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Le LBO sponsorless fait des émules auprès des dirigeants

Par Houda El Boudrari


Dans un environnement concurrentiel exacerbé, les dirigeants des pépites convoitées par les fonds de LBO peuvent tout se permettre… au point de prendre de plus en plus souvent le contrôle de leurs entreprises et acculer les actionnaires financiers à un rôle de minoritaire consentant !


Deux trois tours et puis s’en va… en sponsorless. Ce scénario semble devenir le « Saint Graal » pour les managers ayant goûté au charme du LBO secondaire, tertiaire, voire quaternaire. Ces derniers mois, on a vu se multiplier les opérations de buyout où le management prend le contrôle majoritaire de son entreprise, ayant suffisamment accumulé de plus-value et de pouvoir, pour imposer cette configuration rarissime, sinon impensable il y a quelques années. Ainsi du management de Diam International pour lequel le quatrième LBO aura été le bon pour la prise d’indépendance, sous la houlette de Michel Vaissaire. Cet ancien cadre dirigeant de grands groupes (Saint Gobain puis Arjowiggins) avait goûté au LBO en 2007 avec HIG. Le fonds américain orchestrait sa première opération hexagonale en prenant le contrôle du fabricant de présentoirs pour les produits cosmétiques, qui n’était pas en grande forme à l’époque. Cinq ans plus tard, c’est au tour de LBO France de prendre le relais au capital d’une société redressée et en pleine croissance, avant de céder le contrôle à Ardian l’été 2016. L’équipe de management en a profité pour se reluer à chaque opération et élargir le cercle d’actionnaires de quelque 80 cadres en 2012 à presque 120 lors du dernier LBO. C’est donc tout naturellement qu’ils ont pris, cet été, le contrôle de 66 % du capital de l’entreprise, devenue leader mondial des solutions de merchandising, avec le soutien d’EMZ qui détient le quart du capital aux côtés de BNP Paribas développement. En dix ans et 4 tours, Diam International est passée de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006 à 300 millions en 2017, dont les trois-quarts à l’international.


"On n’est plus dans les temps anciens du private equity où on achetait une cible à 4 fois l’Ebitda et on la revendait à un multiple de 7 en l’ayant à peine dépoussiérée », rappelle un investisseur"


De belles histoires de croissance. Car ce sont souvent des histoires de croissance exceptionnelles qui légitiment la prise du pouvoir des cadres-dirigeants, garants de la poursuite du succès de leur entreprise, que ce soit sur le segment du small cap encore très incarné, ou celui de l’upper-mid, supposé plus structuré et moins dépendant d’hommes clés. En témoigne l’émancipation du management du courtier en assurance Siaci Saint Honoré en juin dernier. Trois ans après être passé sous le contrôle d’Ardian, l’un des grands du courtage d’assurances français a changé de main pour une valorisation estimée à plus d’un milliard d’euros, soit le double de sa valeur trois ans plus tôt. Une culbute qui aura permis au management du groupe, actionnaire à hauteur de 30 %, de prendre la majorité du capital, avec le soutien de Charterhouse, qui se contente d’une position de minoritaire à ses côtés. La preuve que les fonds anglo-saxons au tropisme majoritaire se résignent à subir le changement de rapport de force en faveur du management. De fait, le marché français du LBO est le plus mature d’Europe continentale avec des équipes désormais rompues à l’exercice des négociations avec les fonds. De LBO secondaires en LBO tertiaires, les managers ont gagné en assurance et en expertise et se sont souvent retrouvés en position de faire pencher la balance pour le sponsor de leur choix dans les opérations les plus prisées. « La France est quand même le seul pays au monde où l’on trouve un cabinet d’avocats avec 50 collaborateurs exclusivement dédiés au management package ! », ironise un investisseur. Manager de LBO est d’ailleurs presque devenu un nouveau métier, en tout cas une spécialité à part. Il n’y a qu’à parcourir les comptes Linkedin des différents CEO des entreprises dans les portefeuilles des fonds pour comprendre que cette qualité est revendiquée comme une compétence en tant que telle. Il faut dire que les temps ont changé et les profils chevronnés de dirigeants ayant réussi à mener leur barque pendant trois, quatre, voire cinq LBO successifs se paient cher. « On n’est plus dans les temps anciens du private equity où on achetait une cible à 4 fois l’Ebitda et on la revendait à un multiple de 7 en l’ayant à peine dépoussiérée », rappelle un investisseur, un brin nostalgique des débuts du secteur.


