Quels ont été les principaux changements en matière de conformité affectant les fonds de private equity, au niveau
de la société de gestion et des cibles ?
Aïchatou Diop : Au niveau de la compliance regulatory, c’est-à-dire les réglementations liées à la société de gestion, il y a eu une multitude de textes visant par exemple, la lutte contre le blanchiment d’argent,
la corruption, la fraude fiscale, l’encadrement des données personnelles, l’ESG etc… Les sociétés de gestion doivent faire face à la pression des régulateurs et des investisseurs. Dans le monde financier, une bonne réputation aide
à attirer et fidéliser les investisseurs.
Avec la création de la fonction compliance en 2006, les fonds ont dû s’adapter rapidement et se doter d’équipes compliance. Les domaines d’intervention des équipes compliance sont fonction de la maturité et de l’exposition du fonds aux investisseurs internationaux, et ces équipes mènent désormais des due diligences compliance sur les cibles pré-acquisition.
Nicola Di Giovanni : Nous accompagnons de grands fonds français depuis une quinzaine d’années dans leurs deals d’investissement, notamment aux Etats-Unis. À l’époque, les demandes de contrôles compliance émanaient des fonds américains avec lesquels les fonds français investissaient. Avant 2015, il s’agissait de mener un check compliance assez simple (communication de quelques documents). Mais depuis, le contrôle s’est accru avec le développement d’un processus de vérification compliance. L’organisation des sociétés de gestion des fonds
a alors évolué, et des départements compliance structurés pour gérer les aspects réglementaires du fonds et ceux de chaque opération. Il est aujourd’hui impensable pour un fonds de closer un deal sans avoir satisfait toutes les exigences AML/KYC. L’aspect compliance d’une opération est aujourd’hui un stream à part entière de l’opération.
Margot Sève : Les cabinets d’avocats se sont aussi organisés en conséquence.
Un département dédié accompagne
le fonds sur la due diligence conformité
et vérifie les obligations KYC des investisseurs. Les activités des fonds étant tournées vers l’international, ils attendent d’un même cabinet la maîtrise de règles de différents pays, au premier rang desquelles le risque américain, souvent considéré comme le plus saillant, et les risques anglais et européen.
Aïchatou Diop : Je constate tout de même une convergence progressive de toutes ces réglementations européennes et américaines, qui facilite notre travail. Tout le monde parle la même langue en matière de compliance.
Est-ce que cette convergence
des réglementations a eu des conséquences sur les attentes des LP’s ?
Aïchatou Diop : Les LP’s ont une vision propre de « leur » réglementation. Ainsi, par exemple, un LP’s canadien demandera à la société de gestion de veiller au respect de certaines lois canadiennes en matière de sanctions internationales. Un Américain aura d’autres d’attentes. La société de gestion doit donc toujours s’adapter pour respecter les contraintes réglementaires imposées par ses LP’s. Certains LP’s pourraient exiger des certificats annuels de compliance (sanctions, respect du LPA, etc).
La compliance prend de plus en plus d’importance dans le processus d’acquisition et la due-diligence compliance fait partie intégrante du processus d’acquisition.
Elle implique l’expertise des avocats
qui mènent une analyse des risques
en fonction des juridictions et des secteurs d’activité en question et aident à concilier les exigences réglementaires avec la réalité du business.
La compliance est devenue un business
partner.
Margot Sève : Les cabinets apportent leur connaissance fine des attentes des régulateurs et du risque anticipé de poursuite.
L’analyse des risques compliance est-elle compatible avec le rythme rapide de conclusion des deals en private equity ?
Nicola Di Giovanni : La difficulté est de concilier une réglementation stricte ayant de réelles conséquences pour le fonds et les LP’s, avec un environnement de deals qui requiert une souplesse et une réactivité particulière, ainsi qu’une certaine approche « business ». Il faut bien connaître l’aversion au risque de son client, ainsi que les attentes des LP’s.
Margot Sève : Nous avons établi une liste de questions types qui satisfont les exigences européennes, américaines, etc. Nous sommes ainsi capables de réagir très vite lorsque le deal débute. Même lorsqu’un risque est identifié, il peut être répercuté sur le prix de l’acquisition ou dans le SPA.
Aïchatou Diop : Les sujets compliance doivent être intégrés dès le début du processus d’acquisition, en fonction du secteur d’activité de la cible, de la zone géographique d’intervention.
Dans le private equity, la bonne pratique consiste à réaliser des background check par des prestataires qui vont faire une première revue de la cible et de ses dirigeants pour identifier les zones de risques et, si cela s’avère nécessaire, mener une enquête de terrain pour vérifier et/ou confirmer les résultats de la revue. Les avocats et les prestataires travaillent ensemble. Ce travail permet de circonscrire tous les risques, au fur et à mesure.
Nicola Di Giovanni :
Ce qui explique aussi cette lenteur des process c’est que, par exemple, le check KYC peut être perçu comme intrusif. On se voit opposer une certaine résistance légitime de la cible au regard
de la dimension
personnelle des informations exigées, comme l’adresse du dirigeant.
Aïchatou Diop : Le tempo du deal est donné par les membres du comité d’investissement, selon le risque secteur et/ou géographique.
Quel suivi post-investissement
de la cible en termes de compliance ?
Aïchatou Diop : La société a totalement la main sur la mise en place du plan d’action identifié avec le fonds. Elle travaille avec ses avocats pour déployer le dispositif approprié, et effectue des reportings réguliers au fonds.
Nicola Di Giovanni : Le pacte d’actionnaire fait mention du plan d’action recommandé.
Quel est l’impact de la conformité sur la performance des fonds ?
Nicola Di Giovanni : Les équipes internes et les avocats représentent un coût pour la société de gestion. La compliance est donc un poste supplémentaire dans le P&L.
Margot Sève : Un programme Sapin 2 pour une entreprise midcap peut représenter un vrai budget, surtout si elle découvre un point particulier qui nécessite une enquête interne.
Aïchatou Diop : La compliance participe néanmoins à la création de valeur car les coûts initiaux se retrouveront dans le prix de vente, plus élevé, de la portco assainie. Si un programme anti-corruption a été mis en place, c’est un élément de valorisation important par le futur acquéreur.
Quel risque de responsabilité pour le fonds quand la portco a un sujet compliance ?
Margot Sève : Il y a d’abord un risque
de sanction. En matière de FCPA (anticorruption américain), la responsabilité pénale de la société de gestion peut être engagée si elle contrôle les décisions de la portco.
En France, la responsabilité pénale du fonds peut être retenue en cas de gestion de fait (ce à quoi les fonds sont très attentifs), et plus classiquement de responsabilité du dirigeant. La tendance française est d’ailleurs à l’élargissement des contours
de la responsabilité pénale des entreprises.
En 2021, la Commission européenne a condamné, en matière de concurrence, un fonds d’investissement pour des faits commis par sa portco.
Aïchatou Diop : Au-delà du risque réputationnel, il y a un risque civil et pénal qui peut désormais remonter au niveau du fonds en cas de gestion de fait.