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LA CONSOLIDATION À GRANDE VITESSE DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE DE LA BIOLOGIE MÉDICALE - ENTRETIEN CROISÉ entre Gilles Bigot, associé co-gérant du cabinet Winston & Strawn, et Benjamin Arm, managing partner d’Omnes

Après son entrée au capital au printemps 2020, Omnes a cédé, en début d’année 2022, le groupe de biologie médicale Biofutur à Inovie, lui-même détenu par Ardian. Retour sur un LBO primaire exceptionnel dans un marché en pleine consolidation.



Omnes est entré au capital de Biofutur au printemps 2020, à l’occasion d’un LBO primaire. Comment les avez-vous approchés ?

Benjamin Arm : Omnes avait sourcé sans intermédiation le dossier Biofutur durant l’été 2018, mais les associés biologistes n’étaient pas tous accordés sur la stratégie à suivre. Le groupe comptait plus de 60 actionnaires, avec des profils de toutes séniorités, issus de différents laboratoires et aux intérêts pas toujours alignés. Entre 2018 et 2019, ces derniers ont donc évalué leurs meilleures options et ont d’abord négocié avec un industriel, puis discuté avec des fonds anglo-saxons, dont l’ADN était en rupture avec ce qu’ils sont. Ils ont ensuite repris contact avec nous et les discussions se sont accélérées en juillet 2019. Elles ont duré neuf mois. Ces dossiers de LBO primaires sont souvent des process au long cours, puisqu’il faut convaincre les fondateurs, leur expliquer la technicité du deal, les conséquences pour eux et leur travail. La pédagogie est essentielle. L’acquisition a finalement été closée au début du mois de mars 2020, la semaine précédant le premier confinement.

Gilles Bigot : Il est assez rare, dans ce secteur, qu’existe préalablement un alignement des intérêts de chaque associé au moment où un investisseur propose d’entrer au capital. Souvent pour des raisons générationnelles : les plus anciens entendent valoriser patrimonialement de manière optimale ce qu’ils ont capitalisé, la génération du milieu est très ambitieuse et étudie le projet avec attention, tandis que les plus jeunes n’ont généralement pas encore les moyens de réinvestir. Tout l’art consiste donc à aligner les intérêts de ces trois catégories classiques d’associés avant de lancer les opérations d’acquisition à proprement parler.

Les contraintes réglementaires sont nombreuses dans ce secteur. Comment les aborder en amont du deal ?

Gilles Bigot : Dans le monde de la santé, les opérations corporate continuent de prendre le double, voire le triple, du temps de celles issues des autres secteurs du droit commun. Ceci s’explique d’abord par la psychologie des professionnels de santé, qui ne sont pas initialement des hommes d’affaires rompus aux montages du private equity. Ils prennent le temps de bien comprendre le rationnel de l’opération envisagée, les montages qui les sous-tendent, posent de nombreuses questions et analysent la situation avec une particulière acuité. S’ajoutent également des contraintes réglementaires propres au code de la santé publique et à la déontologie (elle aussi codifiée) applicable à la profession concernée. Elles sont liées aux limitations, dans le niveau de détention de capital, par un investisseur non professionnel de la santé et dans la gouvernance. L’investisseur non professionnel de santé peut, sauf pour certaines professions telles que dentistes ou pharmaciens d’officine, être majoritaire, sous certaines conditions, en droits économiques, mais pas en droits de vote. La gouvernance doit donc être travaillée en amont, tout comme la structure juridique, qui doit bien souvent être réorganisée pour permettre une cession et/ou une entrée en capital.

Quel était votre plan de développement pour Biofutur ?

Benjamin Arm : Nous souhaitions d’abord participer à la consolidation du marché de la région parisienne en rachetant des plus petits acteurs, afin de doubler la taille de Biofutur. Nous voulions également continuer à structurer la croissance organique du groupe à travers des recrutements de spécialistes de l’IT, des achats, des RH, etc. Nous avions aussi pour objectif d’optimiser les plateaux techniques. La crise sanitaire nous a conduits à revoir une partie de notre plan. Le Covid-19 nous a tous pris de court, quasiment une semaine après le closing de l’opération. Le deal comportait une dette senior avec un certain niveau de levier. Nous avons eu quelques sueurs froides car, durant les deux premiers mois de confinement, Biofutur n’a réalisé que 70 % de son chiffre d’affaires. Biofutur est ensuite revenu à des niveaux normaux d’activité. Lorsque la stratégie de tests massifs a été mise en place par l’État, le groupe ne s’est pas immédiatement positionné, par prudence. Mais en fin d’année 2020, les biologistes ont ouvert deux centres de tests autorisés par les ARS, puis plusieurs autres au début de 2021, au sein desquels ils ont fait preuve d’un travail de grande qualité, parfaitement respectueux des délais imposés par l’État.

