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Build-up sous LBO : La concrétisation du contrat de mariage « Acquérir pour bondir ».

Propos recueillis par Lucy Letellier et Ondine Delaunay - Photographies : Mark Davies


Avec Maxence Bloch, Associé du cabinet Goodwin, Diane de Moüy, Associée du cabinet Holman Fenwick Willan, Catherine Courboillet, Présidente de Cerba HealthCare, Sandrine Asseraf, Group General Secretary, Webhelp, Bruno Roqueplo, membre de MB-Entreprendre et Pdg de KP1, Carole Degonse, Associée du cabinet McDermott Will & Emery, Jeremy Scemama, associé du cabinet DLA Piper.


La définition du build-up par Bpifrance est assez évocatrice. L’opération de croissance externe est au service de la transformation de l’entreprise. Elle est désormais une étape incontournable du calendrier du LBO. C’est la concrétisation du mariage entre l’entreprise et l’investisseur financier. Mais comment l’opération s’organise-t-elle ? Comment le deal est-il structuré ? Quel impact sur les équipes de management en place et sur les nouveaux entrants ?



Pourquoi le build-up ?


Catherine Courboillet : Nous exerçons dans un secteur très règlementé, celui de la Biologie médicale qui connait depuis 10 ans une forte consolidation sous l’effet d’un changement de la loi en 2010. Le marché était très fragmenté et s’est consolidé afin de faire face aux exigences de baisse de tarif et d’augmentation des normes de qualité. Le build-up était donc une évidence tant d’un point de vue réglementaire que du point de vue de l’organisation et du développement de la société.


Sandrine Asseraf : Webhelp est positionné sur le marché de l’expérience client qui s’est, lui aussi, consolidé ces dernières années. Nous avons réalisé plus d’une vingtaine d’acquisitions dans les cinq dernières années et nous sommes convaincus du modèle du build-up. Deux aspects sont essentiels pour nous dans notre stratégie de croissance externe. D’abord la géographie. Il est souvent plus intéressant de racheter des sociétés dans des nouvelles géographies plutôt que de s’implanter en green field, en particulier si l’objectif est de conquérir des marchés locaux. Les build-up permettent également de compléter la chaine de valeur de l’offre proposée à nos clients par des activités nouvelles, adjacentes de nos activités existantes.


Nous avons la particularité d’être très attachés à permettre aux fondateurs et aux managers de la cible de rester actionnaires de leur propre société pendant un certain temps. Cette logique permet d’associer l’entrepreneur à la réussite de sa propre société et à celle du groupe en participant également au capital de celui-ci. Elle encourage ainsi les synergies avec le résultat.



Bruno Roqueplo : J’ai participé à trois LBO qui ont tous donné lieu à des build-up. Le plus important était celui d’Algeco, une société française qui, grâce à des acquisitions successives, s’est internationalisée en passant de 300 millions à 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires en l’espace de cinq ans. Nous avons examiné environ 450 dossiers d’acquisitions potentielles sur la période. Le but de toute recommandation d’acquisition était bien sûr de générer de la valeur pour nos actionnaires, tout en créant un groupe à dimension mondiale. Le résultat a été notable en Europe où Algeco a développé sa couverture géographique et consolidé ses parts de marché pour devenir leader ou le numéro 2 sur tous les pays abordés. L’entreprise s’est étendue en Asie, en Amérique du Sud et s’est alliée aux États-Unis pour prendre une envergure véritablement internationale. Les principales problématiques rencontrées ont été opérationnelles, humaines et essentiellement culturelles.



