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RESTRUCTURATION D’ENTREPRISE : QUELS SONT LES REDFLAGS ?

Les défaillances d’entreprises enregistrées au troisième trimestre 2022 ont augmenté de 69 % par rapport à la même période l’année précédente. Le premier trimestre 2023 s’inscrit dans la même tendance avec une hausse de 43,6 %, selon les chiffres d’Altares. La situation était anticipée depuis le débranchement des mesures de soutien de crise sanitaire. Elle est revenue au niveau des défaillances enregistrées avant le covid, en 2019. Mais le « mur de faillites » que certains avaient prédit est encore loin, car les dirigeants ont bien souvent appris à être à l’écoute des signaux faibles. Quels sont les premiers redflags qu’ils doivent prendre en compte dans cet environnement incertain et mouvant ? Quelles sont aujourd’hui les nouvelles difficultés dans la mise en place de la réorganisation ? Quelle stratégie mettre en oeuvre ?

ÉTAT DES LIEUX DU MARCHÉ

Lionel Lamoure : Les tensions sont aujourd’hui perceptibles sur le marché, non seulement dans les entreprises sous LBO qui doivent faire face au remboursement de leur dette, mais plus globalement dans l’ensemble des entreprises. Elles ont été confrontées à deux crises majeures qui ont impacté l’économie : le covid en 2020 et 2021, puis le début de la guerre en Ukraine en 2022. Elles ont eu besoin de sourcer de nouveaux financements, en particulier les PGE, qui leur ont permis, certes, de passer le cap, mais sont venus alourdir leur endettement. La reprise du marché en 2021 a été très brusque, avec des distorsions d’activité entre les marchés américains et européens et celui de la Chine, conduisant à des difficultés d’approvisionnement. Cette reprise brusque a en outre engendré des problèmes énergétiques dès 2021, accrus par la guerre en Ukraine, qui ont donné lieu à une explosion des coûts des matières premières, à l’inflation, à la hausse des taux... De fait, les entreprises ne sortent pas indemnes de ces trois années exceptionnelles. Les niveaux de défaillances augmentent, en particulier sur les PME et ETI, et on anticipe de dépasser les niveaux de 2019 en fin d’année. Nous vivons un début de nouveau cycle de restructuring. Il dépendra de l’anticipation des acteurs économiques, pour réagir face aux premiers redflags et pour prendre des mesures adaptées pour mieux restructurer et affronter l’avenir.

Cyril Ferey : Dans l’univers des startup, la douche a été très froide lorsque l’investissement s’est arrêté brusquement. Toutes les start-up qui allaient « scaler », c’est-à-dire croître rapidement, ont dû revoir leurs plans. Les sociétés de taille un peu plus importante, allant de la société de distribution à Blablacar, ont dû revoir la valeur de leur action mais également mener une restructuration interne, c’est-à-dire avancer de façon plus légère, couper des services ou faire des plans, voire redéfinir leurs priorités quitte à ralentir certains marchés. C’est donc un retour à la réalité dure du terrain sur un cycle qui ne leur est pas favorable, face à des investisseurs étrangers qui vont arriver sur une sorte de « black Friday » des entreprises et profiter d’offres très intéressantes.

Marcel Nakam : Dans le secteur du retail, les redressements et liquidations judiciaires successifs ont été très médiatisés : San Marina, Camaïeu, Kaporal, etc. Les aides étatiques ont été stoppées en 2022 et les chocs successifs, dont parlait Lionel Lamoure, ont été violents pour ces entreprises déjà très fragiles. Mais selon moi, ces acteurs étaient voués à disparaître. Leurs concepts, leurs produits, leur marketing n’avaient pas suffisamment évolué. Aux États-Unis, ils n’existeraient plus depuis longtemps. L’accélération de phénomènes brutaux comme le confinement, l’inflation, l’augmentation des indices des loyers commerciaux et de toutes les charges d’exploitation, ne leur ont laissé aucune chance.

Cyril Ferey : Penses-tu que ces sociétés zombies ont perturbé le marché et donc impacté les autres ?

