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Première acquisition en Europe, un long fleuve pas si tranquille

Pour une PME française désireuse de lancer sa stratégie de croissance externe à l’international, l’Europe constitue généralement la porte d’entrée privilégiée. Malgré la proximité géographique, la différence de codes et de cultures – celle du pays comme celle de l’entreprise cible – peut cependant rendre l’opération moins simple qu’il n’y paraît. Surtout la première.

S’imposer comme un acteur incontournable sur le secteur de l’e-santé en Europe. Animé par cet objectif, Softway Medical (plus de 100 M€ de chiffre d’affaires en 2023, près de 900 collaborateurs) a finalisé en février dernier l’acquisition de SBIM, une société belge spécialisée dans les solutions logicielles pour le secteur hospitalier belge et luxembourgeois. « Avec ce rachat, les planètes sont alignées pour donner une dimension internationale à Hopital Manager, notre Dossier Patient Informatisé. Après avoir éprouvé notre modèle avec succès en France, nous sommes désormais en ordre de marche pour le répliquer sur de nouveaux marchés », s’est alors réjoui Patrice Taisson, président du groupe français spécialisé dans l’édition, l’intégration et l’hébergement en santé numérique. Indépendamment des performances futures de SBIM, cette transaction restera singulière dans l’histoire de Softway Medical. Et pour cause : il s’agissait de sa première opération de croissance externe à l’international, vingt-six ans après sa création. « Ce ne sera surtout pas la dernière », précise Guillaume Pascal, son directeur général recruté en avril dernier, en partie pour accélérer le développement de la société en dehors des frontières hexagonales.

Des spécificités locales

Chaque année, de nombreuses PME choisissent d’emprunter cette même voie. Avec, parfois, un bilan contrasté. Dans une étude publiée en 2022 par Bpifrance Le Lab et France Invest, il ressort en effet que 21 % des dirigeants de PME ont déjà abandonné un projet d’acquisition en cours de route. « Lorsque la cible est implantée à l’étranger, y compris en Europe, la proportion est bien plus élevée », relève un banquier d’affaires des Hauts-de-France, habitué à accompagner ses clients au Royaume-Uni, au Benelux et en Allemagne. De fait, même pour une entreprise aguerrie au M&A domestique et forte de process éprouvés en la matière, la marche à franchir peut s’avérer beaucoup plus haute dans les pays voisins, ou du moins la manière de la franchir très différente.

Sur le front des négociations, déjà, certains marchés affichent des caractéristiques très spécifiques.  « Dans le cas d’une acquisition outre-Rhin, il est très fréquent que les ultimes négociations se déroulent en langue allemande, quand bien même les premières discussions et la documentation juridique sont en anglais », illustre Guillaume Piette, managing partner chez Financière de Courcelles. L’Italie, où les règles peuvent varier d’une région à l’autre, ne fait pas exception. « Les processus confidentiels le restent rarement », fait ainsi remarquer Giovanni di Francesco, associate partner d’Ares & Co, ce qui a souvent pour conséquence de drainer une concurrence locale parmi les acquéreurs potentiels. Dans ce contexte, l’accompagnement par des conseils qui maîtrisent les us et coutumes français et du pays où est située la cible n’apparaît pas superflu, loin s’en faut. D’autant que l’absence d’un interlocuteur local durant les discussions peut parfois constituer un obstacle, comme dans certains cantons suisses où la logique de « vallée d’appartenance » reste prégnante.

L’importance exacerbée de l’audit culturel

Même si ce réflexe ne doit pas être propre à une (première) acquisition transfrontalière, la conduite de due diligences approfondies sur un plan RH est tout particulièrement recommandée.  « Jusqu’à 80 % des acquisitions ne délivrent pas les résultats espérés, en raison notamment d’une mauvaise prise en compte des facteurs humains qui se traduit in fine par des difficultés à intégrer les équipes de management de la cible et/ou à retenir les talents, rappelle en effet Alexis Jakubowicz, directeur de ReD Associates Paris, un cabinet de conseil en stratégie. Ce risque existe certes dans tous types d’acquisition, mais il est encore plus élevé lorsqu’il s’agit d’un rachat à l’étranger. » Il l’est a fortiori encore davantage lorsqu’il s’agit d’une première transaction transfrontalière. 

Afin d’éviter toute désillusion une fois le rachat bouclé, la réalisation d’un audit culturel peut donc se révéler précieuse. « Ce dernier a pour objectif de déceler les comportements, explicites comme implicites, partagés par les collaborateurs de la cible, et de s’assurer qu’ils sont en ligne avec ses propres process et systèmes, poursuit Alexis Jakubowicz. Si ce n’est pas le cas mais que l’acquisition fait néanmoins sens, il convient alors de communiquer énormément en interne, de manière à expliquer et à justifier ces différences auprès de ses propres équipes. Cela permet de créer un climat de confiance et d’entente. » Dans le cadre de cet exercice, les experts invitent les acquéreurs à organiser des rencontres individuelles avec chaque manager de la cible, « afin d’appréhender correctement leurs missions, leur façon de travailler, leurs sentiments quant à la culture d’entreprise ainsi que leurs attentes, une fois le rachat bouclé, et de les intégrer au maximum dans le processus d’intégration », précise Alexis Jakubowicz.

Entre fermeté et souplesse

Dans ce domaine, il importe également, lorsque le projet de reprise concerne une entreprise familiale, de s’accorder sur le rôle que continueront de jouer, ou non, les membres de la famille cédante. « Dans une opération réalisée par l’un de mes clients en Italie, ceux-ci sont restés en poste, mais la cohabitation ne s’est pas bien passée. S’ils sont finalement partis après plusieurs mois, cette situation a mécaniquement contribué à détruire de la valeur », informe par exemple Giovanni di Francesco. Il arrive cependant que leur maintien puisse s’imposer. « Dans le cas du rachat d’une entreprise familiale allemande, il importe de bien appréhender le rôle joué par la famille dans la fidélisation des clients existants. Parfois, il est nécessaire de conserver deux générations pour le projet d’intégration », ajoute Guillaume Piette.   

Puis, pour se donner un maximum de chances de conserver les talents de l’entité reprise, l’acquéreur peut être contraint de s’adapter aux habitudes locales et, ainsi, de faire quelques concessions. « En choisissant d’appliquer les mêmes méthodes de gestion qu’en France, de façon trop rigide et sans prendre en compte des spécificités locales, il s’expose en effet au risque de voir partir une partie des managers de la cible », met en garde Guillaume Piette. Et le banquier d’affaires d’illustrer ce propos.
« À plusieurs reprises, j’ai par exemple constaté le tollé, le plus souvent en Allemagne, provoqué par la décision de certains de mes clients d’uniformiser les flottes de voitures à l’échelle du groupe (défavorable aux berlines allemandes) et de rogner ainsi sur des avantages statutaires non négligeables des cadres-dirigeants de la société acquise. »

Ne pas délaisser ses équipes

Enfin, la réalisation d’une première acquisition à l’étranger va logiquement mobiliser le top management sur une période plus longue qu’un autre type de rachat.
Or cet investissement
de la direction peut se faire au détriment des autres projets de développement organique et des équipes internes.
De quoi possiblement lasser les collaborateurs concernés et les inciter à chercher ailleurs, comme le soulignent notamment Guillaume Piette et l’étude « 2023 Post Merger Integration » récemment publiée par le cabinet Eight Advisory. 

 

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