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« Le fait que l’activisme soit moins répandu en France peut créer des opportunités »

Richard Zabel, general counsel et chief legal officer d’Elliott Management Corporation, avait traversé l’Atlantique pour intervenir lors de la conférence
sur la Gouvernance, organisée par NextStep le 29 novembre dernier, notamment pour débattre du thème du dialogue actionnarial vertueux. La rédaction en a profité pour lui poser quelques questions.

Comment définiriez-vous Elliott ?

Elliott est une société d’investissement multi-stratégies qui, au 30 juin 2023, gère environ 59,2 mds$ d’actifs et emploie 550 personnes dans le monde. Bien qu’Elliott se soit considérablement développée depuis sa création en 1977 par Paul Singer, sa mission - protéger et faire fructifier le capital de ses investisseurs quel que soit l’environnement de marché - est restée constante au cours de ces 46 années. La souplesse du mandat d’Elliott est selon moi ce qui la rend unique et lui permet de prospérer depuis tant d’années. Nous sommes en mesure d’investir dans des entreprises du monde entier, à travers différents secteurs et structures du capital. Pour ne citer que quelques stratégies, nous investissons en equity ou en crédit dans des entreprises publiques et privées, dans l’immobilier ou les matières premières. Nous n’avons aucune restriction quant à la durée de détention de nos investissements sur les marchés publics et privés, ce qui nous donne la possibilité de les conserver aussi longtemps que nous le jugeons nécessaire pour créer de la valeur pour nos investisseurs.

Elliott est connue pour sa pratique de l’activisme actionnarial. Pouvez-vous expliquer ce que ce terme signifie pour vous ?

Pour nous, l’activisme actionnarial consiste à exercer sa voix et ses droits en tant qu’actionnaire pour aider les entreprises à atteindre leur plein potentiel. Avant de lancer un nouvel investissement activiste, Elliott conduit pendant des mois, voire des années, des recherches sur l’entreprise et le secteur dans lequel elle opère, y compris en ayant recours à des conseillers externes tels que des avocats, des comptables et experts du secteur. Nous voulons connaître l’entreprise de fond en comble afin de pouvoir formuler des idées intelligentes qui, si elles sont mises en œuvre, créeront de la valeur à long terme pour toutes les parties prenantes. Un activiste a rarement - voire jamais - le pouvoir de vote nécessaire pour mettre en œuvre ses idées. Notre pouvoir de changement réside dans la force de nos idées et notre capacité à créer un consensus autour d’elles. Nous pensons que l’activisme joue un rôle essentiel à une époque où les marchés sont de plus en plus dominés par l’investissement passif.

Quels sont les critères que vous utilisez avant de lancer une nouvelle campagne activiste ?

Chaque campagne a ses propres spécificités, mais trois critères sont généralement présents. D’abord la société cible doit avoir une valeur fondamentale, sous-jacente mais dépréciée. Il doit en outre y avoir un argumentaire convaincant en faveur du changement, mais également une voie à suivre pour le réaliser. En général, les campagnes activistes les plus réussies utilisent le moins d’outils possible pour atteindre le résultat souhaité. Un dialogue constructif avec l’équipe de direction et le conseil d’administration est essentiel pour parvenir au meilleur résultat.

Quel est, selon vous, le « point de rupture » dans votre engagement avec les entreprises qui conduit au lancement d’une campagne publique ?

Ces dernières années, nous avons constaté que la plupart des entreprises sont disposées à travailler avec nous en privé, car elles apprécient la profondeur de l’analyse que nous avons effectuée pour comprendre la situation. Nous nous entretenons souvent avec les entreprises en privé qui peuvent ensuite annoncer nos recommandations, sans échanges publics. Dans l’ensemble, les campagnes publiques et les votes contestés sont assez rares par rapport aux nombreuses situations où nous parvenons à un résultat collaboratif. Dans le cas où l’entreprise ne souhaite pas dialoguer avec nous, nous n’avons pas peur de partager notre point de vue publiquement si nous pensons qu’il est nécessaire de provoquer un débat sur la meilleure voie à suivre pour l’entreprise. Cela nous permet d’élargir la discussion et donne aux autres actionnaires l’occasion de se manifester et de partager leur point de vue, ce qui peut contribuer à encourager l’équipe de direction à mettre en œuvre les changements nécessaires.

