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Brexit : l’adaptation réglementaire de la gestion d’actifs

> Ci-dessus, de gauche à droite : Grégoire Charbit, membre du directoire, Oddo BHF AG et membre du Collège, Oddo BHF SCA, Gilles Kolifrath et Hubert de Vauplane, associés, Kramer Levin.

Dans le cadre des négociations entre le Royaume-Uni (RU) et l’Union Européenne (UE), le 13 novembre 2018, la Commission a adressé au Parlement, au Conseil européen, à la BCE, au comité social et économique européen, au comité européen des régions et à la banque européenne d’investissement un rapport concernant la préparation du plan d’action contingent en vue du Brexit le 30 mars 2019. 


Entretien avec Grégoire Charbit, membre du directoire, Oddo BHF AG et membre du Collège, Oddo BHF SCA, Gilles Kolifrath et Hubert de Vauplane, associés, Kramer Levin. Entretien organisé le 05 décembre 2018 .


Les conclusions de la Commission à l’issue de ce rapport sont les suivantes :


• de proposer toutes les mesures législatives nécessaires et adopter tous les actes délégués avant le 31 décembre 2018 ;


• dans le cadre des actes législatifs, de permettre au Parlement et au Conseil de disposer du temps nécessaire pour mener à bien la procédure législative ordinaire avant l’assemblée plénière du Parlement sortant en mars 2019 et pour exercer ses fonctions de contrôle des actes délégués ;


• de soumettre tous les projets d’actes d’exécution nécessaires à un vote au sein des commissions compétentes pour le 15 février 2019 au plus tard.


Un jour plus tard, le 14 novembre 2018 à 21 heures, le Gouvernement britannique et la Commission européenne annonçaient un accord sur le retrait du RU de l’UE. Le draft Agreement on the withdrawal of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland from the European Union and the European Atomic Energy Community est un protocole d’accord de 585 pages comprenant un préambule, un protocole d’accord en plusieurs parties et 10 annexes régissant le sort des relations RU - UE en cas de Brexit et notamment le régime transitoire prévu jusqu’au 31 décembre 2020. Dans l’éventualité, d’un vote favorable par le Parlement du RU et le Parlement européen, nous serions donc en présence d’un Soft Brexit.


Il semblerait que dans le cadre du Brexit, le régime d’« équivalence amélioré » ait les faveurs du gouvernement britannique au grand dam de la City qui militait pour le mécanisme de la reconnaissance mutuelle. Qu’est-il souhaitable in fine ?


G. Kolifrath et H. de Vauplane : Rappelons tout d’abord que plusieurs questions d’importance se posent avec le Brexit. En tout premier lieu, il s’agit de vérifier dans quelles conditions les acteurs britanniques peuvent continuer d’exercer des activités réglementées post-Brexit. Dans ce cadre, le Haut comité juridique de la Place financière de Paris (auquel Kramer Levin participe) a publié des analyses très détaillées sur les conséquences du Brexit concluant à la continuité des contrats en cours et à l’obligation de mener une revue détaillée et in concreto de l’ensemble des relations contractuelles en l’état de la réglementation actuellement applicable. Il n’en demeure pas moins que le diable se cache dans les détails et que dans certaines situations, il conviendra de prévoir des dispositions législatives pour assurer la sécurité juridique, comme le prévoit le projet de loi préparé par le gouvernement en cas d’absence d’accord Brexit.


Le régime d’équivalence entre l’UE et la Grande Bretagne est-il souhaitable ? Pas sûr, mais il pourra permettre au RU d’intervenir sous conditions en fonction des textes existants dans l’UE. À cet égard, il convient d’indiquer que le régime d’équivalence contient de nombreuses contraintes :


• les décisions d’équivalence ne concernent que certaines réglementations ;


• les décisions d’équivalence peuvent être révoquées à la discrétion de la Commission ;


• certaines décisions d’équivalence sont fondées sur la réciprocité et la confiance mutuelle, ce qui signifie que le pays tiers reconnaît également l’équivalence de l’UE ;


• le régime ne vise pas à élargir le marché mais constitue un outil de gestion des risques, dès lors il pourrait exister divers degrés de contrôle selon les équivalences ;


• dans la plupart des cas, les décisions d’équivalence confèrent le droit de fournir des services financiers dans l’ensemble de l’UE ;


• l’accès peut être limité au marché unique pour certains services sans traiter l’évolution de ce régime d’équivalence dans le temps.