Marcel Nakam : Ces sociétés ont sans doute perturbé les bailleurs de centres commerciaux qui se sont retrouvés, quasiment du jour au lendemain, avec un certain nombre de vacances. Mais c’était un monde à part. Pour le reste du marché, les tensions sur l’approvisionnement en provenance d’Extrême Orient entre 2020 et 2022 ont eu pour conséquence un recentrage de l’industrie sur les pays proches de la zone méditerranéenne (Espagne, Portugal, Italie, Maghreb, mais aussi la Turquie). Ce changement de sourcing brutal a eu des conséquences sur la hausse des prix bien sûr. Il nous arrive aujourd’hui de faire face à quatre hausses successives de prix dans une même saison, ce qui n’arrivait jamais auparavant. Cette nouvelle donne du marché a imposé un pilotage de crise pour les dirigeants. L’univers du retail a par ailleurs découvert, pendant la pandémie, que le e-commerce était fondamental. Au début du covid, les ventes sur Internet représentaient 9 % du marché de l’habillement. Aujourd’hui, elles culminent à 14 %. Chez Jonak, 50 % de notre activité se réalise on line. Cette tendance va clairement s’accentuer et je crois que le challenge des dirigeants du secteur du retail se situe à ce niveau-là. Nicolas Guyamier : L’année 2020 a été la meilleure pour les sociétés de transport. Toutes celles qui connaissaient des difficultés ont été protégées, accompagnées et aidées par tous les systèmes de perfusions étatiques possibles, notamment les PGE. En 2021, l’étau a commencé à se resserrer et 2022 a été l’année catastrophe, puisqu’en mars, le prix des carburants a été réévalué à hauteur de 50 %. Les entreprises qui avaient des systèmes d’indexation du prix de leur carburant s’en sont sorties correctement. Les autres, qui n’avaient pas de comptabilité analytique véhicule par véhicule, sont toutes en train de déposer leur bilan devant les tribunaux de commerce via les différentes propositions : mandat ad hoc, conciliation, voire sauvegarde. L’impact est conséquent sur le marché, car les différents acteurs ne sont plus cohérents sur leurs prix, ce qui est extrêmement handicapant.

LES SIGNES AVANT-COUREURS DE DIFFICULTÉS

Raphaël Miolane : Les crises ne peuvent pas toujours s’anticiper, comme celles que nous venons de vivre. Je crois que la plupart des entreprises s’étaient, un jour, interrogées sur le risque pandémique, avant de finalement l’écarter. Il y a donc des risques brutaux face auxquels l’entreprise doit être capable de réagir. Mais la plupart des autres crises doivent pouvoir être anticipées, à travers divers signaux, des indicateurs de probabilité. D’abord le facteur humain. Lorsque l’entreprise change de capitaine régulièrement, c’est probablement le signe d’un problème, d’une mauvaise gouvernance.

Marcel Nakam : Je partage votre avis : le turnover incessant, aussi bien au niveau des équipes dirigeantes que des magasins, est un indicateur très négatif.

Raphaël Miolane : Il convient ensuite d’analyser le secteur d’activité, qui peut être plus susceptible qu’un autre de faire face à une crise endémique. Il faut alors s’interroger pour comprendre comment, face à une même situation de confinement, il y a eu deux types de comportements : soit l’entreprise s’est interrogée pour réagir et se transformer en profondeur pour mieux affronter l’avenir, soit elle a été dans la complaisance. Enfin, il faut analyser les tendances macro-économiques, les signaux faibles de changement de cycle qui peuvent impacter chaque business. Avant le covid, les sociétés construisaient des plans pour savoir où elles allaient. Pendant la pandémie, elles ont appris à piloter à vue. Aujourd’hui, elles restent dans un pilotage au trimestre. Les dirigeants ne relèvent pas encore la tête pour se donner un horizon, pour prévoir leur avenir. Ils doivent reprendre cette hauteur de vue, pour être en capacité de réagir avec efficacité.

Marcel Nakam : Les marques qui ont périclité, se sont souvent concentrées sur la finance et les rapports de force créanciers/dirigeant qui ont dicté la stratégie de l’entreprise sans se concentrer sur des indicateurs business indispensables. Dans le retail, il convient de surveiller l’évolution du taux d’effort, c’est-à-dire le niveau du montant des loyers par rapport au chiffre d’affaires. C’est un premier warning à identifier dans un parc de magasins. La notion de chiffre d’affaires à constant est également à surveiller de près. Toutes les ouvertures de magasins ou de points de vente impactent directement le chiffre d’affaires des magasins à constant. Si le CA se maintient factuellement, mais qu’il est en réalité uniquement porté par du e-commerce et qu’il y a de nombreux frais pesant directement sur le niveau de rentabilité, le chiffre d’affaires à constant sera directement touché.

