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SAY ON CLIMATE AVIS DE TEMPÊTE SUR LES INSTANCES DE GOUVERNANCE

Depuis l’an dernier, les entreprises cotées commencent à soumettre leur stratégie climatique au vote de leurs actionnaires. Si cette démarche est saluée pour sa transparence, la plupart d’entre eux jugent insuffisantes les mesures proposées pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. De quoi inciter les investisseurs à jouer sur d’autres leviers pour intensifier la pression sur les instances de gouvernance.

VENT MAUVAIS CHEZ TOTALENERGIES.

Attaqué sur sa politique climatique par plusieurs de ses actionnaires en amont de son assemblée générale du 25 mai, le groupe a vivement réagi dans les médias par l’entremise de son patron, Patrick Pouyanné. « Les mêmes institutions, est-ce qu’elles vendent leurs actions TotalEnergies ? Non, et leur participation au capital a même augmenté l’an dernier. Je veux bien recevoir des leçons, à condition que tout le monde soit cohérent ! » Et le PDG de la major d’inviter les mécontents à céder leurs titres.

 Une thématique au coeur des AG

Comme l’illustre le cas de l’énergéticien, la stratégie mise en oeuvre par les entreprises cotées (et celles non cotées qui sont accompagnées par des fonds) pour lutter contre le réchauffement climatique constitue dorénavant l’un des principaux sujets de débat, si ce n’est de crispation, entre les instances dirigeantes et l’augmentation des températures à 1,5 degré d’ici 2050. « Très engagés depuis 2010 dans la lutte contre le changement climatique, nous avons récemment défini de nouveaux objectifs ambitieux, précis et chiffrés à moyen et long termes, destinés à accélérer la trajectoire bas carbone du groupe, indique Flore Jachimowicz, membre du comité exécutif en charge de la RSE et de l’innovation chez Icade. Pour les arrêter, nous nous sommes appuyés sur les recommandations d’investisseurs et de sociétés de conseil en vote (proxys), avons sollicité l’intervention de spécialistes externes comme Jean Jouzel (ancien vice-président du conseil scientifique du GIEC) pour nous "challenger" et fait appel à un organisme indépendant pour faire valider la trajectoire +1,5 °C ». Au terme de ce processus, les actionnaires ont approuvé cette stratégie en avril dernier à hauteur de 99,3 % à l’occasion du premier say on climate & biodoversity de la foncière.

