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L’IRRÉSISTIBLE ASCENSION DES FINANCEMENTS NON DILUTIFS

Du LBO sponsorless aux obligations relance, en passant par la mezz et le flex equity, le panel de l’offre en quasi-fonds propres s’élargit pour des entrepreneurs soucieux de financer leur croissance sans ouvrir leur capital.

POURQUOI ACCUEILLIR UN ACTIONNAIRE FINANCIER SI L’ON PEUT S’EN PASSER ?

C’est la question que se posent de plus en plus d’entrepreneurs face à la multiplication des offres alternatives de quasifonds propres promettant un financement non dilutif avec des tickets de plus en plus importants et couvrant un large spectre de besoins et de profils. Certes, les LBO sponsorless n’ont rien d’une nouveauté puisqu’ils ont prospéré ces dernières années à la faveur de la multiplication des opérations à effet de levier et des velléités des équipes dirigeantes à prendre le contrôle de leur capital après un troisième ou quatrième tour avec un fonds majoritaire. Mais la nouveauté, c’est que ces opérations concernent de plus en plus des entreprises purement familiales n’ayant encore connu aucun actionnariat financier et vraisemblablement pas pressées d’en faire la connaissance. C’est le cas par exemple de l’agence d’architecture Patriarche dirigée par le petit-fils de son fondateur, Damien Patriarche, qui a reçu en début d’année 16 M€ de financement en quasifonds propres d’Eurazeo via son nouveau fonds ECR. Ce financement est essentiellement dédié à la croissance organique de Patriarche et à son internationalisation avec la montée en puissance de sa présence au Royaume Uni notamment. Le cabinet d’architecture sexagénaire a en effet connu une ascension fulgurante ces dernières années, se hissant au troisième rang du classement par chiffre d’affaires des agences d’architecture tricolores après l’agence du célèbre architecte Renzo Piano et le cabinet interdisciplinaire Arep, filiale de la SNCF. Tablant sur un chiffre d’affaires de 180 M€ en 2022, Patriarche s’est implantée en 2019 au Canada en rachetant un cabinet à Québec et en ouvrant une nouvelle agence à Montréal, puis tout récemment à Londres où elle veut déployer d’importants moyens de conquête.

Le meilleur de l’equity et de la dette

Une volonté d’accélération qui sous-tend également le financement de l’expert en sécurité Scutum auprès d’un pool d’investisseurs en mezzanine mené en février par Geneo pour un montant bien plus significatif de 55 M€. Avec un chiffre d’affaires qui approche les 250 M€, Scutum est devenu l’un les poids lourds européens du marché de la sûreté-sécurité des entreprises. Engagé dans une stratégie de croissance externe ambitieuse, avec plus de 30 rachats depuis 2015, le groupe, détenu par son président Franck Namy et sa famille, ainsi que le management, recharge ainsi ses quasi-fonds propres tout en gardant son tour de table verrouillé. « Les entrepreneurs réticents à ouvrir leur capital plébiscitent les quasi-fonds propres car cet instrument leur offre le meilleur des deux mondes de l’equity et de la dette : un financement non dilutif pour atteindre de nouveaux paliers de croissance sans grever leur endettement ni leurs cashflows puisque les intérêts sont capitalisés », résume Mathilde Paoli, directrice associée de Geneo Capital Entrepreneurs, à la tête de Geneo Mezzanine, un premier fonds de quasifonds propres à impact, qui couple à la fois une offre de financement non intrusive et un accompagnement sur des sujets extra-financiers. C’est ce qui a séduit le dirigeant-fondateur d’Enygea, Hervé Montagne qui, après avoir vécu sous LBO pendant une dizaine d’années, a décidé d’apurer son capital de tout actionnariat financier. Le numéro un français de la location de sanitaires mobiles a en effet discrètement signé l’été dernier la sortie de Société Générale Capital Partenaires et Bpifrance qui l’accompagnaient depuis 2012 ainsi que de l’investisseur régional IRD qui les a rejoints en 2017. Le dirigeant a donc tourné la page des LBO en prenant la tête des trois-quarts du capital, en compagnie de ses salariés et de quelques actionnaires privés historiques. Ce qui ne l’a pas empêché de solliciter Geneo pour trouver une solution, non dilutive cette fois-ci, afin de financer sa stratégie de « buy and build » avec une nouvelle acquisition en Italie. Dans le cadre de cette opération sponsorless réalisée fin 2022, Geneo apporte 13 M€ structurés en partie en OBSA (obligations à bons de souscription en actions) avec des intérêts capitalisés dont le coût est indexé à l’atteinte d’objectifs extra-financiers. Concrètement, cette feuille de route extra-financière consiste à favoriser les économies d’eau dans les métropoles en partenariat avec les collectivités locales, à contribuer à l’amélioration de l’empreinte carbone des chantiers BTP et des évènements, ainsi qu’à la préservation des ressources à travers la valorisation des déchets.

