Driiveme s’est mis en quête d’un actionnaire financier minoritaire il y a environ un an. Sur quelles bases cette option était-elle envisageable ?
Nicolas Martineau : Créée en 2012 par les frères Alexandre et Geoffroy Lambert, Driiveme présente l’avantage d’avoir développé un modèle innovant, en proposant à l’ensemble des intervenants de l’industrie automobile un service disruptif grâce à sa plateforme logistique digitalisée de transports de véhicules à l’unité. Outre ce prisme technologique, que nous affectionnons chez Isai et qui constitue un marqueur fort pour toutes nos participations, cette société affiche un taux de croissance annuel supérieur à 80 % depuis 2020, tout en étant rentable. Autre point essentiel, qui nous a convaincus de l’intérêt de ce dossier : la grande qualité du management, qui sait allier son souhait de développer la place de marché de Driiveme à une forme de bienveillance à l’égard des équipes. Dès les premiers contacts, nous nous sommes retrouvés sur ces valeurs que nous considérons comme fondamentales.
Comment se sont déroulées les discussions ?
Nicolas Martineau : Au cours des cinq à six mois de négociations ayant abouti à la signature du deal au début de l’été, le management a fait preuve d’une grande transparence, qui nous a permis d’aller assez loin dans l’analyse conduite avec les conseils que nous avons sélectionnés pour nous accompagner dans ce dossier. Nous avons particulièrement apprécié sa capacité d’ouverture et d’échange sur des sujets clés, parfois hautement confidentiels, car cela nous a permis de poser les bases d’une relation de confiance et de valider ensemble ce schéma d’owner-buy-out (OBO) minoritaire.
Thomas Pulcini : Tout l’enjeu de notre intervention dans le cadre de ce type de deal réside dans notre capacité à assurer une certaine sécurité juridique à notre client, sans créer de conditions abrasives dans la négociation et, au contraire, chercher à faciliter l’obtention du deal pour notre client. Tel est l’impératif que nous nous fixons lorsqu’il s’agit d’établir le partenariat capitalistique reflété dans les projets d’accords contractuels du deal mais aussi dans sa structure juridique et fiscale. À cette fin, nous avons travaillé en équipe, en mobilisant les compétences de notre cabinet en corporate, fiscal et financement, mais aussi en établissant des liens étroits avec nos confrères représentant les autres parties du dossier (et notamment le management). L’objectif est également de démontrer à l’équipe de management que nous pouvons être apporteurs de savoir et de valeur ajoutée pour l’ensemble du deal.
Quel est l’objectif stratégique ?
Nicolas Martineau : Le fait que l’équipe de direction ait réussi à définir un business model viable et à le porter pendant une décennie, tout en ayant l’intelligence de se poser ensuite pour examiner sous quelles modalités il lui était possible de poursuivre sa trajectoire de croissance, constitue une forme de maturité managériale qui nous plaît beaucoup. À ses côtés, nous affichons l’ambition de permettre à Driiveme de se renforcer sur ses marchés historiques – France, Europe du Sud, Royaume-Uni – tout en pénétrant de nouvelles régions comme l’Allemagne. Dans le cadre d’un plan de croissance incluant d’éventuelles acquisitions stratégiques, la plateforme devrait dépasser les 100 M€ de chiffre d’affaires dans les trois ans. En outre, nous avons l’intention d’ouvrir le capital à un grand nombre de cadres clés, une étape que nous considérons comme essentielle pour chaque entreprise dans laquelle nous investissons. En tant que fonds d’entrepreneurs, nous avons à cœur de retenir une approche « entrepreneur friendly » qui transparaît dans la façon dont nous abordons des sujets comme ceux ayant trait à la gouvernance.
De quelle façon cela se traduit-il
concrètement ?
Nicolas Martineau : Nous aimons installer très vite une logique de partenariat, ce qui est tout sauf un vain mot dans la mesure où nous nous engageons par exemple à restituer au management un certain nombre de résultats des due diligences que nous avons menées, même dans le cas où nous ne concluons pas le deal. Une telle approche permet de faire tomber, le cas échéant, les barrières qui subsisteraient et de nous mettre au travail ensemble de façon extrêmement efficace. Par voie de conséquence, nous attendons de nos conseils de bien embrasser cette façon d’être et de travailler, car cela permet aussi au management d’éventuellement aborder certains sujets de façon différente de ce qu’il avait en tête. Bien qu’ayant vocation à être un actionnaire minoritaire, nous démontrons ainsi notre aptitude à tenir un rôle de conseil à leur égard. Dans notre approche, cela est d’autant plus important qu’il est de notre devoir d’éviter de se retrouver ultérieurement face à des problématiques de sécurité juridique et fiscale affectant le top management, avec qui nous menons les discussions, mais aussi les autres membres de l’équipe dirigeante, rencontrés dans un second temps. Dans le cas spécifique de Driiveme, nous avons initié la discussion concernant l’élargissement du capital aux cadres, de façon à construire un schéma qui soit conforme à l’état d’esprit des fondateurs, sur une forme qui reste équitable et par le biais d’outils qui restent à leur main.
Thomas Pulcini : Afin de répondre à ce souhait d’Isai d’ouvrir le capital aux « key managers », nous avons mis en œuvre notre expérience et notre savoir-faire en la matière de sorte à sécuriser au maximum le schéma de co-investissement à proposer à ces derniers (résidant en France mais également à l’étranger). Ces enjeux sont particulièrement critiques en France : d’une part, des conseils juridiques et financiers du management, particulièrement sophistiqués, interviennent de façon plus importante que dans la sphère anglo-saxonne par exemple ; d’autre part, il est essentiel d’avoir en tête que les administrations fiscale et sociale se montrent « agressives » à ce sujet et que la jurisprudence s’est récemment durcie. Tout l’exercice consiste donc à permettre à notre client d’avoir accès à la pratique de place – co-investissement pari passu, mise en place d’outils d’intéressement légal, etc. –, pour laquelle nous veillons à être le plus à jour possible, tout en menant un travail d’éducation auprès d’un management qui n’avait de facto pas encore abordé ce type de réflexion.
Quid des discussions relatives à la dette LBO ?
Nicolas Martineau : Pour un deal primaire comme celui de Driiveme, nous faisons beaucoup de pédagogie concernant les différents instruments d’endettement disponibles, y compris pendant la phase compétitive où nous expliquons la façon dont nous les utilisons. À charge pour nous, une fois l’accord établi, d’aller rechercher les meilleurs termes possibles auprès des tiers que nous aurons consultés, étape après étape. C’est vraiment crucial, car en démontrant pas à pas au top management notre expertise, nous contribuons à étoffer une relation de confiance et nous l’aidons à comprendre comment il va évoluer dans un environnement de crédits structurés qu’il ne connaissait pas.
Thomas Pulcini : N’oublions pas que dans le cadre d’un buy-out primaire, il est aussi indispensable de mettre en place un ensemble d’éléments dans une logique d’anticipation de la sortie ultérieure du fonds d’investissement. Mieux vaut alors consacrer du temps afin d’expliquer au management que tout cela participe au processus de création de valeur. Cela étant, ce travail de pédagogie s’est trouvé facilité par le fait que Driiveme est une société bien structurée et dirigée par un management à l’écoute, preneur de l’éventuelle valeur ajoutée que nous pouvions leur apporter et motivé à faire progresser leur groupe sur ces sujets. À charge pour nous, désormais, de continuer dans cette voie au moment de l’élargissement du capital aux personnes clés et d’éventuelles opérations de croissance externe, tel qu’inscrit dans la feuille de route.