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M&A : les process s’ajustent aux nouvelles conditions de marché

Des durées de transaction qui s’allongent, des valorisations à la baisse et des stress tests sur la capacité des cibles à absorber le choc de l’inflation. Les vents ont tourné mais les acteurs du M&A s’adaptent à un climat d’incertitudes permanent.

Après une année 2021 frénétique, le marché du M&A affiche des signes d’essoufflement depuis le second semestre avec un arrêt des transactions sur le large cap et un ralentissement des process sur le mid-market. Pour autant, les statistiques publiées par Refinitiv portant sur les neuf premiers mois de l’année révèlent une activité robuste avec une valeur d’opérations impliquant une contrepartie française de 140,5 mds$ accusant un repli de « seulement » 28 % par rapport aux chiffres records enregistrés à la même période en 2021. Les volumes sont, eux, restés stables avec un nombre d’opérations au plus haut et des acteurs du private equity plus à l’offensive que jamais. Les fonds d’investissement ont ainsi mené 663 opérations ciblant des entreprises françaises durant les neuf premiers mois de l’année, pulvérisant tous les records jamais enregistrés par les statistiques de Refinitv, et totalisé 32,8 mds$ de valeur de deals dans l’hexagone.

S’ils semblent avoir levé le crayon depuis septembre, la pression sur le déploiement de la dry powder phénoménale levée ces derniers mois accentue leur tropisme pour les plus beaux actifs. Sans oublier les plateformes de buy and build constituées sur des secteurs de niche encore atomisés et dont la crise actuelle accélère la consolidation.

Un pipeline solide

Ainsi, « trois-quarts des acteurs s’attendent à ce que le niveau de l’activité européenne du M&A augmente au cours de l’année prochaine, contre 53 % à la même époque en 2021 », selon la 10e édition de l’European M&A Outlook publiée fin septembre par CMS en association avec Mergermarket. « Malgré l’incertitude géopolitique persistante, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, l’année 2022 a connu un volume de fusions-acquisitions largement supérieur ou conforme aux niveaux prépandémiques, avec des opérations importantes, notamment dans les secteurs de l’industrie, de la technologie, de l’immobilier et de la consommation, commente Louise Wallace, responsable du groupe CMS corporate/M&A. Les sponsors financiers restent très actifs tandis que les dirigeants d’entreprise continuent de discuter d’éventuelles opérations, en outre tous envoient des signaux clairs et forts selon lesquels les opérations devraient se poursuivre à des niveaux élevés au cours des prochains mois ».

Même son de cloche chez le spécialiste des datarooms M&A Datasite qui anticipe une hausse des transactions au cours des 12 mois à venir avec un tropisme pour les bolt-on ou build-up. « Les fusions et acquisitions sont toujours aussi dynamiques, malgré la volatilité des marchés et les incertitudes géopolitiques, a déclaré Jérôme Pottier, responsable de l’Europe de l’Ouest chez Datasite. De fait, les nouvelles opérations en France, en particulier les ventes, les achats et les fusions d’actifs, sont en hausse de 17,5 % sur notre plateforme par rapport à l’année précédente au cours des six premiers mois de cette année. Comme il s’agit d’opérations en cours, plutôt que de transactions annoncées, cela signifie qu’il existe un solide pipeline d’opérations en cours de préparation et de réalisation. De plus, avec la possibilité pour les professionnels du M&A d’ajuster les multiples à la baisse, le résultat net pourrait se traduire par des valorisations plus faibles dans l’ensemble au second semestre de l’année ». Ainsi, une grande majorité (82 %) des deal-makers français sondés par Datasite intègrent dans leurs modèles de valorisation financière une augmentation de l’inflation d’au moins 5 à 7 %, voire davantage, pour le reste de l’année.

« Un environnement d’affaires plus difficile aura cependant ses avantages », souligne de son côté le rapport CMS Corporate/M&A : un peu plus d’un cinquième des acteurs considèrent que les cibles sous-évaluées représentent le moteur de dynamisme le plus important du buy-side. « à l’exception de certains secteurs qui concentrent les appétits, comme l’éducation ou la transition énergétique, le marché revient à une certaine normalité avec des valorisations plus raisonnables », pointe Guillaume Piette, managing partner du conseil M&A au sein de la banque d’affaires Financière de Courcelles. Les acheteurs seraient donc revenus à la raison en passant au crible les zones de risque, prenant le temps d’étudier la maturité digitale, mettant l’accent sur les nouveaux enjeux du moment avec l’importance croissante de la cybersécurité et la compliance ESG. L’étude CMS/Mergermarket met d’ailleurs en évidence la montée en puissance des facteurs extra-financiers dans les critères d’aboutissement d’un process : pas moins de 90 % des acteurs M&A sondés précisent que les critères ESG feront l’objet d’une attention accrue de leur part dans le cadre de leurs transactions au cours des trois prochaines années, contre 72 % lors de l’enquête de l’année dernière. La proportion de personnes interrogées qui s’attendent à ce que la prise en compte des facteurs ESG augmente de manière significative a presque doublé, passant de 26 % il y a douze mois à 48 %. La tendance est on ne peut plus claire.

Allongement des process

Si les volumes des opérations sur le mid-market se maintiennent à un étiage honorable, les valorisations incertaines, l’inflation et la guerre entre la Russie et l’Ukraine affectent la réalisation des transactions sur d’autres plans, notamment avec des tailles à la baisse et des délais de réalisation à rallonge. « La durée médiane de lancement et de clôture d’une nouvelle transaction sur notre plateforme, qu’il s’agisse d’une vente d’actifs ou d’une fusion, a augmenté de près de 4 % jusqu’à présent cette année par rapport à l’année dernière, poursuit Jérôme Pottier. Le temps de préparation d’une transaction est également en hausse de 20 %, pour la même période. Cela signifie qu’une partie des responsables français sont prêts mais attendent le bon moment pour lancer leurs projets, ou ajustent leur approche vis-à-vis des événements de marché récents ». « L’allongement actuel de la durée des process favorise l’apparition de points d’achoppement et multiplie les raisons de compromettre une opération, ou de faire baisser la valorisation », confirme le banquier d’affaires Guillaume Piette, qui constate un fossé croissant entre les prétentions des vendeurs et les nouvelles exigences des acheteurs. Le contexte actuel éclaire également d’un nouveau jour les sujets opérationnels de création de valeur dans un monde inflationniste encore jamais expérimenté par la plupart des investisseurs.

« Face aux fonds d’investissement plus prudents, les acquéreurs industriels se montrent eux plus offensifs pour peu que la cible génère des synergies stratégiques mesurables. On constate aussi un contexte de taux de change extrêmement favorable aux acheteurs américains », affirme Guillaume Piette, managing partner de Financière de Courcelles qui a développé une offre « multi-buy side » pour les ETI. Cette approche industrialisée et systématique, internationale si besoin, vise à accompagner les corporates dans plusieurs acquisitions à la suite, comme elle l’a fait récemment pour le courtier britannique Howden qui a racheté coup sur coup ses deux homologues français Theorème puis CRF Conseil.

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