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Growth equity : des investissements pour financer les futurs champions mondiaux de la tech

De plus en plus d’entreprises technologiques françaises concrétisent des tours de financement d’envergure, grâce aux fonds de growth equity. Décryptage de ces investissements désormais fréquents, dont les modalités diffèrent quelque peu de ce qui se pratique ailleurs dans le private equity. Entretien avec Alice Albizzati, associée-cofondatrice de Gaia Capital Partners, et Guillaume Vitrich, associé du cabinet White & Case.


Le growth equity est-il en train de gagner ses lettres de noblesse en Europe ?


Alice Albizzati : Il s’agit d’un marché en pleine expansion. Bien qu’ayant peut-être montré avec quelques années de retard son intérêt pour ce segment d’investissement, l’Europe est en train de rattraper l’Asie et les États-Unis, car il existe un vivier de plus en plus important de sociétés technologiques nécessitant un apport de fonds propres pour financer leur phase de scale-up. C’est pourquoi nous nous positionnons à leurs côtés pour les aider à devenir des champions mondiaux depuis notre lancement, en 2018.


En quoi cela diffère-t-il de l’accompagnement proposé par les fonds de LBO ?


Guillaume Vitrich : Les entreprises technologiques intéressent globalement toutes les catégories d’investisseurs, car ils sont tous à même d’apporter des solutions différentes selon les besoins exprimés, et ce à chacun des stades de croissance de ces sociétés. Il n’est donc pas nécessaire d’opposer growth equity et buy-out growth, d’autant qu’ils ont pour dénominateur commun la technologie. Cela étant, si l’on veut tirer à grands traits, on peut estimer que le premier segment cible les sociétés tech par essence, alors que le second s’intéresse plus traditionnellement à des sociétés déjà rentables et dont le business model s’appuie sur le digital en tant que vecteur d’accélération de croissance.


A.A. : Les fonds de growth equity s’inscriront donc plutôt dans la continuité des fonds de venture, en prenant des positions minoritaires au capital d’entreprises en croissance – rentables ou non –, tandis que les acteurs du buy-out growth chercheront essentiellement des positions majoritaires dans des sociétés rentables. Les deux segments d’investissement sont d’autant plus complémentaires que l’on voit parfois les seconds prendre le relai des premiers, comme cela a été le cas pour Kyriba, par exemple.


Les investissements en growth equity présentent-ils des spécificités ?


G.V. : Étant donné qu’il s’agit de prises de participation minoritaires, le premier sujet clé que l’investisseur doit avoir en tête concerne la gouvernance. De façon assez classique, cet actionnaire doit pouvoir s’assurer au moins un droit de regard sur les décisions structurantes de la société, voire un droit de véto.


A.A. : Dans un dossier de growth equity, la gouvernance n’est pas si éloignée de ce qui se pratique dans l’univers du LBO, au sens où l’équipe dirigeante reste à la manœuvre et définit la trajectoire de croissance de l’entreprise. Evidemment, celle-ci doit faire l’objet d’une vision commune et cela ne peut se construire que dans le cadre d’une relation de confiance. Pour autant, en raison de sa position minoritaire, le fonds de growth equity devra s’inscrire dans une gouvernance collective, de consensus. À charge pour lui de se positionner comme un « sparring partner » pour l’équipe dirigeante.


G.V. : L’autre sujet clé auquel le fonds doit veiller concerne la protection de la valeur de son investissement. Celle-ci peut être abordée sous deux angles : la mise en place de clauses de liquidation préférentielle, pour assurer une « juste » répartition du prix de cession en préservant ceux qui ont payé le plus cher leur entrée, ainsi que l’élaboration de mécanismes de protection avec instruments relutifs, au cas où un tour de table ultérieur serait structuré sur la base d’une valorisation plus faible que les précédents. C’est là qu’interviennent les mécanismes de ratchet, par lesquels on associe, aux actions de préférence, un BSA pour offrir un instrument de relution.


A.A. : Un investisseur en growth doit faire preuve de créativité, même s’il faut privilégier les instruments les plus simples pour garantir l’alignement des intérêts. La norme pratiquée sur le marché revient à instaurer un niveau de préférence de 1, même s’il peut être envisagé de monter à 2 ou plus… Il s’agit de parvenir à un compromis : l’investissement doit se faire autour du bon niveau de valorisation, pour assurer l’intérêt des dirigeants, et inclure des actions de préférence, pour sécuriser les investisseurs.


Nombre de fonds rechignent à être minoritaires. N’est-ce pas trop contraignant dans le cas présent ?


A.A. : Il faut au contraire voir cela comme un atout. Un conseil d’administration qui rassemble des co-investisseurs aux profils différents, où nous pouvons côtoyer par exemple des fonds américains ou des corporates, se nourrit des approches de chacun, de sorte à confronter plusieurs angles de création de valeur.


G.V. : C’est quelque chose qui se dessine même avant de constituer le tour de table. Je conseille régulièrement aux dirigeants-fondateurs de prêter une grande attention aux term sheets qu’ils reçoivent pour y déceler ce que pourra être la valeur ajoutée d’un nouvel actionnaire, en examinant de quelle façon son regard pourra aider l’entreprise à se développer.


A.A. : Nous sommes d’ailleurs pragmatiques quant à notre présence ou non au conseil. Loin de nous cantonner à un schéma inique, nous préférons parfois y inviter un expert opérationnel pour aider les dirigeants au quotidien, de sorte à mettre dans la manche de l’entreprise tous les atouts pour garantir sa phase de scale-up. C’est ce que nous avons déjà fait à deux reprises…


Quelle est la marge de négociation de l’investisseur entrant, sachant que les perspectives de croissance de l’entreprise lui donnent l’avantage ?


A.A. : Un tour de growth equity intervient à un moment de la vie de l’entreprise où la gouvernance a déjà été définie dans les grandes lignes par les fonds de venture présents au capital. Pour ce qui nous concerne, nous essayons de toucher le moins possible à la gouvernance et aux clauses existantes, d’autant que les pratiques de marché sont assez standard. En règle générale, plus on avance dans les tours de financement, moins il y a de discussions sur les droits et sur le pacte. C’est bien la raison pour laquelle nous mettons plutôt l’accent sur le fait de savoir s’entendre avec l’équipe dirigeante : c’est l’une des conditions de notre investissement.


G.V. : N’oublions pas que l’objectif est d’aider la société à grandir. L’essentiel, c’est de s’assurer de la façon dont investisseurs et dirigeants peuvent vivre ensemble. En growth equity, une négociation ne doit pas être un rapport de force.


La crise liée au Covid-19 a-t-elle affecté le growth equity ?


A.A. : Au début de cette crise, nous nous sommes tous posé la question de savoir comment nous pourrions traverser cette phase. Avec plus d’un an de recul, on voit l’effet accélérateur de cette période sur la croissance des sociétés de technologie. Celles évoluant en Bourse ont vu leur valorisation bondir et, de façon parallèle, les fonds ont montré encore plus d’intérêt pour le growth equity. Les liquidités sont toujours là…


G.V. : C’est pourquoi on voit toujours autant de tours signés avec des montants élevés. Avec cependant la nécessité d’élargir le champ des due diligences juridiques pour évaluer les risques induits par des mesures comme le chômage partiel ou les prêts garantis par l’Etat (PGE). Aux yeux d’investisseurs américains, il peut y avoir un risque réputationnel pour une entreprise qui aurait bénéficié de ces mesures, au point d’en exiger la restitution. Cela étant, dans les grandes lignes, il n’y a pas eu de chamboulement dans les protocoles d’investissement.


Par Charles Ansabère

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