Un coût moins prohibitif

Si Geneo est le premier à s’être positionné sur une « mezzanine à impact », beaucoup d’acteurs historiques de la dette ont récemment lancé des véhicules de quasi-fonds propres comme Eurazeo qui a étoffé en début d’année l’offre de son activité corporate financing avec un nouveau fonds, Eurazeo Corporate Relance (ECR). D’autres acteurs du pur equity se sont également positionnés sur ce marché profond des PME et ETI de croissance rétives à l’ouverture de capital, comme Innovafonds, qui a lancé en début d’année une stratégie sponsorless complémentaire à ses investissements en capital dans les entreprises industrielles, ou le fonds de LBO small et mid cap, MBO&Co qui a annoncé fin 2022 le lancement d’un nouveau fonds de mezzanine sponsorless ciblant une levée de 200 M€. Il faut dire que dans un contexte de remontée des taux, le coût de la mezzanine qui oscille entre 10 et 15 % est désormais jugé bien moins prohibitif et, cerise sur le gâteau, les dirigeants peuvent bénéficier d’un accompagnement stratégique de la part de ces actionnaires professionnels rodés aux opérations de croissance externe et aux enjeux de transformation auxquelles sont confrontés les PME et ETI. « Avec l’augmentation des taux d’intérêt, l’écart s’est réduit entre la rémunération de la dette senior et de la mezzanine, ce qui plaide en faveur de cette dernière, dont un autre avantage, de surcroît, est de ne pas grever les cash-flows de l’entreprise grâce à son remboursement in fine », confirme Paul Bougnoux, président et co-fondateur de Largillière Finance, boutique M&A spécialisée dans le smid cap qui propose le sponsorless comme « une lame supplémentaire au couteau suisse des instruments financiers à la disposition des entrepreneurs ». Un arsenal qui a été étoffé par une offre portée par l’État cette fois-ci avec les obligations relance, qui ont connu un fort engouement depuis leur mise en place fin 2021.

L’appétit pour les OR

Plébiscitées aussi bien par Kiloutou ou la licorne Voodoo que par des PME et ETI moins connues, les obligations relance (OR) avaient quasiment épuisé leur dotation initiale d’1,7 Mds€ en début d’année, et obtenu une rallonge d’1 Md€ jusqu’au 31 décembre 2023 pour continuer à satisfaire l’appétit des entreprises pour ces instruments de financement non dilutifs. Contrairement à leurs cousins « prêts participatifs relance » qui n’ont jamais vraiment décollé, les OR ont su convaincre les dirigeants d’entreprises pour leur souplesse et leur compétitivité. D’un montant compris entre 2 M€ et 100 M€, l’obligation relance, d’une maturité de huit ans, est remboursable in fine ou à tout moment à l’initiative de l’entreprise après deux ans. Le montant financé est plafonné à 12,5 % du chiffre d’affaires pour les PME et 8,4 % pour les ETI avec un taux d’intérêt moyen de 6,20 %. Cette tranche d’obligations subordonnées s’avère donc particulièrement adaptée aux financements des croissances externes et des investissements en capex pour des dirigeants souhaitant accélérer la cadence dans un contexte inflationniste qui pourrait pousser les entreprises familiales à une certaine frilosité. Gérés par 33 spécialistes du non-coté réunis au sein de sept groupements, les OR, garantis par l’État à hauteur de 30 %, s’adressent aux ETI et PME de plus de 16 M€ de chiffre d’affaires affichant, a minima, une notation Banque de France de 5+. Seules des entreprises aux solides fondamentaux y sont donc éligibles pour des projets de croissance et de transformation, notamment sur le volet environnemental. Ce dispositif a d’ailleurs permis des synergies avec les fonds de quasi-fonds propres de ces mêmes acteurs qui comptent bien placer des tickets plus rémunérateurs dans les sociétés auxquelles ils ont eu accès grâce à ce produit subventionné. Typiquement, quand une entreprise a besoin de 10 M€ de financement et qu’elle n’a le droit qu’à 4 M d’obligations Relance, dont le montant est strictement encadré en fonction du chiffre d’affaires de l’émetteur, les fonds de mezz sponsorless peuvent compléter le tour de table. Voire préparer le terrain pour des mises en equity quand l’entreprise familiale farouchement opposée à l’actionnariat financier aura eu l’occasion de dédiaboliser ces partenaires finalement pas si intrusifs. « Une opération sponsorless est aussi souvent considérée comme une première étape avant la réalisation d’un LBO primaire quelques années plus tard, d’autant que l’entrepreneur a intérêt, s’il projette l’augmentation de la valorisation de son entreprise à ce terme, à opter pour un instrument non dilutif afin de maximiser sa réalisation patrimoniale », décrypte le banquier d’affaires Paul Bougnoux. En finance comme en beaucoup d’autres domaines, il ne faut jamais dire jamais !

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