Qu’est-ce qu’une opération sponsorless ?
Philippe Dutheil : C’est une opération dans laquelle un manager, ou une famille, reste majoritaire dans la configuration du capital de son entreprise. C’est en quelque sorte l’aboutissement du LBO, qui est finalement une opération de transmission avec un fonds majoritaire permettant au management de monter au capital. Après une deuxième, voire une troisième opération de LBO, le management peut vouloir voler de ses propres ailes en détenant la majorité du capital. C’est alors souvent à ce stade qu’une opération sponsorless prend tout son sens.
Mounir Letayf : Le marché français du LBO est le plus mature d’Europe continentale. Le management package est au cœur de tous les dossiers, grâce notamment à l’existence de cabinets et d’équipes spécialisées pour accompagner les dirigeants sur l’ensemble de leurs questions patrimoniales. Nous avons nous-mêmes développé des outils permettant de concilier les intérêts des managers et des fonds afin de réaliser au mieux ces opérations en combinant notre expertise juridique et notre connaissance du marché. Les managers sont de plus en plus aguerris et vont eux-mêmes chercher de la dette sur le marché, alors que c’était longtemps le pré carré des fonds de private equity. Dès lors, de plus en plus de fonds ont structuré des véhicules spécialisés pour se positionner sur ce type de prise de participation minoritaire. Le sponsorless n’est finalement rien d’autre qu’une opération de buy-out dans laquelle le dirigeant prend le contrôle majoritaire de son entreprise, parce qu’il a accumulé suffisamment de plus-value et de pouvoir pour mettre en place cette configuration.
Philippe Dutheil : Ce marché a débuté
à la fin des années 2000 avec des acteurs de la mezzanine qui se sont spécialisés sur ce segment de marché, face à la montée en puissance des LBO secondaires et la sophistication des management packages. Le sponsorless est une forme de management package ultime puisqu’il permet une relution immédiate des dirigeants. Le terme est cependant mal choisi, car l’opération implique bien un fonds, qui est le mezzaneur. C’est le management, et la famille qui a sa destinée en main, et le fonds mezzanine qui accompagne. Nous préférons donc parler d’opération « management » ou « family » sponsored.
Ces opérations se développent également sur des entreprises familiales, qui n’ont jamais connu
de LBO. Comment l’expliquez-vous ?
Philippe Dutheil : Depuis dix ans, Siparex Intermezzo a mené une quarantaine d’opérations de ce type. Ces outils se prêtent particulièrement à des opérations de reconfiguration du capital dans des entreprises qui ont une culture familiale forte et qui veulent garder le pouvoir.
Dans notre portefeuille, nous avons un bon exemple. Ce groupe était alors à la troisième génération de la famille au capital,
mais avec deux branches de la lignée
à 50-50. Comme c’est souvent le cas,
les deux branches n’avaient pas le même impact opérationnel. Cette opération sponsorless a permis de redonner
le contrôle à la branche de la famille la plus impliquée.
Nous intervenons également sur des opérations de développement. Lorsqu’une entreprise managériale ou familiale prévoit une opération d’acquisition structurante, elle va la financer naturellement avec de l’endettement bancaire. La question peut alors se poser d’ouvrir son capital pour compléter le financement, avec des outils peu dilutifs.
Mounir Letayf : Cette flexibilité des fonds quant au mode de financement est de nature à rassurer les dirigeants, car ils font face à des acteurs qui n’apportent pas uniquement de la dette, mais qui croient dans le plan présenté et souhaitent l’accompagner.
C’est également une option intéressante pour les mezzaneurs qui se font de plus en plus rares dans un schéma classique de LBO.
Quelles sont les conditions à ces opérations ?
Philippe Dutheil : Pour structurer ce type d’opération, le profil de l’entreprise doit être plutôt résilient, non cyclique, et générer du cash-flow de façon récurrente. La société ne doit pas non plus être déjà trop endettée.
Le profil du dirigeant est un autre critère. Il doit avoir une visibilité suffisante sur son business plan pour s’assurer que la création de valeur sera supérieure à son coût de financement. Ce type d’opération est révélateur de la confiance du dirigeant dans ses perspectives et son plan de développement. Lorsqu’une hésitation est marquée, c’est presque un warning pour nous. L’équipe de management qui entoure le dirigeant doit également être solide - on fait toujours attention aux one man show en private equity.
Quel est le rôle du fonds dans ces opérations ?
Philippe Dutheil : Dans le monde des mezzaneurs et des financements subordonnés, il y a différentes familles d’investisseurs. Certains viennent plus de la dette et ont plus une culture de prêteurs et d’accompagnement plus passif. D’autres ont un ADN equity et sont des vrais sparring-partners. C’est le cas de Siparex, nous avons même développé une plateforme opérationnelle pour accompagner l’entreprise sur différents sujets : la transformation digitale, la RSE, qualité de la marque employeur, etc.
Mounir Letayf : La professionnalisation des investisseurs encourage le développement de ce type d’opérations. L’accompagnement classiquement proposé par des fonds de private equity majoritaire peut aujourd’hui être recherchée par le manager chez un partenaire financier sans qu’il ait besoin de se diluer. Il trouve alors une solution de financement en quasi-fonds propres, mais qui en plus va lui apporter cet accompagnement opérationnel utile à son développement.
Pensez-vous que l’opération sponsorless va devenir une phase préalable au LBO ?
Mounir Letayf : Sur l’un des dossiers sur lesquels nous sommes intervenus, ce type de configuration s’est en effet présenté. Nous avons accompagné des radiologues qui cherchaient à construire un groupe et à s’adjoindre un certain nombre de professionnels. L’opération sponsorless a alors permis de d’abord restructurer le capital de la société, pour ensuite lui permettre de faire entrer un fonds de private equity.
Philippe Dutheil : Le sponsorless peut être une façon pour les managers de « tester » le private equity, c’est-à-dire de comprendre comment ce monde fonctionne. Face à un besoin de transmission majoritaire, il faut se tourner vers des fonds de LBO classiques. Mais dans les autres cas, c’est une alternative sérieuse au LBO minoritaire. Je dirais même que c’est l’avenir du LBO minoritaire, car nos outils obligataires solutionnent en bonne partie les problématiques de liquidité à la sortie.
Mounir Letayf : Les quasi-fonds propres peuvent en effet se structurer en dette pure, sans être dilutifs au capital, avec des financements de type obligataire auxquels on adjoint un equity kicker non dilutif immédiatement mais qui permettra un complément de rémunération indexé sur le capital et la plus-value et qui se réalisera véritablement à la sortie. Le management actionnaire n’a pas à se poser la question, dans le pacte, du moment où il devra déclencher une liquidité.
Ce financement a bien sûr un coût qui se situe entre 10 % et 15 % des montants engagés mais il est peu consommateur
de cash flow. Il n’y a pas d’amortissement de capital et les intérêts sont purement capitalisés. Les liquidités de la société sont donc préservées et peuvent être allouées au développement de l’activité et non au remboursement de la dette. Dans un marché de taux d’intérêt haussier, ce financement est de plus en plus attractif.
Philippe Dutheil : Un fonds en equity aura besoin de trois à cinq ans pour que la création de valeur se réalise et organiser sa sortie. Dans le sponsorless, les outils ont une maturité longue mais, dès la deuxième année et si l’entreprise
a connu une croissance rapide,
le fonds mezzanine peut être sorti. Pour un dirigeant qui a une feuille de route claire,
cette option est donc particulièrement souple.