Quelles sont les recommandations souhaitées concernant les activités de gestion d’actifs dans le contexte du Brexit ?


G. Charbit : La date du Brexit approchant, le groupe ODDO BHF a analysé les différentes options envisageables pour poursuivre ses activités et s’est entretenu, à plusieurs reprises, avec la Financial Conduct Authority (FCA). Il résulte de ces analyses et échanges que :


• d’une part, une période de transition de deux ans dite de « Temporary Regime » permettrait aux entités européennes, fournissant des services d’investissement sur le fondement de la libre prestation de services, de poursuivre leurs activités dans le même cadre réglementaire que le régime actuel ;


• d’autre part, le droit national applicable au RU organise un régime d’exemption (« Exemption Regime ») permettant aux « Overseas persons » (i. e. Sociétés fournissant une activité régulée au RU sans y avoir d’établissement permanent) proposant leur service à des « authorized entities » sans autorisation spécifique délivrée par la FCA.


G. Kolifrath et H. de Vauplane : La méthodologie à appliquer est simple : l’activité nécessite elle un agrément ? Dans l’affirmative, en l’absence d’agrément, il faudra désormais compter sur certaines exceptions : celles déjà prévues (« reverse sollicitation »), celles des mesures transitoires, celles expressément prévues dans le cadre du Brexit (exemple : régime « overseas persons »), ou encore régime exceptionnel des régulateurs et autorités de contrôle. Les accords en train d’être négociés pourront aussi prévoir ce régime, les pistes de réflexions sont nombreuses et non exhaustives.


Dans la négative, il n’y a pas besoin d’agrément ni de « passeportage », et l’activité peut être exercée sans solliciter l’intervention d’aucune autorité compétente, même après le Brexit.


Il est souhaitable, dans ce contexte de Brexit, que les directives OPCVM, AIFM et MiFID soient davantage harmonisés entre les différentes directives et leur application mieux coordonnée. Quels sont les points bloquants dans ce manque d’harmonisation ?


G. Kolifrath et H. de Vauplane : Il nous semble en effet souhaitable que l’UE se penche sur les textes existants dans la mesure où ceux-ci ont été négociés avec un RU membre de l’UE et non hors-UE : plus généralement, l’UE n’a pas voulu mettre en place un régime de « passeportage » en dehors du passeport qui est propre à l’UE !


MiFID 2 a-t-elle conduit à des changements sur la structure des marchés européens ?


G. Kolifrath et H. de Vauplane : MiFID 2 crée de nombreuses obligations incombant aux prestataires de service d’investissement envers les investisseurs particuliers ou institutionnels, en fonction de la nature et de la complexité des services prestés. Si MIF (1 et/ou 2) n’est pas une directive ayant vocation à créer une modification de l’infrastructure de marché (contrairement à EMIR, par exemple), on peut néanmoins noter que plusieurs points ont modifié les relations structurelles des acteurs :


• l’encadrement plus précis de l’activité de teneur de marché ;


• les restrictions du trading algorithmique ;


• la création d’une nouvelle catégorie de plateforme les OTF.


Par ailleurs, MiFID 2 a surtout corrigé certains dysfonctionnements de la directive MIF 1 et a modifié en profondeur la gouvernance des produits, le régime des avantages et rémunérations, la notion de conseil « indépendant », la structure de marché/la transparence, la publication et le reporting des transactions, le trading haute fréquence (HFT) et le trading algorithmique, les matières premières.


Quelles sont les conséquences dommageables de l’entrée en vigueur de MiFID 2 ?


G. Kolifrath et H. de Vauplane : L’un des points qui remontent de nos clients est la difficulté d’appréhension et de compréhension des textes, jugés trop complexes, peu lisibles, et surtout beaucoup trop longs. De plus en plus souvent, il est nécessaire de demander des clarifications à l’ESMA sous forme de Q&A, ou de faire appel à des experts de la réglementation. Les ressources internes et externes qu’il faut mettre en place peuvent finir par nuire au business. À titre illustratif, il n’existe pas de recueil de textes intégrant le droit européen et le droit national : il faut jongler avec les codes et les textes européens. L’objectif de lisibilité et prédictibilité de la réglementation ne semble pas atteint de ce point de vue.