Sébastien Gauthier : De mon point de vue, le premier redflag est la performance de l’entreprise par rapport à ses confrères. Le secteur de la promotion est par exemple aujourd’hui en grande difficulté. Les plus faibles disparaîtront sous l’effet du choc. En revanche, même si le secteur traverse une crise exceptionnelle, les plus performants, aux bilans les plus sains, seront toujours là dans cinq ans. La responsabilité d’un dirigeant est avant tout de s’assurer que son entreprise est compétitive par rapport à ses confrères. C’est la meilleure assurance survie. Aujourd’hui, trop d’entreprises vivotent avec des endettements colossaux (second redflag), handicapant tout projet d’investissement et de redressement pour l’avenir. Face à un niveau d’endettement trop important, qui nécessiterait pourtant une restructuration de la dette, la plupart des créanciers acceptent des reports sans exiger de new money et de nouvel actionnaire. Le dirigeant reste en place, l’actionnaire bénéficie d’une nouvelle chance et le créancier espère être remboursé un jour. D’une certaine manière tous les acteurs trouvent un intérêt à repousser le traitement du problème même si l’entreprise est quasiment condamnée à vivoter car sans capacité future d’investissement. Les politiques de prévention des difficultés ont modifié le paradigme. Auparavant, lorsque l’entreprise se trouvait en difficulté, elle se rendait au tribunal de commerce qui, sous l’égide d’un administrateur judiciaire, validait un plan de reprise de l’entreprise par un nouvel actionnaire. L’intérêt de l’actionnaire en place qui avait échoué importait peu. Désormais, le dirigeant et l’actionnaire en place vont choisir, et payer, un conciliateur, des avocats et des auditeurs spécialisés qui vont travailler pour proposer un plan de redressement au tribunal. Ce plan prévoit rarement des financements ou un désendettement majeur car l’actionnaire en place n’en a pas les moyens. L’entreprise repart avec le même actionnaire, dans un esprit de continuité, souvent surendettée et sans nouveaux financements. Il aurait pourtant probablement fallu un électrochoc. La probabilité de rebond est faible. Nous voyons les dirigeants revenir plusieurs fois en utilisant toutes les procédures à leur disposition. C’est aussi un redflag. Nous savons tous que le dirigeant doit avoir une stratégie ambitieuse, un plan d’avenir pour le groupe, mais encore faut-il en avoir la capacité financière à le mener et accepter d’ouvrir son capital pour bénéficier du cash nécessaire à un vrai projet.

Raphaël Miolane : L’outil qui est au coeur du pilotage est la trésorerie et la gestion complexe du cash. Le lien sur le cash effectif de l’entreprise est trop peu maîtrisé.

Cyril Ferey : C’est parce que le métier de contrôleur de gestion a disparu au sein des entreprises. Il devait orienter tout le travail de la société vers ses objectifs, ses choix d’investissements. Mais les dirigeants ont cru qu’ils pouvaient décider eux-mêmes. Or ce n’est pas une vision d’entreprise qu’ils doivent donner, ils doivent être capables de livrer un fort décisionnel du point de vue financier. La cartographie des risques est un autre élément qui n’a pas assez été développé durant cette période de crise. Le covid aurait pu être l’occasion de cartographier ses fournisseurs, d’analyser leur santé, leurs risques en cas de fermeture de frontières, etc. Curieusement les sociétés n’ont pas pris ces précautions, notamment face à ceux qui sont à l’étranger. Pour anticiper, il convient de prévoir toutes les formes de scénarios pour, lorsque la crise survient, avoir l’esprit serein pour mieux décider. Sinon, le risque c’est que ce soient les salariés qui subissent, à terme, le manque d’anticipation via des PSE.

Marcel Nakam : L’erreur vient des dirigeants qui se sont trop longuement concentrés sur la stratégie financière, aux dépens de la stratégie business pour maintenir une activité pérenne et à flots. La finalité doit rester de gagner de l’argent.

Sébastien Gauthier : Passez-vous beaucoup de temps sur votre trésorerie ?

Marcel Nakam : Je dispose d’outils utiles et efficaces qui me font remonter l’information de manière fiable. J’ai une culture « ROIste », c’est-à-dire de petits loyers, d’achats de fonds de commerce, un BFR presque négatif car j’ai relativement peu de stocks et je vends très vite les produits grâce à une activité e-commerce développée. Ma trésorerie n’est pas une obsession, car j’en ai une gestion efficace.