Un cas d’école. Par conséquent, les managers ont aujourd’hui parfaitement conscience de leur importance dans la réussite d’un deal. Ils savent que pour apporter les transformations nécessaires à la création de la valeur et du TRI du fonds, ils doivent se démener et aller chercher la croissance avec les dents. Sur les deals les plus âprement disputés, les équipes dirigeantes arrivent à la table des négociations avec des packages déjà ficelés et imposent leurs règles, pas seulement au niveau des taux de déclenchement de la rétrocession de la plus-value, mais aussi sur les conditions de leavers et des clauses de « drag along » pour garder la main sur le timing de sortie. Et tant qu’à avoir son mot à dire sur la gouvernance, pourquoi ne pas carrément présider aux destins de l’entreprise et cantonner l’actionnaire financier au rôle de minoritaire passif ? Ce fut encore le cas du management d’ADF cet automne qui a choisi de recomposer son capital avec l’entrée d’Abénex en minoritaire, pour une valorisation estimée à plus de 240 millions d’euros, soit plus du double du prix du dernier LBO en 2014. Il faut dire que le spécialiste de l’ingénierie et de la maintenance industrielle est rodé aux opérations haut de bilan. Depuis son spin-off de GDF en 2007 soutenu par Andera Partners, il a orchestré un MBO sponsorless en 2014 avec Actomezz et Étoile ID, rejoints en 2016 par ACE Management pour financer l’acquisition de Latécoère Services, une prise de 100 millions d’euros de revenus qui lui a permis de quasiment doubler de taille en dépassant les 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec sa culture de minoritaire assumée, Abénex a réussi à remporter le process très concurrentiel en entrant à hauteur de moins de 20 % du capital, la grosse majorité des 80 % restant aux mains du management mené par Marc Eliayan, la petite cinquantaine, entré en 1991 chez ADF, dont il dirige les rênes depuis 2001. La preuve que les cadres dirigeants se sentent de plus en plus légitimes à être « califes » à la place de l’actionnaire financier… « C’est secrètement le rêve de beaucoup de managers qui finissent par bien maîtriser les rouages du LBO et vont chercher directement de la dette pour faire des montages sponsorless », constate, un peu dépité, un GP qui regrette cette confusion des genres. Un des exemples les plus emblématiques demeure celui de Ceva Santé Animale. Son management goûte au LBO dès 1999 quand PAI a orchestré le spin-off du laboratoire vétérinaire de Sanofi. Sous l’égide de son président de l’époque Philippe du Mesnil, une centaine de managers ont accès au capital lors du deuxième LBO avec Industri Kapital en 2003. Mais lors de la sortie de ce dernier en 2007, le management préempte la vente et prend le contrôle du LBO ter en invitant à son tour de table des minoritaires triés sur le volet : NiXEN Partners et Euromezzanine dans un premier temps, puis Sagard en 2010. Il faut dire que l’entreprise est un des fleurons du LBO tricolore, leader mondial sur son secteur avec une forte croissance à l’international, et particulièrement en Asie. C’est donc sans grande difficulté que lors de son quatrième LBO, le management dirigé par Marc Prikazsky (successeur désigné de Philippe du Mesnil à son départ à la retraite) et les 1 000 salariés actionnaires dans le cadre du FCPE ont réussi à garder leur bloc majoritaire tout en accueillant deux fonds stratégiques chinois et singapourien pour une valorisation d’1,5 milliard d’euros ! Ce cas d’école, qui faisait figure d’exception, il y a encore quelques années, tend à se généraliser et à faire des émules auprès des équipes dirigeantes de toutes les strates du mid-market.

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