Entreprises familiales : les atouts multiples des mécanismes de liquidité internes - NextStep Magazine

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Entreprises familiales : les atouts multiples des mécanismes de liquidité internes

Au sein d’entreprises familiales dont l’actionnariat est dispersé
entre différentes branches, la mise en place d’une forme de Bourse interne
tend à se diffuser. Entre sanctuarisation du caractère familial de la société
et volonté de déminer d’éventuels conflits, cette solution peut se révéler
judicieuse à plusieurs titres.

Pour cette prestigieuse maison
de vins française, la cuvée 1996 conservera à jamais un goût amer.
Alors propriété de la famille Lur-Saluces depuis le xviiie siècle, le Château d’Yquem, prestigieux Sauternes classé premier cru supérieur, basculait en effet cette année-là dans le giron de LVMH… à la plus grande surprise de certains de ses actionnaires. Au fait de dissensions entre membres de la famille, Bernard Arnault en avait ainsi profité pour racheter la majorité du capital auprès d’une quarantaine d’entre eux. Un cas retentissant, qui a fait l’effet d’un électrochoc chez de nombreux dirigeants familiaux.

La gestion des actionnaires
passifs

Sans aller jusqu’à se tourner vers la société en commandite par actions (SCA) ou le fonds de dotation actionnaire pour sanctuariser le capital, beaucoup ont ainsi œuvré pour empêcher un scénario à la Château d’Yquem. Et bien d’autres continuent de le faire. « Même si la question du désengagement de certains actionnaires ne se pose pas à ce stade, elle pourrait devenir d’actualité à partir de la 3e génération. Face à cette perspective, il m’importe de mettre en place un mécanisme qui permettra à qui le désire de céder ses parts dans un cadre parfaitement balisé », signale par exemple Jean-Baptiste Thélot, président de Sofinord, une ETI familiale spécialisée dans les services B2B . Ce n’est pas pour rien que de telles réflexions émergent très souvent dès la 3e ou 4e génération. Le tour de table est alors susceptible de rassembler un nombre significatif de membres de la famille, nombre qui ne fera ensuite que grandir à mesure que les actionnaires transmettront leurs titres à leur descendance. « Même s’il y a un affectio societatis, des actionnaires, notamment ceux qui ne sont pas directement impliqués dans la gestion de la société, peuvent vouloir monétiser leur participation afin de financer un projet d’ordre professionnel ou patrimonial », fait remarquer Maxime Agache, responsable du développement des activités de banque privée d’Edmond de Rothschild pour la région Nord. Or, s’ils ne disposent pas de porte de sortie naturelle, « ces actionnaires passifs peuvent se sentir piégés avec leurs titres, et ainsi nourrir une certaine forme de frustration », indique Patrice Charlier, maître de conférences émérite, titulaire de la chaire « Gouvernance et transmissions d’entreprises familiales » à l’EM Strasbourg.

Plus largement, la cohabitation d’une pluralité de branches peut être de nature à créer des divergences autour de la stratégie à mener, au point d’inciter les plus mécontents à claquer définitivement la porte, et par là-même à céder leurs parts. Dans ce cadre, « fournir une option de liquidité aux actionnaires en échange de leurs actions pourrait contribuer à éviter de nombreux conflits et à augmenter les chances de survie de l’entreprise », conclut la Société Financière Internationale (Banque mondiale) dans son manuel de gouvernance des entreprises familiales.

Quelques contraintes à prendre en compte

Dans l’intérêt social de l’entreprise et dans un souci de perpétuer l’héritage familial, la mise en place d’une forme de Bourse interne apparaît comme la solution idoine aux yeux des professionnels de la gouvernance. Concrètement, « une structure ad hoc sera souvent constituée. À des périodes prédéfinies à l’avance (fenêtres de liquidité), les actionnaires qui désirent vendre lui cèderont tout ou partie de leurs actions, sur la base d’un prix défini par un expert indépendant. Les gestionnaires de cette structure – qui opèrent souvent au niveau du holding familial – sont ensuite chargés d’informer les autres actionnaires de l’offre en cours (nombre de titres proposés, prix), de centraliser les ordres, de s’assurer de la solvabilité des potentiels acquéreurs et de piloter les étapes ultimes de la transaction », détaille Maxime Agache.

Parfois, il arrive aussi que la société rachète directement les titres au vendeur, avant de les revendre, le cas échéant, aux intéressés. À ce titre, la Société Financière Internationale relève dans son manuel précité que certaines entreprises familiales établissent un « Fonds de Remboursement des Actions », financé par la contribution d’un faible pourcentage des bénéfices chaque année. Mais cette approche revêt certaines limites. « L’entreprise n’a pas nécessairement la trésorerie pour opérer ces rachats », pointe déjà Patrice Charlier. En outre, certaines contraintes réglementaires peuvent se poser. Comme l’illustre CMS Francis Lefebvre dans une note récente, une SA ou une SAS ne peut détenir plus de 10 % de ses propres actions, quelle que soit la procédure de rachat utilisée. « Compte tenu de l’ensemble de ces contraintes, il est rare que la société elle-même soit le véhicule le plus adapté pour jouer le rôle d’animateur de ce marché secondaire. En pratique, c’est souvent une autre société du groupe qui intervient à cet effet, dans les limites de ce que prévoient les dispositions légales applicables en matière de participations croisées et de boucles d’auto-contrôle », expliquent ainsi les auteurs. En outre, des restrictions internes, comme les clauses d’inaliénabilité des titres et les clauses d’agrément – ces dernières permettent de contrôler l’adhésion de nouveaux associés ou actionnaires dans une société – peuvent aussi limiter les marges de manœuvre des vendeurs et influer sur les règles de fonctionnement de ce marché interne.

Un cadre à définir

Une fois la formule arrêtée, les règles du jeu devront être préalablement édictées dans des documents internes, qu’il s’agisse du pacte d’actionnaires, du règlement intérieur ou de la charte familiale. « Il convient d’y préciser que si l’un des actionnaires prévoit de céder ses titres, les autres actionnaires familiaux disposent d’un droit de priorité pour les racheter, préconise Patrice Charlier. En présence de plusieurs branches, il peut aussi être prévu que les membres appartenant à la même branche que le vendeur soient informés les premiers et bénéficient d’un droit prioritaire ». De même, le mode de détermination du prix des actions doit impérativement être indiqué. De l’avis de ce maître de conférences émérite, l’instauration d’un conseil de famille, « dans lequel siègent des représentants de chaque branche », est également recommandée afin de pouvoir y aborder ce sujet sensible. À des fins d’éviter une trop forte concentration du capital aux mains d’un individu ou d’une branche, des limites peuvent être fixées sur le nombre d’actions qu’un actionnaire est autorisé à acheter, informe par ailleurs le cabinet Deloitte.

Même si ce type d’initiatives contribue, de l’avis général, à apaiser les tensions et à amener de la sérénité lors des processus de vente d’actions, il ne peut toutefois offrir une quiétude totale aux actionnaires familiaux désireux de se maintenir au capital, voire de se reluer. « Lors de ces fenêtres de vente, il peut arriver que la quantité de titres à racheter soit inférieure à la demande, nécessitant un pilotage fin des relations entre actionnaires familiaux pour satisfaire au mieux l’ensemble des parties prenantes », prévient Maxime Agache. Une mission impossible ? Les plus philosophes repenseront au célèbre écrivain Jules Renard qui, cyniquement, a tout résumé dans son Journal : « Ne vous occupez donc pas de votre famille ! On n’arrive jamais à la satisfaire ».

 

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