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Asmodée, la carte gagnante à tous les coups

Par Houda El Boudrari


2007 : Entrée au capital du fonds Montefiore Investment. 2013 : Prise de contrôle par Eurazeo sur la base d’une valeur d’entreprise de 143 M€. 2018 : PAI propose une offre d’achat valorisant Asmodée à 1,2 Md€, soit 15 fois l’Ebitda 2017.


En 4 ans, le chiffre d’affaires de la société est passé de 125 millions d’euros, dont 48 % en France, à 442 millions, dont 75 % à l’international, soit un taux de croissance annuel moyen de 37 %.


Le petit poucet du jeu de société a connu une transformation spectaculaire en une dizaine d’années qui l’a hissé parmi les poids lourds des éditeurs mondiaux, et multiplié sa valorisation par 30 depuis 2007 !


Ce fut le LBO jackpot de cet été. Valorisé 1,2 milliard d’euros par PAI, Asmodée a permis à Eurazeo de réaliser sa deuxième meilleure sortie de l’histoire après l’IPO de Moncler en 2013. L’éditeur des jeux de société, dont les célèbres Jungle Speed, Dobble et Times Up, a en effet rapporté 435 millions d’euros de plus-value à l’investisseur coté, soit un multiple de 4 fois sa mise initiale et un TRI de 35 %. Il faut dire que la société s’est transformée en profondeur, d’un distributeur franco-européen à un éditeur mondial aujourd’hui. En quatre ans, le chiffre d’affaires est passé de 125 millions d’euros, dont près de la moitié en France, à 442 millions, dont les trois-quarts à l’international, soit un taux de croissance annuel moyen de 37 %. L’Ebitda a fait encore mieux en augmentant de 13 millions d’euros à 80 millions en 2017, avec une projection de 100 millions pour 2018. De quoi clouer le bec aux sceptiques face à l’intérêt d’Eurazeo il y a cinq ans pour une entreprise bien en dessous des radars des fonds large et upper-mid. Ces derniers se sont bousculés lors du processus de cession piloté par Goldman Sachs et Messier Maris & Associés réunissant des BC Partners, Cinven, Ares et Kirkbi, société holding de la famille fondatrice du groupe danois Lego qui s’était allié au dernier round à CVC. En acceptant de débourser près de 15 fois l’Ebitda 2017 de la cible, PAI a coiffé ses concurrents au poteau, misant sur la capacité d’Asmodée à rejouer la même partie que pour ses précédents actionnaires. Car si l’on retient le formidable saut effectué entre les 143 millions d’euros déboursés par Eurazeo en 2013 et la valorisation actuelle, on oublie qu’en 2007, le premier LBO orchestré par Montefiore s’est conclu sur une valeur d’entreprise de quelque 40 millions d’euros… soit une multiplication par 30 en à peine plus de dix ans. Cette equity story à l’américaine pour un éditeur de jeux à consonance anglo-saxonne est pourtant bien française.


Un entrepreneur autodidacte. À l’origine de ce succès, Marc Nunès, un entrepreneur autodidacte qui s’est lancé en 1995 dans le marché confidentiel des jeux de rôle et a su prendre le virage du mass market et des best-sellers des jeux de société. Après quelques années de vaches maigres sur une niche en érosion, l’entrepreneur se repositionne sur un modèle bicéphale d’éditeur et de distributeur de jeux. En 1998, il lance Jungle Speed – dérivé du traditionnel jeu du bouchon ou jeu du briquet – qui se joue avec un jeu de cartes traditionnel et consiste à attraper le premier un bouchon posé au centre de la table lorsque deux cartes identiques apparaissent. Le jeu s’est hissé en tête des ventes en France, avec 350 000 exemplaires vendus en 2011, soit autant que les indémodables Monopoly, Trivial Pursuit ou La Bonne Paye. En 2005, l’entreprise française a sorti Time’s Up, dans lequel les joueurs doivent deviner des personnages, puis en 2010, nouveau coup gagnant avec Dobble, un jeu basé entre autres sur des parties courtes. Là où des poids lourds mondiaux capitalisent sur des marques très fortes comme le Monopoly, le Scrabble ou Puissance 4 déclinées en différentes versions et distribuées grâce à des canaux mass market, la stratégie d’Asmodée est plus ciblée et créative. Chaque année, l’éditeur propose une centaine de nouveaux produits avec la volonté d’apporter de la modernité dans le jeu de société. Il s’est notamment fait une spécialité des party games – jeux d’ambiance aux parties courtes et rythmées – plus compatibles avec le mode de vie actuel que les interminables parties de Monopoly au coin du feu. Son approche marketing est aussi différente : les jeux sont dans un premier temps lancés avec de petits volumes, entre 3 000 et 6 000, sur un réseau indépendant de boutiques très spécialisées et surtout accompagnés d’un marketing terrain très offensif. Pour développer la notoriété de ses blockbusters, l’éditeur organise durant l’été des tournées de plages, s’invite sur des festivals de rock, monte des stands dans les Salons grand public de jeux de rôle ou d’heroic fantasy.