Un effort de transparence salué

Pour bon nombre d’investisseurs, l’émergence de ce mécanisme s’apparente à une réelle avancée. « En tant qu’investisseur institutionnel soumis à l’article 29 de la loi Energie-Climat, nous avons pris un engagement de neutralité carbone de notre portefeuille d’ici 2050, explique un institutionnel. Pour mesurer cet indicateur, nous devons cependant disposer d’informations précises de la part des sociétés dans lesquelles nous avons investi, notamment sur leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est justement le cas lorsque celles-ci proposent un say on climate ». Si la démarche des sociétés pionnières est largement saluée en ce sens qu’elle offre de la transparence et qu’elle invite les actionnaires à se positionner sur une thématique majeure, sa mise en oeuvre est pourtant loin de donner entière satisfaction. Certains actionnaires, d’abord, déplorent de gouvernance d’un côté, et les investisseurs de l’autre. D’après la fintech Scalens, 18 % des questions posées lors des AG de la saison 2022 en Europe ont ainsi porté sur le climat, soit autant que pour les problématiques financières. Dans ce contexte, quelques sociétés, qui préfèrent dorénavant privilégier une démarche pro-active sur ce plan, n’hésitent plus à consulter directement leurs actionnaires, en soumettant à leur vote une feuille de route ESG contenant des objectifs chiffrés à court et moyen termes (réduction des émissions de CO2, etc.). Encore inexistant en 2020, ce procédé, baptisé say on climate, a été proposé par une dizaine d’entre elles cette année en France, parmi lesquelles EDF, Engie, Amundi, Carrefour, Nexity, Icade ou encore… TotalEnergies. Du côté des intéressées, cette initiative appelée à être renouvelée chaque année témoigne d’un engagement fort à transformer les business models et les pratiques existants afin de limiter l’hétérogénéité des pratiques. « Ce dispositif n’étant aujourd’hui régi par aucun cadre réglementaire, chaque entreprise peut présenter les informations qu’elles souhaitent et les détailler plus ou moins, si bien qu’aucun say on climate ne se ressemble, constate Aurélie Baudhuin, directrice de la recherche ISR chez Meeschaert Amilton AM. Or, pour permettre aux investisseurs de comprendre comment l’entreprise compte atteindre la cible +1,5 degré, il est essentiel qu’une normalisation s’opère ». Autre limite couramment pointée par les gérants et les institutionnels, le vote reste à ce stade purement consultatif. Du côté des ONG, les critiques pleuvent également, certaines organisations allant jusqu’à partager l’avis de Patrick Pouyanné. « En dépit de plans climatiques peu ambitieux, une entreprise ne rencontre aucune difficulté aujourd’hui pour obtenir un blanc-seing de la part de ses actionnaires, comme en témoignent les taux d’approbation élevés lors des say on climate, regrette Guillaume Pottier, chargé de campagne, engagement des acteurs financiers au sein de l’ONG Reclaim Finance. Ce faisant, elle aurait bien tort s’en priver ! Vertueux sur le papier, cet outil est malheureusement dévoyé, au point d’être mis au service du greenwashing ». De fait, le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) a calculé que les votes positifs lors des say on climate français s’étaient établis à 93 % (hors abstention) cette année, quand bien même le taux d’alignement avec les recommandations du FIR n’était que de… 49,5 %.



Le profil des administrateurs regardé à la loupe

Dans ce cadre, la pression devrait ainsi s’intensifier sur les membres du comité exécutif. « Il y a actuellement des discussions portant sur l’intégration d’objectifs climatiques dans les politiques de rémunération », signale Michel de Fabiani, de l’Institut Français des Administrateurs. Les administrateurs devraient, eux aussi, se retrouver dans l’oeil du cyclone. « Nous sommes particulièrement vigilants quant à la présence au sein des CA d’administrateurs ayant une compétence ou une expertise reconnue en matière climatique, ainsi qu’aux formations proposées aux autres administrateurs en vue de les sensibiliser sur le sujet, prévient Aurélie Baudhuin. Nous jugeons par ailleurs essentiel qu’un comité dédié soit en charge de la stratégie climatique ». Dans le cas où la stratégie climatique élaborée apparaîtrait insuffisamment ambitieuse, d’autres modes d’action pourraient être employés. Déjà, le dépôt de résolutions dissidentes pourrait se systématiser. Cette année, le climat a représenté le deuxième motif de dissension selon Scalens, derrière la gouvernance mais devant la stratégie globale de l’entreprise. Ensuite, certains brandissent le spectre de votes sanctions. « Nous encourageons les investisseurs à agir sur d’autres leviers, comme voter contre le renouvellement d’administrateurs accusés d’inaction climatique », préconise Guillaume Pottier.

Vers un cadre réglementaire plus contraignant

Le tour de vis à venir devrait également être réglementaire. « Le Royaume-Uni envisage de légiférer afin de rendre le say on climate obligatoire pour les grandes entreprises, tandis que la SEC, aux États-Unis, vient d’adopter une position selon laquelle une entreprise ne pourrait pas refuser d’intégrer une résolution climat à l’ordre du jour de son assemblée générale », prévient Michel de Fabiani. En France, l’AMF, qui avait été saisie par un groupe d’actionnaires de TotalEnergies afin de contraindre le groupe à inscrire une résolution climat à l’ordre du jour de son AG, s’est déclarée en faveur de l’instauration d’un cadre juridique sur le say on climate .

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