GÉRER SON ENDETTEMENT

Lionel Lamoure : Le premier des redflags est le manque de fluidité dans le partage de l’information. À ce titre, le premier sujet à analyser est donc l’organisation interne de la société et son efficience. Y a-t-il une fluidité de l’information et, surtout, une fiabilité ? Peut-on suivre le cash ? L’organisation permettra d’avoir de la visibilité. Le dirigeant ne doit pas être en défaut d’information. Pourtant, c’est bien souvent le cas et c’est ce qui le conduit aux difficultés. Il est essentiel que la société soit entourée suffisamment tôt, pour faire un diagnostic profond et analyser ses leviers. La restructuration ne peut exister que s’il existe des leviers

Sébastien Gauthier : Des leviers opérationnels effectivement et de la trésorerie ! Très rares sont les sociétés qui sont arrivées à mener un plan de transformation sans cash. Il est essentiel de négocier des lignes de financement au moment de son plan, quitte à ouvrir son capital. Mener un plan de transformation sans marge de manoeuvre et avec un lourd endettement est quasiment impossible.

Lionel Lamoure : C’est pourquoi l’idée de levier est fondamentale. C’est lui qui va permettre à l’entreprise de savoir où elle va. Peut-elle s’engager vers une restructuration financière car les difficultés sont temporaires, et qu’elle peut pousser un peu sa dette LBO pour avoir du temps ? Aujourd’hui ce n’est pas vraiment la réalité car il y a des difficultés opérationnelles qui s’ajoutent. Est-ce que l’actionnaire peut remettre de l’argent en demandant, en contrepartie, des efforts plus importants aux prêteurs ? Est-ce qu’une cession d’actif non stratégique peut être réalisée ? Les réponses à ces questions participeront à construire un plan pertinent, permettant de ne pas simplement repousser le tas de sable et comprendre si l’entreprise peut encore survivre.

Sébastien Gauthier : Ne trouvez-vous pas que les difficultés opérationnelles sont souvent analysées comme des difficultés financières passagères ? On privilégie alors des solutions amiables de court terme dans le cadre d’une restructuration financière sans voir que l’on traite finalement le syndrome et non la maladie, c’est-à-dire une sous-performance persistante par rapport à ses concurrents.

Lionel Lamoure : Dans les dossiers qui arrivent, visant à restructurer la dette LBO, il n’y aura pas le choix. De manière un peu schématique, les fonds devront choisir de se consacrer aux entreprises dans lesquelles ils croient, et donc de les financer en injectant de la new money, en montrant l’exemple. Ou bien, ils couperont et céderont l’entreprise pour un prix symbolique, in bonis via une conciliation ou via un pré-pack cession, pour permettre à un nouvel entrant de restructurer et financer le plan de retournement.

Sébastien Gauthier : La conséquence actuelle pour les investisseurs en retournement, c’est qu’il n’y a que très peu de dossiers qui aboutissent car actionnaires et créanciers ont peu d’intérêt à reconnaître la situation de surendettement ou de faiblesse opérationnelle. Des accords de conciliation exigent quelquefois une ouverture au capital. Les investisseurs proposeront une dilution à l’actionnaire et un abandon aux créanciers. Or ni l’actionnaire ni le créancier n’ont d’intérêt à accepter cette proposition et préfèrent finalement ne pas reconnaître la situation et se donner un peu de temps. Au lieu d’ouvrir son capital, l’actionnaire choisit alors d’activer tous les leviers possibles pour se donner six mois ou un an de plus. Il cédera un actif immobilier, il fera un crédit-bail sur les machines, il fera du reverse factoring sur le retail…. d’une certaine manière, l’actionnaire hypothèque un peu plus l’avenir de l’entreprise pour se donner une nouvelle chance. La cession des actifs est aussi un redflag. De mon point de vue, soit l’actionnaire est prêt à remettre au pot, soit le dirigeant, dans l’intérêt social de son entreprise, doit en chercher un autre. A minima, une ouverture minoritaire doit être discutée pour apporter des moyens et des idées.

Nicolas Guyamier : Sur la plupart des entreprises que je rachète, j’ai constaté toujours la même difficulté : les sociétés ont vendu l’immobilier, se sont mises en Dailly, se sont mises en factor, et ont cherché l’ensemble des solutions possibles pour gagner du temps en empilant des dettes supplémentaires qui ont continué à creuser leur propre tombe. Elles arrivent en cessation des paiements quelques dizaines de mois après le début de leurs difficultés.

Sébastien Gauthier : Ces groupes ont un effet zombie sur l’ensemble de l’écosystème car ils empêchent d’autres entreprises de se développer en créant plus de marges. Ils ont en définitive asséché leur marché.

