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Entrepreneurs en difficultés : des paillettes à la paille ?

La violence d’une liquidation judiciaire peut laisser des dirigeants non prévoyants criblés de dettes et sans source de revenus du jour au lendemain. Mais perdre sur tous les tableaux n’est pas une fatalité quand on sécurise une partie de son patrimoine avant que l’entreprise n’entre dans la zone rouge.

Au premier semestre de cette année, plus de 25 000 chefs d’entreprise ont perdu leur emploi, selon la dernière édition de l’observatoire de l’emploi des entrepreneurs, publiée fin août par l’association GSC et Altares. Un chiffre en hausse de 36 % sur un an, qui risque de s’aggraver encore dans les prochains mois compte tenu de la détérioration de l’économie et du renchérissement du coût de l’argent. Après avoir marqué le pas pendant les trois années post-Covid, les défaillances d’entreprise ont repris avec l’arrêt des perfusions gouvernementales et le remboursement des PGE, et reviennent à des niveaux alarmants comme l’illustre le dernier état des lieux trimestriel des défaillances d’Altares publié cet été. « Au terme de ce deuxième trimestre 2023, le référentiel d’avant Covid vole en éclat. Le cap des 13 000 défaillances est nettement franchi et nous ramène à des seuils similaires à 2016, période marquée par les crises financières et européennes, commente Thierry Millon, directeur des études Altares. Les activités à destination des consommateurs sont les plus durement sinistrées : restauration rapide, alimentation générale, coiffure, réparation & vente de véhicules. Plus de 9 procédures sur 10 concernent des TPE, dont les ¾ sont immédiatement liquidées. Plus de 1 100 PME et ETI ont aussi fait défaut, du jamais vu depuis plus de 10 ans. Des redressements judiciaires moins nombreux qu’avant Covid mais des liquidations judiciaires bien plus fréquentes illustrent la profonde détresse financière des entreprises qui font défaut actuellement ».

Assurer ses arrières

Plus brutales et soudaines, les liquidations judiciaires laissent les chefs d’entreprise dépossédés du jour au lendemain de leur raison de se lever le matin et de leur gagne-pain quotidien. Car rares sont les entrepreneurs, surtout dans les TPE et PME, qui ont ménagé d’autres sources de revenus que leur salaire de dirigeant. « Seul 1 % des chefs d’entreprises ont souscrit à une assurance chômage », assène Anthony Streicher, président de l’association GSC, créée il y a plus de 40 ans par les organisations patronales pour permettre aux entrepreneurs et aux mandataires sociaux de maintenir leurs revenus en cas de perte d’activité professionnelle. Comme la souscription de cette assurance-chômage n’est pas obligatoire, elle est souvent jugée trop chère ou superflue par des entrepreneurs par essence portés sur le goût du risque, et refusant d’envisager l’échec par optimisme béat ou quasi-superstition. « La plupart des chefs d’entreprise estiment à tort que l’assurance chômage est à un prix excessif, or elle est proportionnelle aux revenus du dirigeant et à la taille de sa structure », plaide Anthony Streicher, qui incite les patrons dubitatifs à faire une simulation sur le site de l’association en toute transparence. Mais comme toute assurance, ce n’est pas après le sinistre qu’on peut souscrire donc pour ceux qui attendent l’arrivée des difficultés, il est déjà trop tard pour assurer ses arrières.

