important. Il est de plus en plus compliqué de signer alors que la situation d’exploitation a déjà pu évoluer négativement depuis la proposition.
Laura Bavoux : Un autre outil a gagné en visibilité depuis 2016-2017 : la golden share. En contrepartie, notamment, de l’extension de la maturité, certains créanciers obtiennent une golden share leur permettant de prendre le contrôle en cas de survenance de cas de défaut prédéfinis. La nouveauté, c’est que l’on voit aujourd’hui ces créanciers exercer effectivement ce droit, à l’image du dossier People & Baby. Contrairement aux sûretés classiques, la golden share placée en fiducie résiste à la procédure collective, ce qui en fait un outil de plus en plus demandé.
Ségolène Coiffet : En général, les suretés de droit français ne résistent en effet pas à la procédure collective, à part la fiducie et le gage avec dépossession. Les acteurs nous posent donc souvent la question de savoir à quoi servent ces suretés. Désormais avec les classes de parties affectées, elles ont un poids important.
Théophile Fornacciari : À l’avenir, les banques ne vont-elles pas plus prendre de golden share ? Se structurent-elles en interne pour développer la pratique ?
Ségolène Coiffet : La golden share, grâce aux droits politiques qui lui sont attachés, est souvent la seule façon de « forcer » un engagement de cession non respecté par celui qui l’a pris. À ce titre elle peut jouer le rôle de « repoussoir », l’actionnaire préférant conduire lui-même le processus de cession plutôt que risquer un processus insuffisamment fructueux.
Pierre Bourion : Sur les 30 derniers dossiers avec classes de parties affectées, 10 comportent un traitement partiel de la dette via une conversion de créances en capital. L’outils de fiducie equitization permet le développement de ce mécanisme de remboursement en opérant la conversion de créances en capital au sein d’une fiducie pour que les créanciers ne pouvant, ou ne souhaitant pas devenir actionnaires, notamment pour des raisons réglementaires, puissent bénéficier d’un remboursement par la cession des titres, fruits de la conversion.
Ségolène Coiffet : Cette mécanique se prête à des dossiers d’une certaine ampleur, plutôt sur les groupes cotés.
Théophile Fornacciari : Ce mécanisme fonctionne sur les dossiers immobiliers où les banques prennent la main. C’est un outil pour les banques pour sortir de leur bilan ces créances.
Pierre von Rosenschild : Dans les dossiers immobiliers, les banques restent normalement assez bien positionnées quand il s’agit de dette d’acquisition, même si les conditions de marché sont très difficiles
Ségolène Coiffet : Le problème ce sont les perspectives en immobilier. Même sur le marché secondaire, les banques trouvent difficilement des candidats au rachat de leurs créances.
Théophile Fornacciari : C’est particulièrement le cas sur les immeubles de bureaux.
Laura Bavoux : J’aimerais également évoquer un autre type d’outil dont on entend de plus en plus parler en France : les LME, ou liability management exercises. Il s’agit d’un terme générique qui regroupe plusieurs techniques de gestion active de la dette, telles que les amend & extend ou la renégociation ciblée de certaines clauses contractuelles, qui permettent de gagner du temps, ce qui représente un atout majeur dans un contexte marqué par une forte incertitude. Bien que déjà utilisés en France, leur usage devrait probablement se renforcer dans les mois à venir car beaucoup d’acteurs privilégieront des ajustements souples et progressifs plutôt qu’une restructuration plus lourde et immédiate.
Il existe également des techniques plus offensives comme le drop down qui consiste à exclure certaines filiales du périmètre « restreint » pour leur transférer des actifs qui pourront servir de collatéraux dans le cadre de nouveaux financements levés en dehors du périmètre initial. Ou encore l’uptiering qui, avec l’accord d’une majorité qualifiée de créanciers, permet au débiteur de conclure de nouveaux financements avec certains créanciers existants, reléguant ainsi d’autres créanciers à un rang subordonné. Bien que ces techniques aient pu être utilisées dans certains dossiers récents, leur généralisation en France me semble encore limitée, en raison d’un marché moins profond et de créanciers généralement moins agressifs qu’aux États-Unis. Cela étant dit, certaines innovations, comme les classes de parties affectées que l’on pensait réservées à peu de dossiers, se sont largement diffusées dans la pratique.
