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Twitter m’a TUER

Les réseaux sociaux ont prouvé leur pouvoir d’amplification de situations critiques, au point de précipiter la faillite d’entreprises considérées comme indéboulonnables. En accélérant le tempo et en plaçant le registre sur l’émotionnel, ces « bad buzz » deviennent la hantise des experts de communication de crise.

LES RÉSEAUX SOCIAUX ONT-ILS PRÉCIPITÉ LA CHUTE DE CREDIT SUISSE ?

Lors de la présentation du plan de liquidation de la banque fin mars, son président, Axel Lehmann a pointé du doigt les plateformes en ligne, et notamment Twitter, dans la descente aux enfers de la banque helvétique sauvée par sa rivale UBS. Le départ de feu provient d’un tweet posté le samedi 1er octobre 2022 par un journaliste économique australien, amplifié et réinterprété sur la plateforme de discussions Reddit provoquant des retraits massifs des clients de la banque. Et c’est grosso modo le même scénario qui a entraîné la faillite de la Silicon Valley Bank le 10 mars dernier. Cette fois-ci, le lien de cause à effet a été démontré par une étude menée par des chercheurs de Dauphine et de l’université d’Arizona. En analysant les conversations sur Twitter entre le 8 et le 13 mars, l’étude révèle que les utilisateurs ont posté 6 628 tweets incluant le mot « run » à propos de SVB, environ cinq fois plus que pour les autres banques concernées par le même type de risque. Ces tweets sont d’abord postés par des investisseurs, avant d’essaimer à grande vitesse auprès des déposants qui s’empresseront de vider leurs comptes. De fait, la combinaison des médias sociaux, la nature même des clients de la banque des start-up et la technologie digitale ont fondamentalement changé la vitesse et l’intensité du bank run : 40 Mds$ retirés le 9 mars, et 100 Mds le 10 mars (85 % des dépôts de la banque !). SVB illustre ainsi le cas d’école de la faillite à l’ère des réseaux sociaux… Bien sûr, le secteur financier est particulier du fait de son extrême sensibilité aux mouvements de panique en chaîne et de son risque systémique. Mais si toutes les crises ne démarrent pas au coeur des réseaux sociaux, nul ne peut faire abstraction de cette caisse de résonance de toutes les polémiques à la viralité redoutable pour la réputation de ses victimes.

Un média traité à la marge

Or, à l’exception de quelques pionniers à l’avant-garde de la communication digitale, la grande majorité des entreprises ont encore une approche décalée de leur présence sur ces canaux disruptifs. « Les réseaux sociaux sont trop souvent appréhendés comme un outil marketing pour communiquer sur des messages positifs et de manière unidirectionnelle », pointe Nicolas Castex, fondateur de l’agence de communication Everybody Knows. Cette vision control-freak n’est carrément pas compatible avec l’esprit d’échange et l’égalité de posture attendus par les usagers des Twitter, Instagram, Facebook ou encore Tiktok. Et ce n’est certainement pas quand l’entreprise se retrouve confrontée à des difficultés et une vindicte amplifiée sur les plateformes qu’elle va réussir à adopter cette transparence et sincérité exigées par ses communautés de clients, salariés et autres parties prenantes. « La communication de crise en période de restructuration est une danse délicate, elle doit atténuer les dommages et ne pas les accélérer, souligne Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom. Bien appréhendés, les réseaux sociaux peuvent contribuer à renverser la vapeur en mobilisant les communautés de clients, d’influenceurs et parfois tout un écosystème pour aider l’entreprise à se désendetter et à retrouver un nouveau souffle ». Mais les cas de cet usage « vertueux » des réseaux sociaux restent exceptionnels dans l’hexagone. Typiquement dans l’hécatombe qu’ont connue les marques de prêt-à-porter ces derniers mois, les réseaux sociaux ont été traités à la marge par des directions enlisées dans les difficultés héritées du temps où ces enseignes historiques ont justement loupé le coche de la bascule vers le digital. Alors que de nouveaux concurrents comme Primark et Shein bâtissent leur succès sur des prix cassés et un marketing basé essentiellement sur les influenceuses et les communautés Tik-Tok et Instagram, des marques comme Camaïeu et Pimkie n’ont pas su convertir leur capital sympathie sur ces réseaux qu’elles ont tardivement investi.