La spirale mortifère des 7 D

Le message « l’échec fait partie de la vie de l’entreprise » a beau être martelé par toutes les associations d’accompagnement des entrepreneurs en difficultés qui ont fleuri dans l’écosystème ces dix dernières années, la culture du déni à la française a la vie dure. « Un entrepreneur a souvent un ego important et accepte avec difficulté une aide extérieure », rappelle Marc Rousse, président Auvergne-Rhône-Alpes de l’association 60 000 rebonds, qui a fêté l’année dernière ses 10 ans d’existence. « À la sortie du tribunal de commerce après une liquidation, l’ancien dirigeant perd à la fois sa raison d’être, son statut social et sa principale source de revenus. La chute peut être terrible et mener à des cataclysmes au niveau personnel », poursuit le porte-parole de l’association, qui lutte contre les « 7 D » qu’encourt un entrepreneur suite à sa liquidation judiciaire : le Déni, qui entraîne le Dépôt de bilan, la Dépression, la Dette personnelle, le Divorce, le Déménagement et, potentiellement, le Décès. « Des anciens patrons de PME employant plusieurs de dizaines de salariés réduits à vivre dans une chambre de bonne au lendemain de leur faillite », Marc Rousse en a rencontré même s’il précise que « la situation reste très hétérogène chez les entrepreneurs en difficultés, et en général plus la taille de l’entreprise est importante et plus les dirigeants ont les moyens de sécuriser leur patrimoine au moins partiellement en cas de coup dur ». Certes, l’adage populaire « on ne prête qu’aux riches », s’applique également à cette situation où les dirigeants de PME florissantes sont souvent courtisés par des fonds d’investissement leur permettant d’ouvrir leur capital dans des OBO qui matérialisent un précieux cash-out, judicieusement investi dans des placements diversifiés. Si le cycle se retourne et que l’entreprise est mise au tapis, le dirigeant, lui, ne se retrouve pas sur la paille…

La dangereuse caution personnelle

D’après l’observatoire de l’emploi des entrepreneurs, les dirigeants à la tête de petites structures (moins de 5 salariés), représentent près de 9 pertes d’emploi sur 10 pour le premier semestre 2023. Mais si le nombre de chefs d’entreprise de plus de 20 salariés ayant perdu leur emploi a décru pendant la crise Covid, il a doublé ce premier semestre comparé à l’année dernière. Les chiffres montrent également, ces derniers mois, une plus forte présence de PME avec une augmentation de plus de 100 % des chefs d’entreprise déclarant au-delà de 2 M€ de chiffres d’affaires pour leur société. « Si la loi est plus protectrice pour les entrepreneurs en faillite en ayant rendu insaisissable la résidence principale depuis 2015, il n’en reste pas moins que la plupart des dirigeants sont poussés à se porter caution personnelle par les banques avant d’accorder un prêt à leur entreprise », souligne Fabrice Develay, porte-parole de l’association Les Rebondisseurs Français et ancien huissier. Résultat, ça peut vite devenir la spirale infernale quand les difficultés s’amoncellent et que le dirigeant s’endette encore plus pour sauver sa boîte. « Comme au casino, il faut savoir perdre sa mise et ne pas essayer de se refaire jusqu’à sa dernière chemise », prévient Marc Rousse, de 60 000 rebonds. Dans une culture où l’argent est tabou, accumuler l’infamie de l’échec et le déshonneur de l’endettement est une épreuve que peu d’entrepreneurs traversent indemnes. « Il est difficile de trouver la bonne frontière entre l’engagement corps et âme de l’entrepreneur dans son projet et la prudence qui lui dicte de ne pas aller trop loin dans son investissement financier personnel », souligne Francis Lelong, du haut de sa longue expérience de success-stories et d’échecs. Le serial entrepreneur a dirigé et développé pendant 20 ans une dizaine de sociétés dans le digital, avec des succès tels que Sarenza.com. En décembre 2020, il cofonde Alegria.tech, la première agence No code en France. « Le risque est inhérent à l’entrepreneuriat, rappelle celui qui est devenu ambassadeur de l’association Les Rebondisseurs Français pour partager son expérience. Il ne faut donc pas rêver d’un monde sans risque mais plutôt adapter son niveau d’engagement financier en fonction de sa situation personnelle ». Il n’est donc pas inutile, malgré une foi infinie en sa bonne étoile, de se fixer certaines limites à ne pas franchir pour ne pas mettre en danger sa famille et ses enfants si le conjoint ne peut pas compenser la perte de revenus. Surtout, quand les signaux alertent sur les difficultés de l’entreprise, éviter l’aveuglement et l’acharnement thérapeutique en réinvestissant dans un gouffre fatal. « Donner une garantie personnelle sur un prêt pour sauver la boîte est malheureusement quasi-systématiquement une mauvaise idée », prévient Francis Lelong, qui s’est fixé comme limite de ne pas prendre d’engagement financier qu’il ne peut pas rembourser dans les cinq ans. D’autant que pour rebondir et se relancer dans l’entrepreneuriat il vaut mieux ne pas avoir laissé des dettes non remboursées à ses créanciers, et perdre la confiance de ses fournisseurs et autres parties prenantes. Rien de pire qu’une réputation de mauvais payeur pour annihiler toute chance de rebond.

 

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