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Actionnariat salarié : atout ou double peine pour les entreprises en difficulté ?

Outil par excellence du partage de la création de valeur et d’un capitalisme plus social, l’actionnariat salarié est plébiscité pour les entreprises en croissance. Mais quand le cycle se retourne, agit-il comme une épée de Damoclès ou comme un facteur de résilience ?

Les déboires récents de Scopelec, la plus importante société coopérative ouvrière de France, spécialisée dans la pose de fibre optique, placée en redressement judiciaire fin septembre, a tristement attiré l’attention sur le statut des salariés actionnaires. Les quelque 2 500 employés de la scop, détenant les trois-quarts du capital, risquent non seulement de perdre leurs emplois dans une procédure de liquidation qui verra l’entreprise vraisemblablement démembrée, mais aussi une bonne partie de leur épargne, « de 20 000 à 30 000 € pour certains », selon un délégué syndical Force ouvrière de la société cité par le journal Le Monde. Certes, le cas des coopératives reste assez atypique dans la mesure où les entreprises sont majoritairement, voire exclusivement, contrôlées par leurs salariés, et relèvent bien souvent du champ de l’économie sociale et solidaire. « Les scop ne sont pas un modèle de bonne gestion à l’inverse des PME et ETI purement entrepreneuriales ou détenues par des fonds d’investissement », glisse en outre un conseil financier, manifestement sceptique face à la culture des coopératives. Mais on ne peut toutefois pas s’empêcher de soulever la question du destin des salariés actionnaires de plus en plus nombreux des entreprises moyennes et intermédiaires du non coté en cette période où la récession pointe inéluctable le bout de son nez.

Retour des défaillances

à l’heure où l’horizon s’assombrit pour les entreprises confrontées au choc énergétique et à l’inflation des coûts, et lestées par des PGE qu’elles sont loin d’avoir encore remboursé, les défaillances connaissent une augmentation sans précédent après l’arrêt des dispositifs exceptionnels liés à la crise sanitaire. D’après les statistiques du troisième trimestre d’Altares, le nombre de procédures augmente de 69 %, un taux jamais observé en 25 ans, mais reste très inférieur aux seuils de 2019. « L’hypothèse d’un volume de défaillances d’entreprises contenu sous la barre symbolique des 40 000 en 2022 reste à ce stade plausible mais compromise. Le risque de pénurie d’énergie et l’envolée des prix complexifient fortement l’équation budgétaire des prochains mois pour de très nombreuses entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité, commente Thierry Million, directeur des études Altares. D’autant qu’au-delà des factures qui flambent, s’ajoute la problématique du remboursement des dettes (classiques et/ou PGE), ou auprès des Urssaf. Ces dernières ont joué un rôle tampon durant la crise mais, à l’instar du reste de l’économie, le retour à la normale prévaut et avec lui les échéances de règlement qu’il va falloir tenir. Par conséquent, en début d’année prochaine, les tribunaux pourraient retrouver davantage d’assignations déposées par l’organisme en action en recouvrement. La remontée des défaillances d’entreprises qui semble donc bien irréversible se poursuivra en 2023 ».

En attendant cette échéance fatidique, les dossiers de restructuring se font encore rares heureusement et les PME et ETI qui ont ouvert leur capital à leurs salariés semblent particulièrement épargnées. L’édition 2022 du baromètre de l’actionnariat salarié non coté, publié chaque année par Equalis Capital reflétant la valorisation de 50 PME et ETI à actionnariat salarié, affiche une progression de 35 % en 2022 et de 166 % sur 5 ans.