RÉAGIR FACE AUX PREMIÈRES DIFFICULTÉS

Raphaël Miolane : Lorsque l’entreprise a encore un résultat positif mais qu’elle ne parvient plus à faire face aux difficultés, elle doit rapidement réaliser des actions simples et focalisées. Le point clé, c’est la vitesse. Il y aura peutêtre de mauvaises décisions mais, si elles sont prises vite, l’entreprise pourra rebondir. Certains dirigeants peuvent être effrayés par ces tensions et c’est normal. Mais les procédures de restructuration judiciaire peuvent être une aide pour eux, sans les remettre en question en tant que personne. J’ai personnellement piloté plusieurs opérations de restructuring en France et en Grande Bretagne. Face aux signaux faibles, le dirigeant doit prendre des décisions dures mais rapides à mettre en place pour se donner le temps de trouver les meilleures options. Il faut trouver du new money pour se donner de l’oxygène. Or en trouver dans le distress en France est compliqué, contrairement à la Grande-Bretagne. Il convient ensuite d’agir en profondeur en acceptant, probablement, des remises en cause. Le dirigeant est souvent seul et doit s’entourer d’autres profils pour avoir accès à des solutions, à d’autres points de vue. Son conseil d’administration, voire son groupe de conseils, doit être présent pour l’accompagner en confiance.

Nicolas Guyamier : Je peux témoigner de cette solitude du dirigeant. J’ai 37 ans aujourd’hui, mais lorsque j’ai repris l’entreprise familiale, j’en avais 25. À l’époque, l’entreprise comptait quelque 180 collaborateurs et un dirigeant unique. La première décision que j’ai prise a été de rapprocher l’entreprise d’un groupement de transporteurs, pour créer un comex visant à réfléchir à plusieurs à diverses solutions de sauvetage.

Lionel Lamoure : Le positionnement de l’actionnaire fonds doit également être évoqué. Certains n’ont pas encore cette expérience du restructuring et peuvent parfois piloter cette étape d’un peu loin. Dans d’autres situations, il peut y avoir une sorte de déni partagé entre le fonds et le management conduisant à repousser l’échéance en se convainquant mutuellement que tout ne va finalement pas trop mal par excès d’optimisme. Certains, enfin, sont heureusement très vigilants car leurs équipes ont parfois géré des difficultés et savent les anticiper en s’entourant. L’accompagnement est d’ailleurs la clé dans un moment de crise. Le dirigeant pourra s’appuyer sur des experts pour mettre en place des procédures dans l’intérêt du business. Une restructuration réussie part toujours du business, des problématiques de terrain, qui sont parfois très éloignées des sujets de remboursement de dette LBO.

Nicolas Guyamier : En matière de restructuring, j’estime que les tribunaux de commerce devraient imposer aux entreprises qui peuvent être sauvées la mise en place de managers de transition spécifiques au secteur d’activité. Lorsque j’ai placé l’entreprise en redressement judiciaire, l’avocat et l’administrateur judiciaire avaient une vision large de l’entreprise. Ils ne sont pas venus prendre les commandes pour m’aider au quotidien. L’administrateur est nommé pour venir dégrossir une situation et accompagner l’entreprise pour avancer via un plan de continuation, ou une cession. L’avocat, lui, défend l’entreprise et accompagne le dirigeant. Mais durant tout ce temps, l’opérationnel doit continuer si l’on veut sauver le groupe. Or si elle a connu des difficultés, c’est que des erreurs de gestion ont préalablement été commises. Je pense donc que des managers de transition spécialisés dans le secteur seraient à même d’accompagner le dirigeant en lui fournissant les clés adaptées à son activité.

Raphaël Miolane : J’ai été CEO de transition dans des entreprises en difficulté et j’ai pu constater que la solitude du dirigeant est un mal bien réel, crise ou pas crise. L’appartenance au réseau YPO – Young president organization – a été pour moi essentielle. C’est un lieu de partage entre pairs sur l’intégralité des difficultés qu’il rencontre (business, physique, familiale). Je rejoins votre appréciation sur la vitesse qu’apporte quelqu’un d’expérimenté. Elle déterminera la capacité de rebond. Lorsque le dirigeant doit prendre des décisions graves dans un contexte où il y a du bruit – le bruit venant de son patrimoine, de sa famille, de sa réputation, de ses employés… – il peut avoir la tentation de traîner un peu plus. S’entourer de personnalités expérimentées de l’industrie, est un cadeau qu’il se fait.