«  La croissance externe réalisée sous LBO impose de revisiter tout le système de financement, de solliciter les actionnaires pour un nouveau tour de table, de remettre à plat la structure juridique et fiscale, etc.» Maxence Bloch, associé du cabinet Goodwin


Maxence Bloch : Pour un groupe sous LBO, le build-up est une opération de M&A qui s’insère dans un ensemble complexe. La croissance externe réalisée sous LBO impose de revisiter tout le système de financement, de solliciter les actionnaires pour un nouveau tour de table, de remettre à plat la structure juridique et fiscale, etc. C’est assez lourd. Mais on le prépare très en amont, dès l’entrée du fonds. Nombre de LBO se font sur des entreprises de croissance acquisitive. La croissance organique est aujourd’hui difficile et le build-up constitue le principal relais de croissance. C’est l’equity story que veulent développer l’entreprise et son partenaire financier. Dès la structuration du LBO, les réserves nécessaires pour mener le build-up sont insérées dans l’equity, il est réfléchi au management package pour y intégrer les futurs managers qui arriveront en cours de route. Tout est prévu en amont. Une entreprise qui est sous LBO a donc un avantage important lorsqu’elle se positionne à l’achat par rapport aux autres acquéreurs potentiels.


Carole Degonse : La stratégie de build-up est devenue un critère de sélection du fonds. Les dirigeants vérifient si ce dernier est capable de les accompagner sur de futures opérations. Ils ne recherchent pas uniquement un accompagnement financier, mais aussi une capacité à soutenir des équipes de management qui peuvent se retrouver submergées par la gestion opérationnelle et l’opération en elle-même. Les dirigeants attendent parfois du fonds qu’il leur apporte une aide sur une expertise sectorielle qui se révélerait intéressante et complémentaire à la leur, ou enfin une ouverture géographique vers de nouveaux territoires. Tous les exemples qui viennent d’être cités démontrent que les dirigeants cherchent avant tout un partenaire partageant un projet entrepreneurial et industriel. Le build-up constitue en cela un vrai test de la relation manager-fonds.


LE + : Cerba HealthCare est un groupe international de biologie Médicale présent dans la biologie de routine, de spécialité, d’essais cliniques et la biologie vétérinaire. Il emploie plus de 6 000 salariés et plus de 560 biologistes et anatomocyto­pathologistes principalement en Europe.



Sandrine Asseraf : Le premier élément qui retient notre attention dans le choix d’un partenaire investisseur est le « fit ». Nous allons passer du temps avec une équipe d’investisseurs, il faut donc que nous ayons envie de nous parler et de nous voir régulièrement. Plus la société grandit moins ses besoins logistiques sont importants puisqu’elle s’équipe en interne de ses propres spécialistes. Au cinquième LBO, nous bénéficions désormais d’équipes très solides en interne sur des sujets de M&A, financiers, juridiques ou de fiscalité. Nous avons donc moins besoin du support de l’équipe du fonds. Nous recherchons avant tout des sparring partners, c’est-à-dire des gens qui comprennent notre equity story, notre projet, et qui partagent notre vision tout en souhaitant y apporter leur lecture de l’histoire, leur réseau, etc. Nous nous entendons bien entendu en amont sur leur volonté à nous accompagner sur tous les autres besoins fondamentaux. Il y a un aspect quasi philosophique autour de la notion de levier qui n’est pas uniquement lié aux termes du financement, mais bien de savoir si on s’accorde sur l’approche et les solutions de financement de nos futures acquisitions, de façon à la fois raisonnable et pragmatique. Le sujet du management package est également fondamental. Le nôtre inclut aujourd’hui un grand nombre de managers. Bien entendu, il doit nous permettre d’inclure une enveloppe dédiée aux acquisitions, ce qui repose aussi sur une discussion essentielle à avoir avec l’investisseur. À partir du moment où il rétrocède une partie de sa plus-value, il doit être d’accord sur la façon dont elle va être allouée.



«  La stratégie de build-up est devenue un critère de sélection du fonds. Les dirigeants vérifient si ce dernier est capable de les accompagner sur de futures opérations.» Carole Degonse, associée du cabinet McDermott Will & Emery


Catherine Courboillet : Cerba en est à son cinquième LBO. Le choix des partenaires financiers dépend de la compréhension qu’ils ont de notre marché et de notre projet de développement. Il existe différents types de fonds, donc il faut que celui qui accompagne la société corresponde à la durée de son projet, il faut s’assurer que le fonds partage son ambition, sa stratégie et s’engage sur le financement à moyen terme et à long terme et donc sur l’horizon de sortie. La construction du management package est un élément important du deal. Cerba compte désormais plus de 400 actionnaires et accueille de nouveaux actionnaires à chaque nouvelle acquisition. Il faut donc prévoir l’évolution de ce management package dès l’origine du projet. Au-delà des considérations « techniques » le fit avec les équipes du fonds est fondamental, nous allons vivre ensemble de longues années. Je recommande donc que tout soit discuté avant, que tout soit écrit pour éviter les incompréhensions et pour rester alignés durant toute la vie du LBO qui n’est pas toujours un long fleuve tranquille.


