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Franck Provost : une ascension ébouriffante

Du premier salon ouvert en 1975 à l’empire de coiffure, leader européen et numéro deux mondial, Franck Provost a bâti sa formidable réussite par paliers et coiffé au poteau ses célèbres confrères, Jacques Dessange ou Jean-Louis David, pourtant partis avec une longueur d’avance.


« J’aimerais que mon histoire inspire les jeunes confrontés à un avenir bouché, qu’ils se disent qu’on peut commencer apprenti à 14 ans dans un salon de coiffure d’une ville de 4 000 habitants et devenir un entrepreneur à succès grâce au travail et à la passion », confie Franck Provost, pas avare de son temps ni de son enthousiasme communicatif dès qu’il s’agit de défendre les métiers de l’artisanat, même si son groupe Provalliance est devenue une véritable multinationale. Propriétaire des enseignes Franck Provost, Jean-Louis David, Maniatis, Saint-Algue, Fabio Salsa ou encore The Barber Company, le groupe compte plus de 3 500 salons de coiffure dans 35 pays, dont les deux tiers exploités en franchise. Il réalisait en 2019 450 M€ de chiffre d’affaires, pour environ 1,5 Md€ de volume d’affaires, avec une croissance à deux chiffres stoppée net par le confinement qui lui a fait perdre environ 30 % de revenus en 2020, même s’il a réussi à faire face grâce à une trésorerie robuste. Son modèle d’expansion mixte à la fois en succursales, franchises et licences et le développement d’activités annexes, dont la vente de produits cosmétiques via sa filiale Bleu Libellule, l’ont hissé au deuxième rang des acteurs mondiaux de la coiffure, au coude-à-coude avec l’américain Regis, aujourd’hui en difficultés.


Premier concept innovant. Pourtant, rien ne prédestinait Franck Provost à cette ascension vertigineuse. Tombé dans le bac à shampoing complètement par hasard, à 14 ans chez le coiffeur de sa mère au Lude, petite ville au sud de la Sarthe où il fait « un apprentissage gentillet » sans se découvrir une véritable passion pour le métier. Ce n’est qu’en rejoignant la capitale quelques années plus tard qu’il se frotte aux coiffeurs chevronnés et se prend au jeu des concours et des championnats nationaux et internationaux. Primé à plusieurs reprises, il devient ambassadeur de marques comme L’Oréal et décide de voler de ses propres ailes en 1975 en reprenant un salon à Saint-Germain-en-Laye, financé par un prêt de sa famille. Il inaugure alors son premier concept innovant en instaurant le « sans rendez-vous » et la « journée continue ». C’est un véritable carton et le jeune coiffeur, entouré d’une équipe ambitieuse et soudée, vole de record en record sans pour autant attirer l’attention de la presse « fashion » très parisienne. Qu’à cela ne tienne, Franck Provost part à l’assaut du huitième arrondissement et ouvre son premier salon parisien en 1979 avenue Franklin Roosevelt qui rencontre un succès immédiat. « Je me suis dit alors que si je voulais retenir mes meilleurs collaborateurs avant qu’ils ne veuillent à leur tour voler de leurs propres ailes, il fallait que je leur offre des perspectives d’évolution et d’indépendance en leur confiant de nouveaux salons », raconte le charismatique patron, qui a ainsi ouvert en 20 ans une vingtaine de succursales en associant ses collaborateurs les plus entrepreneuriaux. On est dans les années 90, c’est alors le règne des trois J de la coiffure, Jacques Dessange, Jean-Louis David et Jean-Claude Biguine qui avaient déjà commencé leur expansion en franchise et disposaient d’une sacrée longueur d’avance sur ce « challenger » jugé inoffensif. À tort. Car l’accélération est spectaculaire à partir de 1995 et le recrutement d’un responsable de développement de la franchise, Marc Aublet, son fidèle bras droit et discret artisan de l’expansion du groupe.