Posture empathique

Une question de culture donc mais surtout d’anticipation. « Cultiver des communautés sur les réseaux sociaux, pouvoir compter sur des «people», des influenceurs et des leaders d’opinion pour défendre l’entreprise si elle fait l’objet d’attaques virales, occuper l’espace en participant à des débats publics dans son écosystème… tout cela se prépare bien en amont d’une crise économique ou réputationnelle », énumère Nicolas Castex. Et pour cela, il faut adopter les codes et le registre de ces médias trustés par les Millénials. Le style de communication change du tout au tout et se contenter de calquer sa communication institutionnelle sur des plateformes qui phosphorent à l’émotion peut se révéler pour le moins contre-productif. « Quand on fait face à une cabale sur les médias sociaux, l’entreprise doit se mettre dans une posture empathique et surtout pas de dénégation et de discréditation systématique de ses agresseurs », prévient Florent Silnicki. L’exact inverse de la stratégie adoptée par Orpea et qui l’a menée au désastre ayant décimé sa direction et mené à sa quasiétatisation. Pourtant conseillé par Image 7, la star des agences de communication qui souffle dans l’oreille des grands patrons, le groupe a déroulé le parfait manuel de tout ce qu’il ne faut pas faire pour attiser l’incendie déclenché par la publication du livre-enquête « Les Fossoyeurs » début 2022. Son auteur, le journaliste Victor Castanet, a témoigné des pressions et des contrefeux allumés par l’agence en amont de la sortie du livre. Par exemple, en septembre 2021, un grand sondage est commandé par Orpea à l’institut Odexa. La diffusion du sondage est prévue le dimanche 23 janvier 2022, la veille de la sortie des bonnes feuilles du livre dans Le Monde. Et post-publication, tous les moyens ont été déployés pour tenter de saper la crédibilité du journaliste et détourner la déflagration médiatique provoquée par cette enquête accablante. Début février, l’émission « Touche pas à mon poste » lance un sondage en direct et demande à ses téléspectateurs si ce sont des «accusations infondées », soit les mêmes éléments de langage utilisés par le patron d’Orpea le matin même. Sondage dont Cyril Hanouna, animateur de l’émission, a plus tard reconnu que les résultats avaient pu être « manipulés » voire « hackés ». Ce qui a été également frappant dans la descente aux enfers du groupe d’Ehpad, c’est que personne, en dehors de la direction, n’est intervenu pour nuancer ces attaques ou apporter des témoignages contradictoires sur les réseaux sociaux et les médias qui ont tous unanimement accablé Orpea. Même si l’on peut considérer les insuffisances et les négligences commises par le numéro 1 du secteur comme indéfendables, cela révèle aussi une véritable impréparation dans la communication du groupe pourtant exposé par nature aux critiques, tant le sujet de la dépendance est explosif d’un point de vue sociétal et politique.

Ligne de crête entre transparence et confidentialité

Sur un registre moins émotionnel, « Casino incarne un autre cas d’école d’une communication de crise mal anticipée », euphémise un expert de la gestion des risques de réputation. Si le groupe de distribution n’a pas eu à subir la déflagration médiatique d’un scandale à la Orpea, il traîne depuis des années des déboires liés à son surendettement et à sa gouvernance d’abord cantonnés à la sphère de la communication financière avant de se propager dans les médias grand public et les réseaux sociaux. Garde à vue de Jean-Charles Naouri pour un soupçon de délit d’initié et de manipulation de cours, dette abyssale cachée sous des artifices comptables, cours de Bourse en chute libre, tractations sibyllines avec des alliances de repreneurs défaites et refaites dans un imbroglio de rebondissements déconcertants… Pour un groupe coté tenu à la transparence, on a rarement vu communication aussi opaque, déchaînant l’ire des avocats d’affaires sur Linkedin, pourtant pas le réseau social le plus virulent, et la vindicte des actionnaires et petits porteurs sur les forums de discussion. Si tout est hors norme dans ce dossier, toutes les communications d’entreprises en restructuration doivent évoluer sur une ligne de crête entre la confidentialité nécessaire pour ne pas amplifier les difficultés et la transparence indispensable au rétablissement de la confiance. « La seule ligne de conduite est d’être pro-actif et de ne pas mentir même si ça n’implique pas forcément de tout dire », conseille Florian Silnicki. Pour les fonds de private equity, l’essentiel est souvent de ne pas apparaître dans la communication de l’entreprise en difficulté. La méconnaissance du grand public du rôle et de l’importance de ces actionnaires financiers très discrets leur permet souvent de passer inaperçus, comme c’était le cas pour Geoxia où le nom de LBO France est resté relativement préservé de la couverture médias et des communautés de clients privés de leurs maisons Phénix déchaînés sur les réseaux sociaux. Ou encore d’Equistone qui a réussi l’exploit de ne pas être cité comme actionnaire de Vertbaudet alors que l’enseigne a fait la une des journaux pendant des semaines à cause des grèves de ses salariés réclamant des augmentations finalement obtenues début juin.

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