Comment Oddo BHF s’est-elle adaptée aux évolutions réglementaires et, notamment, à l’entrée en vigueur de MiFID 2 ?


G. Charbit : L’adaptation à MiFID 2 nécessite notamment :


• une mobilisation forte des équipes pour comprendre les enjeux de cette nouvelle réglementation ;


• une nécessité de travailler avec des conseils externes pour assimiler la charge de travail liée à de tels projets ;


• un travail en amont avec nos prestataires habituels (providers de données, d’outil front, d’outils de reportings…), chacun d’entre eux ayant développé et facturé des outils adaptés aux contraintes de MiFID 2 ;


• de très nombreux développements IT en interne pour pouvoir « automatiser », dans la mesure du possible, l’ensemble de ces nouvelles contraintes ;


• la formation de l’ensemble des collaborateurs concernés par ces nouvelles règles, contraintes et outils.


Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs bancaires dans le cadre de leur mise en conformité avec MiFID 2 ?


G. Kolifrath et H. de Vauplane : Là encore, nos clients nous ont beaucoup interrogés sur les problématiques d’interprétation des normes de niveaux 2 et 3 : les normes sont interprétées de manières différentes dans tous les États-membres du fait de la nature juridique de MiFID 2 (directive). Tel n’est pas le cas avec le règlement MiFIR et l’ensemble des règlements délégués qui, eux, instaurent un cadre bien plus strict, non sujet à l’interprétation des États.


Nous avons eu surtout eu de nombreuses difficultés opérationnelles à traiter. De nombreux clients nous ont interrogés sur les problématiques de transparence, de reporting et aussi de rémunération…


Quelle place l’Afrique accorde-t-elle à ces instruments financiers ? Quelles sont les perspectives de développement ?


Gilles Kolifrath et Hubert de Vauplane : « Les marchés des capitaux sont composés des émissions de titres de capital et de créances. Mais ce sont en réalité les marchés des dérivés (OTC) qui ont retenu l’attention des régulateurs après la crise de 2008.


Selon l’ESMA, il s’agit en effet de 660 trilliards d’euros de dérivés conclus en 2018 en Europe !


On pourra d’ailleurs noter qu’une grande partie de ces dérivés sont maintenant compensés via une chambre de compensation, comme l’ont souhaité le G7 et le FSB après la crise (entre 87 et 96 %, selon les produits traités – essentiellement certains dérivés de crédit et les dérivés de taux, selon l’ISDA).


Les pays de la zone UEMOA et CEMAC (ayant le Franc CFA comme monnaie) ont développé ces activités sur produits dérivés et utilisent, de même, le prêt de titre et la pension livrée. Il y a surtout, en réalité, un développement des dérivés de change et sur matières premières. Le développement reste bien sûr sans commune mesure avec celui du marché européen ou américain, mais l’avenir se passe clairement là-bas.


Si le marché OTC européen se développe de plus en plus, nous constatons également en pratique un développement de l’activité des marchés de capitaux dans les marchés des zones régionales UEMOA et CEMAC, et plus particulièrement des dérivés OTC, qui deviennent de plus en plus structurés et s’inspirent grandement du droit français et international.


Nous accompagnons en conséquence de nombreux clients qui interviennent en Afrique, que ce soit dans la mise en place de leurs contrats, ou dans les demandes de licences bancaires ou autres. Cependant, l’extension de l’activité aux acteurs étrangers reste difficile du fait d’une pratique encore récente de ces marchés dérivés dans la plupart des pays en Afrique.


L’ISDA conduit, en ce moment, différentes analyses du cadre juridique dans plusieurs pays en Afrique afin de préciser le risque juridique lors d’opérations sur produits dérivés. Un certain nombre de ces pays sont d’ailleurs en train de clarifier le cadre légal national afin d’y intégrer les dispositions permettant un “close out netting” efficace et sûr. Depuis deux ans, nous avons délivré à l’ISDA des avis juridiques sur plusieurs pays en Afrique (Tunisie, Maroc, Côte d’Ivoire…). Reste aussi la question du contrôle des changes dans certains de ces pays qui vient parfois compliquer la situation.


Les années à venir permettront, nul n’en doute, l’essor des produits dérivés en Afrique, comme cela a été le cas dans toutes les zones qui se sont développées dans le monde ces trente dernières années… »

Interview croisée

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