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L’operating partner ou la nouvelle carte maîtresse des fonds

Les operating partners sont devenus l’incarnation de la promesse de création de valeur des actionnaires financiers auprès des dirigeants. Un nouveau « must-have » qui recouvre des réalités différentes pour un rôle parfois encore mal défini.

Se retrousser les manches et créer de la valeur opérationnelle sont des éléments de langage qui ont toujours fait partie de la communication des acteurs du private equity pour séduire des dirigeants de PME et ETI encore réticents à ouvrir leur capital, et justifier leur généreuse rémunération auprès des souscripteurs de leurs fonds. Mais pendant longtemps, cet affichage « hands on » était rarement adossé à des moyens concrets chez les fonds français du mid-market qui se contentaient le plus souvent de mettre à disposition des dirigeants de leurs participations leur réseau d’entrepreneurs et de banquiers d’affaires ou de les mettre en contact avec des cabinets de conseil parfois surdimensionnés pour des PME et qu’ils devaient de surcroît payer de leur poche.

Les mains
dans le cambouis

Ça, c’était avant. Dans un contexte de remontée des taux et de succession de crises mettant leurs participations à rude épreuve, même les virtuoses du levier financier sont contraints de mettre les mains dans le cambouis pour espérer faire de jolis multiples de sortie. Et l’incarnation de cette nouvelle ère n’est autre que l’operating partner, une nouvelle fonction encore inconnue

il y a quelques années et qui devient progressivement un « must-have ». Près de la moitié des fonds de private equity en sont équipés en 2023 alors qu’ils étaient moins de 10% il y a encore cinq ans, selon l’étude publiée en septembre par le club « operating partners » de France Invest et le cabinet de conseil en transformation Alvarez & Marsal. « Nous sommes ravis de constater que les fonds et les équipes d’operating partners qu’ils comptent en nombre grandissant, augmentent l’attention accordée aux leviers d’amélioration de la performance opérationnelle. Et ce, de plus en plus régulièrement, pas seulement quand « ça bouscule » », se félicitaient à cette occasion Rénald Béjaoui et Yann Varin, respectivement associé et senior director d’Alvarez & Marsal.

Mais que recouvre cette nouvelle fonction, importée comme souvent de l’univers anglo-saxon mais encore nimbée d’un certain mystère sous nos cieux ? « C’est un métier créé aux Etats-Unis par les firmes de private equity à la suite de la crise des subprimes pour aider les dirigeants à traverser les difficultés grâce à l’accompagnement de serial entrepreneurs », retrace Isabelle Saladin, qui a créé le premier cabinet d’operating partners en France en 2017, regroupant une quinzaine de membres, tous passés par la case entrepreneuriat. « Le dirigeant a besoin de s’identifier à un pair qui a pris le risque de créer une entreprise et qui a connu des phases d’échec et de rebond », assure la présidente d’I&S Adviser. Si le cabinet réalise 30% de son activité auprès de fonds d’investissement qui n’ont pas encore internalisé la fonction d’operating partner, le profil « serial entrepreneur » est loin d’être dominant dans la composition des operating teams des investisseurs du mid-cap. Les anciens CEO représentent seulement 15% des operating partners recrutés ces dernières années au sein des fonds d’investissement, la majorité étant en provenance des cabinets de conseil et plus de 40% ont aussi occupé des postes de directions fonctionnelles : anciens CFO, COO, directeurs marketing, DRH ou plus rarement des directeurs de l’innovation ou des nouvelles technologies. L’intitulé de la fonction offre également un large florilège de noms : outre les classiques operating teams chez Siparex ou Abénex, la sobre « équipe de performance opérationnelle » chez LBO France et ses variantes anglaises portfolio performance team chez Keensight, performance group chez PAI, business development chez Seven2, ou business partner chez Capital Croissance, on retrouve aussi un clinquant « associé transformation » chez Initiative & Finance, des full potential partners chez Montagu, et des experts aux titres divers dans les équipes transverses d’autres sociétés de gestion. « Dans cette montée en puissance récente de la fonction d’accompagnement opérationnel, plusieurs modèles cohabitent avec des spectres d’intervention divers et des degrés d’implication hétérogènes », résume Johann Dupont, associé et operating partner d’Abénex, un des premiers acteurs français du LBO mid-market à avoir mis en place une équipe opérationnelle en 2013.