Modèle de résilience

« Depuis la création d’Equalis en 2009, nous n’avons été confrontés qu’à un seul cas où l’action du FCPE des salariés est tombée à zéro, témoigne Jean-Philippe Debas, fondateur de la société de gestion spécialisée dans l’actionnariat salarié des PME et ETI. Dans cette circonstance, l’investisseur financier a proposé aux salariés de racheter leurs parts au prix de leur mise de départ. La moitié a accepté cette offre et l’autre moitié a préféré parier sur le redressement de l’entreprise qui fut mené avec succès et leur a permis au final de réaliser 2,5 fois leur mise à la sortie du fonds d’investissement ». Un happy end qu’ont connu également les salariés-actionnaires de Carbone Savoie repris en retournement par Alandia en 2017 et revendu au groupe japonais Tokai Carbon en juillet 2020. L’industriel savoyard, vainqueur du prix du retournement Ulysse 2019 grâce à sa résurrection spectaculaire, est passé de l’état moribond en 2016, avec des pertes de près de 30 M€ pour un chiffre d’affaires d’environ 60 M€ à une pépite convoitée avec des revenus de 128 M€ et un Ebitda de 26 M en 2019. Les 380 salariés des deux usines de production à Notre-Dame-de-Briançon en Savoie et à Vénissieux dans le Rhône ont donc brièvement goûté à l’actionnariat-salarié pendant quatre ans dans le cadre d’une augmentation de capital réservée à laquelle ont souscrit 95 % des employés et qui leur a permis de prendre part à la belle plus-value réalisée par Alandia. Preuve que ce dispositif d’alignement d’intérêt entre salariés et actionnaires peut fonctionner également en situation de redressement pour booster la motivation des employés et les fédérer autour du projet d’entreprise. C’est également la conviction de François Guérin, p-dg de Cetih, ETI de menuiserie industrielle qui a adopté un statut d’entreprise à mission et a réussi en 2021 à embarquer plus de 700 salariés dans un FCPE possédant 17 % du capital. « Notre modèle est puissant quand l’environnement est porteur mais aussi résilient quand les temps sont plus durs », assure François Guérin, qui a été toutefois vigilant à ne pas trop exposer ses salariés à l’actionnariat de l’entreprise en les incitant à la prudence et en les dissuadant de s’endetter pour accéder au FCPE. Idem pour son confrère vosgien Les Zelles, qui a reconfiguré son tour de table en invitant l’ensemble des salariés à devenir son principal actionnaire avec plus de 35 % du capital au lendemain de la crise sanitaire, alors que le chiffre d’affaires avait accusé une baisse de 20 %. « J’ai tenu à ce que l’ensemble des salariés soit actionnaire grâce à l’abondement unilatéral que permet la loi Pacte. Parallèlement, un peu plus des deux-tiers ont mobilisé leur épargne sous forme d’intéressement et de participation. Enfin, les cadres du comité de direction ont montré l’ampleur de leur engagement en investissant l’équivalent d’une année de salaire chacun, soit le plafond maximum prévu par la loi Pacte », confiait à NextStep Laurent Demasles, président des Zelles, aux manettes opérationnelles depuis 2017 et artisan du redressement de l’ETI vosgienne, qui a connu des difficultés dans les années 2015 et 2016 à la suite de la crise du BTP.

Conseillé par le spécialiste de l’actionnariat salarié Equalis Capital, Laurent Demasles planche sur un scénario qui offrirait à tout le monde les mêmes conditions d’entrée plutôt que d’avoir des cercles d’actionnariat différenciés comme on les retrouve habituellement dans les LBO. Il trouve la réponse dans la nouvelle version du FCPE de reprise de la loi Pacte qui permet un abondement défiscalisé, une mise plafonnée à un an de salaire au lieu de 3 mois auparavant, et favorise l’ancienneté en permettant d’arbitrer entre le plan d’épargne salariale et le FCPE de reprise. Le dispositif permet également la mise en place d’une décote de 30 % au bout de cinq ans de blocage. L’entreprise puise dans son cash pour offrir 200 € d’abondement à tous les salariés, y compris ceux qui ne peuvent pas participer, en plus de 600 € pour ceux qui investissent. Autrement dit, pour une mise de 1 000 €, soit l’équivalent du montant de la participation et intéressement en 2019, le salarié se retrouve avec 1 800 € grâce à l’abondement et 2 500 € au bout de cinq ans grâce à la décote de 30 %. Ainsi, même avec un risque de perte en capital inhérent à tout investissement actionnarial, les salariés se retrouvent exposés sur une partie relative de leur épargne.

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