Entrée dans l’arène financière. Quelque 500 franchises plus tard, c’est l’étape de la croissance externe au début des années 2000 et une entrée décoiffante dans l’arène financière avec rien moins qu’une OPA hostile en 2002 sur le groupe Jean-Claude Aubry, coté au second marché. La chaîne de 56 salons principalement implantés dans les centres commerciaux était en pleine déconfiture depuis sa reprise en 1995 par des financiers et le départ de son fondateur. Cette OPA sera aussi l’occasion de la rencontre avec son actionnaire minoritaire, Artal, un holding d’investissement belge, très discret, qui a participé à l’éclosion de quelques belles marques mondiales (Weight Watchers ou les pains Harry’s). Le « feeling » passe avec l’équipe du fonds qui fait son entrée en minoritaire au capital et lui apporte les munitions nécessaires à son changement de dimension. Dès lors, les acquisitions s’enchaînent : Elexia en 2006 et surtout le rapprochement en 2007 avec les activités européennes du leader mondial, l’américain Régis, qui lui offre l’occasion de multiplier sa taille par quatre avec 1 500 salons et huit marques, dont Jean-Louis David et Saint Algue. Grâce à son modèle de développement mixte (succursales et franchises), la valorisation de Franck Provost lui permet de négocier une prise de participation majoritaire dans la nouvelle entité. Un holding est créé, Provalliance, dont il détient 56 %, avec la participation à hauteur de 14 % du fonds Artal, Regis détenant les 30 % restants. Trois ans plus tard, l’entrepreneur saisit l’occasion d’une restructuration du groupe américain désireux de se recentrer sur le marché US pour racheter ses parts. Accompagné de ses managers, il s’allie en 2012 au fonds LBO parisien Chequers, qui entre à hauteur de 40 % du capital de Provalliance. Désormais familier des arcanes des montages financiers, Franck Provost reprendra le contrôle quasi-intégral de son capital dans le cadre d’un sponsorless en 2017.


Une vision de long terme. Cette velléité d’indépendance fera long feu puisque 45 ans après le début de son aventure entrepreneuriale, Franck Provost cèdera en mars 2021 le contrôle de son groupe à Core Equity Partners. « Cela fait des années que je pense à la meilleure manière de sécuriser l’avenir du groupe et des quelque 30 000 collaborateurs sous ma responsabilité », explique l’entrepreneur, qui a envisagé plusieurs scénarios de transmission avant d’arrêter son choix sur un partenaire financier de long terme, à même de « pérenniser le développement de l’entreprise qui nécessite des investissements conséquents et des recrutements de qualité pour suivre les évolutions digitales et sociétales rapides que nous sommes en train de vivre. » Le patron septuagénaire a rencontré Core Equity Partners dès 2018, puis d’autres grands investisseurs mondiaux, dont KKR, Ardian et TDR Capital, avant l’avènement du covid. Après une suspension de quelques mois, le process a repris à l’automne 2020 pour être finalement remporté par le fonds de long terme belge créée en 2017 par d’anciens associés de Bain capital sur une stratégie d’accompagnement bien plus longue qu’un fonds de LBO classique. Ce dernier prend possession de 54 % du capital et valorise Provalliance entre 500 et 600 M€, soit environ 8 fois l’Ebitda de 2019. La famille reste à la tête d’environ 30 % du capital, le solde étant aux mains du couple fondateur de la filiale de vente de produits cosmétiques Bleu Libellule et du management mené par le directeur général depuis 25 ans, Marc Aublet, promu CEO à cette occasion. Franck Provost prend un peu de champ sur l’opérationnel tout en restant impliqué dans les choix stratégiques de Provalliance, son fils Fabien reste aux manettes de la direction artistique du groupe, tandis que sa fille Olivia choisit la voie entrepreneuriale en spin-offant la marque de soins pour cheveux bouclés, frisés, crépus et défrisés Niwel créée en 2005 au sein du groupe. Il faut dire que le sémillant coiffeur a réussi la prouesse de garder dans l’aventure les fidèles des débuts, de les renforcer avec du sang neuf, tout en faisant évoluer ses deux enfants dans l’organigramme du groupe. Le secret de cette subtile alchimie ? « Je n’ai jamais eu peur qu’en recrutant des gens plus compétents que moi ils me fassent de l’ombre », résume Franck Provost, qui revendique un management ouvert à la discussion et à l’opposition. Une capacité d’écoute qui lui vient certainement de cette fonction sociale du métier de coiffeur, à cheval entre le psy et le bistrot, et dont les confinements récents ont rappelé le rôle « essentiel ».


Par Houda El Boudrari

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