Surperformance prouvée

Mais quelle que soit leur dénomination, l’intervention de ces experts terrain aurait prouvé son efficacité en TRI sonnants et trébuchants, d’après l’analyse menée par Alvarez & Marsal en collaboration avec France Invest sur les sorties réalisées par les fonds de capital investissement français entre 2020 et 2021. Comparés aux investissements non accompagnés par un operating partner, ceux qui l’ont été affichent un TRI plus élevé de 7,6 points ainsi qu’un multiple « cash-on-cash » supérieur de 34%. De quoi largement justifier les recrutements qui pèsent sur le P&L de la société de gestion. Idem pour les indicateurs qui parlent plus aux dirigeants d’entreprise avec une croissance moyenne du chiffre d’affaires supérieure de huit points (18,3 % contre 10,3 %) et celle de l’Ebitda de onze points (23,2 % contre 11,9 %) en faveur des participations accompagnées par une operating team.

Enfin, dans un environnement concurrentiel encombré d’acteurs qui se ressemblent, l’atout operating partner peut aider à sortir du lot et remporter un process. « Parmi 12 fonds intéressés, nous avons décidé lors de la transaction de choisir un fonds qui nous proposait une équipe d’accompagnement opérationnelle pour aller plus vite, plus haut, plus fort dans l’atteinte de nos objectifs », témoignait ainsi Jean-Christian André1, président d’ITC, plateforme e-commerce pour les professionnels du piercing et tatouage aux 22 M€ de chiffre d’affaires acquise en LBO par Abénex en octobre 2022 après un premier OBO avec Momentum Invest.

Moteur auxiliaire

En cela, la culture des managers a plutôt évolué vis-à-vis des tentations intrusives des fonds et de leur positionnement hands-on. Si certains continuent à être réfractaires, d’autres sont au contraire demandeurs de ce savoir-faire à condition que ces corps d’élite ne viennent pas avec leurs gros sabots et leur air condescendant montrer au manager son métier. « Notre rôle n’est jamais de prendre des décisions à la place des dirigeants, mais de nous mettre à leur service pour travailler sur des gisements de création de valeur », insiste Johann Dupont, operating partner d’Abénex qui se décrit comme un « moteur auxiliaire », en renfort et jamais en substitution du management.

Si les Alix Partners, Mc Kinsey, et autre BCG sont au-dessus des moyens des sociétés de leur portefeuille, certains fonds du smid-cap ont choisi de leur offrir ce luxe en mettant gratuitement à leur disposition du jus de cerveau de prestige. Car « on ne dépense pas 300 000 € à chaque fois qu’une de nos participations se pose une question », sourit un investisseur. Par rapport à des intervenants externes, les entreprises apprécient de pouvoir compter sur la même équipe dans la durée et sur la confidentialité d’experts « maison », surtout sur des chantiers stratégiques que l’on aimerait bien tenir hors du champ d’un benchmark de consultants. « La force d’un operating partner, c’est la force du collectif. Ils sont en contact constant avec d’autres participations ce qui leur permet de nous nourrir des réponses apportées à des problématiques similaires », expliquait ainsi le p-dg de Maped, Romain Lacroix, accompagné par Siparex, dans le cadre de l’étude de France Invest. D’ailleurs ces équipes transverses s’étoffent à mesure de la détection de nouveaux besoins chez les dirigeants de leurs portefeuilles. Si la priorité,

il y a quelques années, était la transformation digitale avec des chief digital officers recrutés comme premier noyau fonctionnel de ces operating teams, la montée en puissance

des sujets RSE a provoqué une nouvelle vague de recrutement avec un nouveau prisme opérationnel. Ainsi, sous l’impulsion de l’operating team de Siparex, le co-fondateur et DG de la PME de services de paiement Creacard, Philip Aim, a lancé un premier bilan carbone. De son côté, la société d’investissement evergreen Geneo a accompagné le numéro un français de la location de sanitaires mobiles Enygea dans la mise en place d’une feuille de route extra-financière consistant à favoriser les économies d’eau, contribuer à l’amélioration de l’empreinte carbone des chantiers BTP et des évènements, être plus inclusif en tenant compte des besoins spécifiques des femmes et des personnes à mobilité réduite, et valoriser les déchets.

1. Dans le cadre de l’étude publiée
en septembre par le club Operating Partners de France Invest.

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