L’activisme est assez répandu aux
États-Unis. Il l’est moins en France, mais semble devenir plus populaire. Selon vous, qu’est-ce qui rend le marché français attrayant pour les activistes ?

Pour Elliott, chaque investissement activiste est unique, et si la localisation de l’entreprise est prise en compte, c’est rarement le critère principal qui détermine la pertinence d’un investissement. Nous nous concentrons davantage sur le potentiel de création de valeur, la solidité des arguments en faveur du changement et la faisabilité de la voie à suivre. La plupart des économies développées, dont la France, recèlent d’excellentes opportunités d’investissement qui répondent à tous ces critères. Cela dit, le fait que l’activisme soit moins répandu en France peut créer des opportunités. En l’absence d’investisseurs demandant régulièrement aux entreprises de rendre compte de leurs performances, celles-ci peuvent s’enfermer dans leurs habitudes et perdre de vue leurs priorités, ce qui peut se traduire par une sous-performance. La France compte de nombreuses entreprises de renommée mondiale, il est dans l’intérêt de tous que ces entreprises prospèrent. Les investisseurs activistes peuvent intervenir et aider ces entreprises à atteindre leur plein potentiel en apportant des perspectives nouvelles et en remettant en cause, si nécessaire, le statu quo.

Bien entendu, les activistes doivent tenir compte des spécificités du marché français, notamment de son environnement juridique et réglementaire. Par exemple, les droits de vote double de la loi Florange signifient que la propriété économique et le pouvoir de vote ne sont pas toujours alignés. Malgré des réglementations particulières, la France est un marché important où les activistes peuvent travailler avec les entreprises pour générer une valeur durable.

Qu’attendez-vous des conseils d’administration des groupes français dans lesquels vous investissez ?

Comme dans toute autre juridiction, nous attendons du conseil d’administration qu’il s’engage auprès des actionnaires et qu’il les écoute - il est important de se rappeler que les actionnaires sont les propriétaires de l’entreprise, et qu’il est donc essentiel de tenir compte de leur point de vue. Il arrive que des conseillers disent à leurs clients de ne pas nous parler. Nous pensons que cela conduit généralement à de mauvais résultats pour l’entreprise.

Dans l’ensemble, alors que l’activisme est un phénomène relativement nouveau en France, nous avons constaté que les administrateurs français se sont prudemment ouverts à notre contribution. En 2018, lorsque nous avons révélé une participation importante dans Pernod Ricard, nous avons commenté publiquement que la société possédait certes un portefeuille de marques exceptionnel, mais qu’elle avait un potentiel d’amélioration important. Nous avons ensuite eu un dialogue privé constructif avec son PDG, Alexandre Ricard, qui a débouché sur des résultats positifs pour tous les actionnaires. À la suite de notre engagement, Pernod Ricard a fait un certain nombre d’annonces importantes. De nouveaux administrateurs indépendants ont rejoint le conseil d’administration, augmentant ainsi le niveau d’indépendance du conseil de 33 % à plus de 50 %. La société a également annoncé un plan opérationnel visant à améliorer les marges grâce à une efficacité accrue, et a réinvesti dans ses marques. Enfin, elle a amélioré sa politique d’allocation du capital et annoncé un programme de rachat d’actions d’un montant de 1 md€. Le cours de l’action a réagi positivement et, durant l’année qui a suivi notre engagement avec l’entreprise, il a augmenté de près de 30 %, surperformant l’indice CAC 40 d’environ 20 points.
Cette performance positive s’est poursuivie jusqu’en 2023. Il s’agit là d’un excellent exemple d’engagement constructif de la direction d’une entreprise française avec ses actionnaires afin de dégager de la valeur. Nous espérons que d’autres équipes de direction et conseils d’administration suivront cet exemple.

Quels sont les secteurs et les pays sur lesquels Elliott va se concentrer dans les mois à venir ?

Elliott adopte une approche opportuniste de l’investissement, c’est pourquoi nous n’allouons pas de montant déterminé de capital à des secteurs ou à des pays spécifiques.

Nous recherchons des entreprises dans lesquelles nous pouvons créer de la valeur, soit par l’activisme, soit en capital-investissement. Parfois, nous combinons les deux : ces dernières années, nous avons à plusieurs reprises acheté des entreprises publiques avec lesquelles nous étions déjà engagés, afin d’améliorer leurs performances. Citrix et Nielsen en sont deux exemples récents.

 

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