Pierre von Rosenschild : Les amend & extend devraient en effet être privilégiés par les actionnaires dans les dossiers où du temps peut permettre d’accroître la valeur.
Laura Bavoux : Cela dépend aussi de la date d’entrée au capital. La pandémie a mécaniquement allongé la durée de détention des participations, ce qui peut influencer leur stratégie.
Pierre von Rosenschild : Il y a un arbitrage à faire avec les coûts du refinancement, car l’amend & extend peut aussi se révéler onéreux.
Laura Bavoux : Par ailleurs, certains créanciers arrivent désormais avec une proposition structurée dès l’amont, avant même l’ouverture d’une procédure.
On constate d’ailleurs une hausse des dossiers qui se négocient en dehors de tout cadre procédural.
Théophile Fornacciari : En présence de banques ?
Laura Bavoux : Non, généralement dans des situations où les banques ne sont pas autour de la table. Lorsqu’elles sont présentes, j’ai l’impression qu’elles préfèrent recourir à une procédure.
Pierre von Rosenschild : Nous avons connu des négociations par des waiver uniquement en dehors de tout cadre procédural, avec des banques notamment. Et, il s’agissait d’un amend & extend. Tout avait été très anticipé et préparé par le débiteur et ses conseils en amont. Le banques et actionnaires s’étaient dès lors montrés constructif.
Mener à bien
sa renégociation
de dette
Ségolène Coiffet : Il manque dans les dossiers une certaine dose d’anticipation. Les dossiers qui arrivent sur nos bureaux sont, dans la plupart des cas, très dégradés. Il y a encore un nombre insoupçonné de dirigeants d’entreprise pour qui le mandat ad hoc et la conciliation sont des repoussoirs, qu’ils confondent avec la procédure collective, ou en tout cas à laquelle ils les assimilent compte tenu de la nécessité de recourir au tribunal de commerce ou à son président.
Pierre Bourion : Même des PME importantes ou des ETI avec un dirigeant disposant de l’information financière suffisante sont concernées ! Le dirigeant qui constate qu’il sera en difficulté dans six mois, peut parfois attendre malgré tout de nombreux mois avant d’ouvrir une procédure préventive, ce qui complexifiera les discussions par la suite.
Théophile Fornacciari : Rappelons que pour ouvrir une procédure de conciliation il ne faut pas que l’entreprise soit en cessation de paiement depuis plus de 45 jours. Or il y a beaucoup de dirigeants qui confondent cessation des paiement et paiement des salaires. Or quand l’on retire la dette fournisseur, la sanction tombe très vite. C’est une méconnaissance des conditions d’ouverture des procédures.
Laura Bavoux : Comme je l’évoquais précédemment, dans certaines typologies de dossiers avec des acteurs un peu plus rompus aux procédures, on voit des solutions émerger en dehors de tout cadre amiable officiel, donc l’anticipation est là. Cependant, il suffit parfois qu’une partie bloque sur un point de discussion pour que plusieurs mois soient perdus, rendant finalement inévitable l’ouverture d’une procédure.
Théophile Fornacciari : J’insiste de plus en plus pour que le calendrier des discussions permette de valider les hypothèses de BP lorsque des mesures de réorganisations sont en cours pour ne signer qu’une fois que les hypothèses structurantes de restructuration soient vérifiées.
Laura Bavoux : Cela étant dit, dans le contexte actuel, les business plans restent plus que jamais incertains. C’est pourquoi, comme je le soulignais, on peut s’attendre à une multiplication des opérations d’amend & extend dans les mois à venir, car les parties prenantes pourront préférer temporiser plutôt que de s’engager définitivement.
Théophile Fornacciari : Il faudrait avoir des reporting semestriels encore plus poussés pour le suivi des accords.
Pierre von Rosenschild : Il conviendrait également de faire du suivi précis de la situation de trésorerie et de son développement sur l’horizon prévisionnel, au lieu de ne regarder que le niveau de profitabilité.
J’ajoute, pour terminer, que la transparence est indispensable, notamment post-restructuration, pour assurer une solution pérenne pour l’entreprise. Il vaut mieux travailler une restructuration en profondeur, plutôt que de rester sur des solutions provisoires au risque de manquer sa restructuration.
