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Renégociation de dette : L’entreprise face à ses créanciers

Par Sébastien Gressier


À l’instar du groupe Casino le mois dernier, il arrive que la filiale d’un groupe sous procédure collective doive se refinancer ou lever de la dette pour financer son activité. Afin de dissiper les réticences éventuelles des créanciers, plusieurs bonnes pratiques s’imposent. Entretien avec Maud Manon, avocate associée, responsable du groupe Finance, Projets & Restructuring en France, DLA Piper et Caroline Texier, avocate associée spécialisée en restructurations et faillites, DLA Piper.


Alors que sa maison mère, Rallye, est actuellement placée sous procédure de sauvegarde, le groupe de grande distribution Casino a mené à bien, début novembre, un refinancement de 1,8 milliard d’euros. Quels enseignements peut-on tirer de cette opération ?


Caroline Texier : Nous ne sommes pas intervenus directement dans ce dossier. Pour autant, on peut souligner qu’il s’agit d’une transaction singulière dans la mesure où il n’est pas courant de voir la filiale d’un groupe placé sous procédure de sauvegarde réaliser une transaction de cette envergure.


Lorsque c’est le cas, les filiales parviennent-elles facilement à se financer ?


C. T. : Il convient de distinguer deux configurations. La première concerne un groupe qui doit restructurer une dette devenue trop lourde et dont la filiale éprouve des difficultés opérationnelles. Dans ce contexte, il est très compliqué de trouver des financements, sauf à ce que la holding puisse donner aux créanciers de solides garanties. Si, à l’inverse, l’activité de la filiale fonctionne globalement bien, celle-ci a alors de bonnes chances de parvenir à ses fins.


Faut-il néanmoins, pour ce faire, rechercher de nouveaux partenaires financiers, notamment des acteurs spécialisés ?


Maud Manon : Si le business model de l’entreprise fille reste viable, les créanciers restent le plus souvent les mêmes car, connaissant bien la société, ils sont le plus souvent convaincus que les difficultés rencontrées sont ponctuelles. Il est relativement rare qu’aucune solution ne soit trouvée auprès du pool de prêteurs existants.



Alors que les perspectives de défaillances d’entreprises et de coût du risque pour les banques semblent de nouveau orientées à la hausse, dans quel état d’esprit se trouvent actuellement les créanciers ?


M. M. : Nous ne sommes aujourd’hui clairement pas dans la pire des périodes pour aboutir à des accords. Pendant longtemps, les banques avaient, il est vrai, tendance à couper les lignes de découvert dès que les premiers signes de difficultés de leurs clients apparaissaient. Mais au cours des dix dernières années, les acteurs ont gagné en maturité. Ils ont ainsi appris, la crise aidant, à prendre du recul sur chaque dossier dans le but de trouver la meilleure porte de sortie. Cette phase d’éducation leur a permis de mesurer que les enjeux n’étaient pas uniquement financiers : ils sont aussi sociaux, sociétaux… Ce faisant, nous sommes loin des premières phases de restructuring durant lesquelles les gens avaient peur.


C. T. : Ce constat tient aussi au fait que les acteurs autour de la table ne sont plus toujours les mêmes. Avec l’émergence des financements non bancaires, notamment obligataires, de nombreuses entreprises se retrouvent désormais avec une base plus diversifiée de prêteurs, dont l’approche peut varier d’un acteur à l’autre.


Sur quel schéma aboutissent le plus souvent les négociations ?


M. M. : Aucun dossier que nous traitons n’est identique au précédent. En effet, le déroulé des discussions et leur issue dépendent de multiples facteurs, comme par exemple la qualité de crédit du sous-jacent et l’exposition des créanciers. Cependant, nous pouvons dire que les parties font généralement les efforts maximums pour rester dans un cadre amiable.


C. T. : Avant d’espérer pouvoir parvenir à une solution, l’entreprise doit s’évertuer à obtenir deux « faveurs ». D’abord, il est important de demander aux créanciers de lui laisser une respiration. Pendant ce temps, les intérêts sur la dette bancaire peuvent être suspendus (12 mois, 18 mois…), voire capitalisés. Ce répit permet aux prêteurs de procéder à une analyse en profondeur de la situation. Selon le diagnostic établi, un nouveau délai peut être octroyé si celle-ci s’améliore. Si ce n’est pas le cas et qu’il ne fait aucun doute que la dette n’est pas en phase avec les perspectives de résultats, il ne reste alors plus qu’à mettre en œuvre les mesures adaptées (conversion de tout ou partie de la dette en fonds propres, abandon partiel de dette ou apport de new money dans l’espoir d’un retour à meilleure fortune). Ensuite, la deuxième priorité – il s’agit même de l’objectif numéro un de l’administrateur judiciaire – consiste en le maintien du financement du besoin en fonds de roulement et des lignes de découvert mis à la disposition des filiales.



Dans les faits, est-il aisé d’obtenir gain de cause ?


M. M. : S’agissant de la confirmation des lignes de financement de court terme, ce n’est pas évident en période d’observation ! L’une des principales difficultés avec ces dernières, qui sont le plus souvent de nature bancaire, réside dans leurs modalités contractuelles d’utilisation. Par exemple, il est usuellement prévu qu’une ligne de crédit revolving peut être tirée si aucun cas de défaut n’a été observé au sein du groupe. Mais que se passe-t-il pour la filiale ou sous-filiale qui est en capacité d’honorer sa dette : va-t-elle être empêchée de lever des fonds du fait de la situation de la maison mère ? Dans la réalité, l’ensemble des membres d’un groupe soit sont parties à l’architecture juridique mise en place initialement, soit sont affectés par les déboires de la holding. Dans ce contexte, des discussions avec les créanciers s’imposent pour voir dans quelles mesures la filiale peut bénéficier de financements de court terme. La réponse varie d’un dossier à l’autre.


Le fait que la maison mère soit engagée dans une procédure amiable ou collective est-elle de nature à changer la donne ?


C. T. : En matière de restructuring, une partie des procédures collectives est d’ordre confidentiel. De fait, tous les intervenants ne sont pas forcément au courant des difficultés d’une entité. Juridiquement, une filiale – à qui incombe par ailleurs aussi l’obligation de confidentialité – n’a donc pas à prévenir le prêteur des difficultés éventuelles de sa maison mère. Par conséquent, elle n’est pas forcément pénalisée.


Afin de maximiser les chances de succès d’un (re)financement lorsque l’emprunteur et/ou sa holding rencontre(nt) des difficultés, quels conseils prodiguiez-vous à vos clients ?


C. T. : Toutes les parties y gagnent lorsque les difficultés sont évoquées le plus en amont possible. Quelle que soit la nature du dossier, il s’agit d’un préalable universel.


M. M. : À ce titre, on peut se féliciter que la directive européenne relative à l’insolvabilité des entreprises et la loi Pacte tendent vers ce principe.

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