Cyril Ferey : L’idéal étant de composer une équipe de crise avec différents talents. Le manager de transition est parfois mal perçu dans l’entreprise. Il intervient souvent à la demande des investisseurs, ce qui pose des problèmes de légitimité en interne. Il convient peut-être plus de prévoir un co-pilotage avec le dirigeant existant, que d’envoyer un manager de transition seul.

LA BOÎTE À OUTILS JURIDIQUES

Lionel Lamoure : Pour chaque dossier il faut constituer l’équipe adéquate. L’un d’entre eux peut avoir simplement besoin d’un manager de transition pour revêtir la casquette de dirigeant pendant un temps. Un autre pour aider le directeur financier. Mais le chef d’orchestre est bien souvent l’avocat, car c’est lui qui fera le lien entre toutes les parties prenantes pour dégager une solution commune. Son rôle n’est pas que juridique. L’avocat restructuring doit comprendre le business, les difficultés, pour dégager les grandes problématiques et déterminer les leviers adéquats. Si la difficulté peut se traiter hors de tout cadre, c’est idéal. S’il convient de passer par une solution amiable – mandat ad hoc ou conciliation – la problématique sera gérée sur la base du business plan avec les partenaires déjà présents autour de la table pour restructurer la dette, permettre un refinancement, apporter de la new money. L’objectif est de donner du temps à l’entreprise, de permettre aux équipes de travailler au day-to-day. Si l’entreprise est en cessation des paiements et que la difficulté, plus importante, nécessite de verrouiller tout le passif, elle devra passer par une procédure collective. Dans certains cas, l’ouverture d’une procédure amiable ou d’une sauvegarde peut créer un électrochoc. Elle permet à tout le monde de poser le crayon, de s’asseoir autour d’une table pour faire un état des lieux, construire un plan, renégocier la dette, pour permettre la mise en oeuvre du plan.

Sébastien Gauthier : Qui prépare le plan de redressement à tes côtés ? Le dirigeant en place avec ses équipes ou ses conseils ?

Lionel Lamoure : En dehors des dossiers sous LBO, j’ai vu d’excellents plans de sauvegarde élaborés avec les dirigeants. Ils ont le mérite de poser le problème, de faire un électrochoc sur leur marché et de dire qu’ils ne subissent pas une situation mais sont en train de reconstruire, grâce aux outils du restructuring. Dans certains exemples, il a également fallu mener des contentieux importants pour défendre les intérêts de la société face à des co-contractants ou des créanciers. J’ai également vu se construire d’excellents plans grâce à l’input de nouveaux entrants. Un diagnostic est partagé et la capacité est donnée pour aller plus loin que ne l’aurait fait l’entreprise seule. Cette association peut être très intéressante dans certaines hypothèses.

Marcel Nakam : Je n’ai jamais connu de tels scénarios dans l’entreprise Jonak. Mais au préalable, j’ai travaillé durant cinq ans au sein du groupe Beaumanoir en tant que bras droit du patron. J’avais la charge du rachat des entreprises en difficulté : Morgan, La City… L’une des clés pour gérer cette période a été de faire preuve de transparence vis-à-vis des salariés. Nous faisions des réunions semestrielles durant lesquelles nous étions très honnêtes sur les pertes, les gains, le chiffre d’affaires, etc. Lorsque nous étions conduits à préparer des PSE, il fallait l’annoncer officiellement. Bien sûr ce type d’information n’est pas bien perçu, mais il faut tout de même parfois en passer parlà pour que l’entreprise puisse rebondir.

Lionel Lamoure : Dans l’hypothèse où la procédure est publique, les salariés sont au courant des difficultés et il faut être proactif dans la communication. S’il s’agit d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation, il faut communiquer une fois l’accord trouvé et mettre en avant le travail mené. Mais il convient de préserver, au préalable, une confidentialité absolue qui est le gage de la réussite.

Raphaël Miolane : L’objectif est tout de même que, le jour où l’information devient publique, la situation de l’entreprise ne soit pas une totale découverte pour les salariés. Le dirigeant doit montrer qu’il est au combat pour sauver l’entreprise, voire les emplois autant que possible. Il est donc important de vulgariser les indicateurs économiques, faire preuve de pédagogie pour que les salariés suivent le leader.

Sébastien Gauthier : La transparence démontre une certaine authenticité dans le comportement du dirigeant. C’est elle qui permet la confiance des salariés dans leur dirigeant et fournira l’énergie pour enclencher la roue du changement. Elle est indispensable.

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