L’expansion internationale. Mais le vrai tournant s’est opéré en 2003, lorsque l’éditeur a récupéré la licence des cartes à collectionner Pokémon, qui lui ouvrira la porte de la grande distribution. Marc Nunès reste pourtant seul aux manettes de sa petite entreprise jusqu’en 2005, date à laquelle il ouvre (un peu) son capital à Naxicap à hauteur de 18 %. Lucide sur les limites de sa croissance en cavalier seul, il cherchera un partenaire financier plus « hands-on » pour accompagner ses ambitions de développement international en 2007. C’est là qu’entre en jeu Montefiore, qui étrenne avec Asmodée les investissements de son deuxième véhicule doté de 120 millions d’euros. Dès 2008, Asmodée fait l’acquisition du distributeur de jeux belge Hodin, suivi de petites acquisitions en Espagne et en Allemagne. En 2010, l’éditeur conforte sa présence européenne avec le rachat de 60 % d’Esdevium Games, spécialiste anglais des jeux de société, et à l’automne 2010, Asmodée complète son portefeuille de produits avec l’acquisition du jeu de stratégie Abalone. Et chaque nouveau produit qui entre au catalogue est distribué simultanément dans tous les pays couverts…


Le management aussi se structure avec l’arrivée de Stéphane Carville en tant que directeur financier qui prendra les rênes en 2012 à mesure que le fondateur se retire des manettes opérationnelles, dépassé par le monstre qu’il a créé. Car l’ancienne boîte artisanale fondée par un passionné des jeux de rôles s’est transformée en machine de guerre qui lorgne vers la position de numéro un mondial du jeu de société. Depuis la prise de contrôle d’Eurazeo en 2013, le petit poucet s’est révélé avoir un appétit d’ogre en réalisant une vingtaine d’acquisitions, représentant plus de 140 millions d’euros de chiffre d’affaires, qui lui ont permis d’enrichir son catalogue avec des best-sellers mondiaux et faire passer la part de l’édition, plus rémunératrice, à environ deux tiers des ventes de jeux. Éditeur de franchises parmi les plus populaires au niveau international comme Catane, Les Aventuriers du Rail, Splendor ou encore Dobble/Spot it !, et distributeur des cartes à collectionner Pokémon ou Magic, Asmodée s’est attelé à défricher le territoire américain avec la reprise du californien Days of Wonder en 2014, éditeur du best-seller Les Aventuriers du Rail, et Fantasy Flight Games, propriétaire de licences fortes comme Star Wars et Le Trône de Fer. Son objectif aujourd’hui est de conforter son ancrage américain. Le pays de l’Oncle Sam a beau peser 35 % de son chiffre d’affaires, il n’y détient encore que 10 % de part de marché, à comparer aux 30 % de taux de pénétration dans l’Hexagone. Sous l’ère PAI, Asmodée aura aussi à développer le canal digital avec le lancement d’une application payante, voire à explorer la déclinaison de l’univers des jeux sur d’autres plateformes de contenu comme le cinéma ou les jeux vidéo…

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