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Clauses de force majeure et d’imprévision : une utilité redécouverte avec la crise du Covid

La crise du Covid-19 a remis à l’honneur deux notions juridiques ayant pour objet le traitement de tels événements imprévisibles : la force majeure et l’imprévision. Toutes deux peuvent, et doivent, être aménagées contractuellement. Explications d’Antony Martinez, associé au sein du cabinet Archers, responsable de la pratique contentieuse et contrats.


Quelle est l’utilité de prévoir des clauses de force majeure et d’imprévision dans un contrat, alors que ces deux notions sont prévues par la loi ?


L’insertion de ces clauses est indispensable dans les contrats d’affaires. La définition comme les effets légaux de la force majeure et de l’imprévision sont en effet supplétifs. Il est très utile de les adapter, voire de les écarter si nécessaire, pour répondre au mieux aux besoins exprimés par les contractants et aux particularités du contrat. Par exemple, il est possible d’encadrer la renégociation prévue par la loi en cas d’imprévision et d’exclure toute intervention du juge, qui peut être regardée avec méfiance par les parties.


Plus largement, la crise du Covid-19 a fait réaliser aux opérateurs que l’exclusion systématique de l’article 1195 du Code civil, qui était devenu une clause de style dans les contrats d’affaires, pouvait se révéler très défavorable pour le débiteur. Ce constat de l’importance des clauses de hardship a été fait depuis longtemps dans les contrats internationaux, qui comprennent fréquemment ce type de stipulations.


S’agissant des clauses de force majeure, elles peuvent prévoir certains éléments absents de l’article 1218 du Code civil : la procédure applicable, les effets sur les obligations non touchées par l’impossibilité d’exécution, ou encore l’impact sur la durée du contrat de la survenance d’un événement qui n’est que temporaire. Ces indications seront précieuses pour éviter les contentieux, ou pour les régler plus rapidement.


La crise du Covid-19 peut-elle automatiquement être qualifiée de cas de force majeure ? Serait-ce aussi le cas de nouveaux événements liés à la pandémie de Covid 19 – apparition d’un nouveau variant, nouveau confinement ou nouvelles restrictions au niveau national ou international – s’ils survenaient dans les mois à venir ?


La force majeure, comme d’ailleurs l’imprévision, sont des notions qui s’apprécient au cas par cas. Aucun événement ne peut être considéré, par nature, comme un cas de force majeure : ni une maladie, ni une catastrophe naturelle, ni une épidémie ! Nombreuses sont d’ailleurs les décisions des juges du fond qui refusent la qualification de force majeure pour des événements liés à des épidémies. C’est le juge qui détermine, dans chaque situation qui lui est soumise, si le débiteur apporte bien la preuve d’un événement imprévisible, hors de son contrôle, inévitable dans ses effets, rendant impossible l’exécution de sa prestation.


S’agissant du Covid-19, une difficulté particulière peut être signalée. L’imprévisibilité de l’événement s’appréciant au jour de la formation du contrat, il pourrait être difficile pour les contrats conclus, renouvelés ou significativement modifiés après mars 2020 d’invoquer la force majeure en cas d’inexécution liée au Covid. Si les parties qui négocient de nouveaux contrats souhaitent se prémunir de potentielles nouvelles mesures qui pourraient intervenir, par exemple en cas de rebond de l’épidémie, il faut qu’elles le prévoient explicitement. Il est par exemple possible de prévoir dans la clause de force majeure que tout événement lié à la pandémie sera automatiquement assimilé à un cas de force majeure dès lors qu’il rend impossible l’exécution d’une obligation contractuelle, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve de son imprévisibilité au moment de la formation du contrat.


Les clauses de force majeure et d’imprévision sont-elles également utiles dans les contrats internationaux ?


Oui, elles le sont même encore plus que dans les contrats internes ! Si le contrat est soumis au droit français par application des règles de droit international privé ou par choix des parties, elles le sont pour les raisons déjà exposées : compléter le régime légal et l’adapter. S’il est soumis à un droit étranger, elles permettent aussi d’adapter les règles du droit applicable – ou, lorsqu’aucune règle n’existe, de prévoir les conséquences de la survenance d’un tel évènement – pour les faire correspondre aux besoins des parties. Dans les deux cas, ces clauses permettent aux parties de s’accorder sur les conséquences de la survenance d’un événement imprévisible comme la pandémie de Covid-19, sans avoir à se référer aux règles du droit applicable qu’au moins une des parties ne connaît pas nécessairement très bien.


Pouvez-vous conseiller des modèles de clauses de force majeure et d’imprévision ?


Les clauses de force majeure et d’imprévision sont des clauses très classiques, pour lesquelles il existe de nombreux modèles. On peut citer en particulier les clauses ICC force majeure et hardship, qui peuvent s’adapter à la plupart des contrats internes ou internationaux. Cependant, il reste préférable d’adapter ces clauses stratégiques au contexte contractuel, et faire du sur-mesure ! C’est là que le recours à l’avocat conseil dans la rédaction peut s’avérer indispensable…


Attention toutefois à la rédaction de ces clauses, qui peut être source de contentieux. En 2020, la cour d’appel de Paris a estimé que la clause qui définissant la force majeure comme « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables » avait vocation à s’appliquer à la suite des mesures de confinement dès lors qu’elles avaient entraîné une diminution très importante de la consommation d’électricité, plaçant un contractant dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations dans des conditions économiques raisonnables. Les juges ont souligné à cette occasion que « la définition contractuelle de la force majeure par l’accord liant les parties est d’une acception manifestement plus large que la notion telle qu’elle était retenue en droit civil lors de la conclusion du contrat », modifiant ainsi l’issue du litige1. ]


1. CA Paris, pôle 1, ch. 2, 28 juill. 2020, n° 20/06689, SA EDF c/SA Total Direct Energie, confirmant T. com. Paris, ord. réf., 20 mai 2020, n° 2020-016407.

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