Tout vient à point
à qui sait attendre. Il y a quelques mois, une ETI évoluant dans le secteur du bâtiment a bouclé l’acquisition d’un concurrent que
son président-directeur général avait approché pour la première fois il y a… près
de cinq ans.
« Dès lors que nous repérons des entreprises susceptibles d’enrichir notre catalogue et/ou de nous faire monter en gamme, j’ai l’habitude de prendre contact avec mon homologue afin de lui manifester mon intérêt, témoigne ce dirigeant. Dans ce cas précis, je l’avais rencontré à un moment où il n’avait pas encore initié de réflexion relative à la cession de sa société. En procédant ainsi, j’ai probablement contribué à semer dans son esprit une graine, sans laquelle cette transaction ne se serait peut-être jamais conclue ».
Avoir un train d’avance
Parmi les sociétés aguerries en matière de croissance externe, cette démarche est loin d’être la norme. « Beaucoup ne gèrent que l’inbound », c’est-à-dire les dossiers qui leur sont présentés par des conseils ou le vendeur lui-même, confirme Éric Besançon, membre du bureau de l’Association des responsables de fusions-acquisitions (ARFA) et global head of M&A chez B&B Hôtels. Pour autant, le cas de cette ETI n’est pas isolé. Comme elle, certains acteurs ont en effet structuré leur politique M&A, de façon à disposer en continu d’un volant de cibles qu’ils vont pouvoir approcher en vue, potentiellement, de les racheter sur un horizon de court – ou moyen – terme. « Il s’agit généralement d’entreprises qui souhaitent industrialiser leur stratégie de fusions-acquisitions », précise Corinne Previtali, co-présidente de CNCEF France M&A, une association professionnelle qui réunit les professionnels conseillant les chefs d’entreprise et/ou leurs actionnaires dans le cadre de la structuration et la réalisation de projets de haut de bilan et dans la recherche du financement associé.
Quelle que soit leur taille, les entités concernées ont, à en croire les praticiens, tout à gagner à prendre les devants de la sorte. « Une entreprise a toujours intérêt à consacrer du temps et de l’énergie pour identifier et bien connaître les acteurs de son écosystème », martèle Marc-Élie Bernard, vice-président de l’ARFA et group senior vice president, development and mergers & acquisitions chez Edenred. Et l’expert d’étayer. « Les fonds de capital-investissement déploient les ressources nécessaires pour rencontrer les managers de cibles potentielles. Dès lors, si un industriel ne le fait pas, il partira avec un certain retard le jour où ces dernières seront effectivement à céder ».
Une confidentialité absolue
Aussi pertinent soit-il,
ce modus operandi n’est toutefois pas exempt d’écueils. « Un tel process est souvent plus long et l’issue plus incertaine », prévient tout d’abord Éric Besançon. Peut s’y ajouter un inconvénient d’ordre financier. « En sollicitant une entreprise en vue de la reprendre, un acquéreur s’expose à la perspective de voir le prix grimper », complète le professionnel de B&B Hôtels, dont près de la moitié de la croissance récente a été portée par des acquisitions. Plus problématique, cette démarche pro-active peut, enfin, se révéler contre-productive. « Chez le dirigeant approché, le fait de voir un concurrent le contacter directement peut l’amener à penser que celui-ci part à la chasse aux informations sensibles, provoquant ainsi un frein psychologique », relève Corinne Previtali.
Ce faisant, une organisation solide – définir qui fait quoi – et une certaine forme de méthodologie de la part de l’acquéreur sont jugées primordiales pour espérer maximiser les chances de succès. Déjà, « la discrétion et une confidentialité absolue s’imposent, dès la prise de rendez-vous avec un homologue, notamment vis-à-vis des salariés de la « cible » chez qui les rumeurs d’une possible vente pourraient générer de l’anxiété », relate Éric Besançon. Le choix des interlocuteurs est tout aussi déterminant. « Le casting est très important », corrobore Marc-Élie Bernard. À ce titre, son confrère Éric Besançon recommande « d’envoyer des gens aux cheveux gris ».
Des règles à respecter
En cas de retour positif, le rendez-vous inaugural sera alors décisif. « Si les premiers contacts ont vocation à rester généraux, l’objectif de cette rencontre consiste à valider, ou non, le projet stratégique », insiste Marc-Élie Bernard, dont l’avis est partagé par Corinne Previtali. « Pour convaincre le dirigeant d’amorcer la discussion, il convient de mettre en avant, d’emblée, les synergies susceptibles de découler d’un potentiel rapprochement et, pour cela, de préparer une vision de ce que serait le nouvel ensemble », préconise la co-présidente de CNCEF France M&A, par ailleurs associée chez MGT Partners. À ce stade des échanges, certains sujets ne devront surtout pas être mis sur la table. « Ces discussions doivent s’opérer dans un strict respect des règles anti-trust, informe Marc-Élie Bernard. En cela, il faut veiller à ne pas échanger d’informations confidentielles ». « Il est proscrit de parler de prix ou de pratiques commerciales », illustre Éric Besançon, pour qui l’entrée en relation requiert « du doigté, du tact ». De même, la question de la valorisation doit rester absente de cette première entrevue. « Avant de parler d’argent, il faut s’assurer qu’il y ait un « fit » entre les parties, pointe Corinne Previtali. Pour ce faire, le dirigeant approché, surtout s’il s’agit du fondateur, se montrera très sensible à la culture d’entreprise de l’acquéreur, à ses projets pour les salariés… »
Ce n’est qu’en cas d’entente sur les grandes lignes d’un rapprochement qu’un process en bonne et due forme pourra être lancé dans un avenir… plus ou moins proche. Mais parfois, mieux vaut tôt que jamais.
Arnaud Lefebvre
Premières approches spontanées : de l’intérêt de mandater un conseil
Dans le cadre de leur veille de marché, les entreprises offensives sur le front du M&A connaissent en règle générale parfaitement les acteurs de leur écosystème, et plus particulièrement ceux susceptibles de leur apporter une valeur ajoutée. « Lorsqu’on rencontre le management le jour où la société est en vente, c’est qu’on a mal fait son travail », fait remarquer Marc-Élie Bernard, vice-président de l’ARFA. Ce faisant, beaucoup jugent la plus-value d’une banque-conseil limitée en matière de sourcing. Quand il est question d’organiser une première rencontre avec les équipes dirigeantes d’une société qui n’est pas encore à vendre, en revanche, le recours à un acteur spécialisé peut faire sens. « Les PME, y compris celles de taille significative, ne sont pas forcément structurées (pas de collaborateur dédié…) pour mener une telle stratégie », justifie Corinne Previtali, co-présidente de CNCEF France M&A, avant d’ajouter qu’un dirigeant pourrait préférer refuser de recevoir un concurrent. Face à cette perspective, « le fait de mandater un tiers qui va approcher une cible permet de créer un filtre et d’objectiver la démarche, reconnaît Marc-Élie Bernard. Mais si cette entrée en matière se révèle concluante, il est impératif que les décideurs de deux entreprises se rencontrent rapidement ».