Trois opérations de croissance externe ont été réalisées. Comment se sont-elles déroulées dans ce contexte ?

Benjamin Arm : Les biologistes ont été submergés par cette vague d’activité et avaient finalement moins de temps à accorder au plan de build-up. Au bout d’un an, nous avons donc mandaté une banque d’affaires pour nous accompagner en M&A. Mais les cibles étaient bien souvent dans la même situation que Biofutur, c’est-à-dire avec des associés concentrés à 100 % sur le traitement des dossiers Covid et conscients de la hausse à venir des prix dans leur secteur. Nous avons tout de même réussi à mener trois opérations intéressantes durant ce LBO.

Comment réagit l’Autorité de la concurrence à ces opérations de croissance externe qui s’enchaînent ?

Gilles Bigot : Toutes les opérations, qui atteignent les seuils légalement prévus, sont notifiées à l’Autorité de la concurrence, voire à la Commission européenne, sans conséquence problématique jusqu’alors du fait de l’historique de la consolidation du secteur. Le code de la santé publique prévoit des limitations à la concentration dans le secteur de la biologie médicale. Dans un territoire donné, un acteur ne peut pas réaliser plus d’un certain pourcentage des actes de biologie. Les actes réalisés par le secteur public doivent néanmoins être pris en compte dans ce pourcentage. Dans ces conditions, il semble difficile d’imaginer qu’un acteur privé réalise une masse de soins telle qu’il mettrait en péril l’accès médical aux analyses de biologie médicale localement. J’ajoute en outre que personne n’a un accès fiable aux statistiques du secteur public. Il reste donc peu évident de disposer d’une vue précise de la situation concurrentielle.

Dix-huit mois après son entrée au capital de Biofutur, Omnes a annoncé la cession du groupe à Inovie, soutenu par Ardian. Un premier LBO pour le moins rapide… !

Benjamin Arm : Habituellement, ce n’est pas notre délai d’equity story, surtout dans un LBO primaire. Notre temps de détention tourne plutôt autour de quatre ou cinq ans. Mais face au phénomène du Covid-19, nous avons eu une analyse rationnelle de la situation, étant persuadés que l’activité allait revenir à un niveau plus normatif à terme. Nous avons été approchés assez rapidement par un industriel qui souhaitait participer à la consolidation du marché. Les niveaux de multiples proposés correspondaient à nos objectifs. Nous avons alors informé les biologistes qui, fort d’un certain pragmatisme, ont jugé le projet cohérent. Les discussions ont donc été entamées en exclusivité l’été dernier avec le groupe Inovie.

Ces opérations s’inscrivent dans un contexte de consolidation à marche forcée du secteur de la biologie médicale. Quelle analyse en faites-vous ?

Gilles Bigot : Les opérations de M&A et de private equity, dans le secteur de la biologie médicale, ont démarré il y a quasiment 30 ans lorsque, en 1992, Ramsay Santé (anciennement Générale de Santé) a fait la toute première acquisition d’un laboratoire. Depuis, le mouvement s’est accéléré. Le premier laboratoire dont je me suis occupé à la vente, à l’époque, s’est vendu à 50 % de son chiffre d’affaires. Aujourd’hui on est à 350 %, voire 400 % du chiffre d’affaires hors Covid. Partners Group a vendu Cerba HealthCare à EQT pour environ 4,5 Mds€ ! Tout ce mouvement de consolidation constitue ce que l’on a appelé – improprement – la « financiarisation » du secteur des professionnels de santé. J’ajoute que les pouvoirs publics encouragent en réalité cette consolidation du secteur, qui leur permettra, demain, de mettre en place des contraintes tarifaires plus fortes, c’est-à-dire de moins rembourser les actes de laboratoires plus concentrés, donc plus forts financièrement. L’État est également très conscient que des sauts technologiques, scientifiques, médicaux doivent être conduits, permettant aux groupes français de rester compétitifs dans l’environnement international. Or, seuls les laboratoires ayant une taille critique ont les moyens d’investir dans l’évolution technologique nécessaire au maintien d’un niveau d’analyses de haut vol.

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