LE + : MB-Entreprendre est une association de dirigeants se focalisant sur leur intégration dans des opérations de MBI et LBO.



Peut-on tout prévoir en amont ?


Carole Degonse : Tout peut être écrit en amont pour anticiper, mais l’expérience montre que lorsque la situation se complique, tout le monde se retrouve autour de la table et les tensions sont palpables. Il est néanmoins fondamental de dire les choses dès le départ pour éviter les mauvaises surprises : quelle cible, quelle géographie, quel package, quel montage, quelle intégration, etc.



Diane de Moüy : C’est un bon point. Si le plan de développement est prévu dès le départ, cela permet, en amont, lors du LBO initial, de prévoir dans la documentation de financement, les outils destinés à faciliter la réalisation des opérations de croissance externe. Ces outils sont élaborés et négociés en fonction des critères dégagés et du plan de croissance projeté (domestique, international, petites acquisitions nombreuses ou acquisitions importantes peu nombreuses et structurantes). La documentation peut ainsi prévoir plusieurs lignes de financement différentes en fonction de ce plan de développement. Les lignes de financement prévues peuvent être soit committées, soit non committées, cette dernière option permettant de réduire le montant des commissions bancaires. Ces financements mis en place ou prévus dès l’origine permettront à l’entreprise de financer, dans le calendrier projeté, ses nouvelles acquisitions. Il est aussi utile d’anticiper ces opérations de croissance dans le calcul du ratio de levier (les contrats de financement peuvent ainsi prévoir notamment un calcul du levier sur la base d’un Ebitda proforma, prenant en compte les synergies et d’un ajustement run rate). Le fonds peut ainsi négocier, au moment de la réalisation du LBO initial, avec des prêteurs désireux d’accompagner la croissance de l’entreprise, un financement permettant la réalisation des build-up. Lors de la réalisation du LBO, il est donc fondamental de choisir un fonds qui aura la volonté d’accompagner l’entreprise dans les diverses opérations à venir et qui aura mis en place un financement et sélectionné des prêteurs qui auront tant la capacité financière que la flexibilité permettant de réaliser le plan de croissance projeté sans renégociation de la dette. Cela permettra aux dirigeants de se consacrer aux opérations qui créent de la valeur ajoutée. Notons que les aménagements à prévoir initialement ne se limitent pas à la mise en place de lignes de financement. Il faut également notamment anticiper la possibilité de réorganiser le groupe suite aux différents build-up effectués (fusions, réorganisations, etc.) et les besoins accrus d’un groupe dont la taille évolue. Par exemple, il est possible de prévoir un réajustement automatique des contraintes du financement avec l’augmentation de l’Ebitda du groupe – notamment par l’utilisation de clauses dites de grower. Tous ces outils, s’ils sont négociés dans le financement initial, permettront au groupe de réaliser ses opérations de build-up plus facilement.



« Lorsque l’on décide d’intéresser les dirigeants et fondateurs dans le cadre d’une opération de build-up, il peut être envisagé de les intéresser au-dessus en participant au package global lié à la performance de l’ensemble du groupe, mais également de leur permettre de conserver une participation minoritaire dans la société qu’ils revendent.» Jeremy Scemama, associé du cabinet DLA Piper


Sandrine Asseraf : Personne ne peut prévoir la réaction des marchés sur le long terme. Lorsque nous levons une nouvelle dette, il est difficile de prévoir si elle sera souscrite ou dans quelle proportion. Mais la confiance du marché peut être anticipée. Quand on est un emprunteur crédible, que l’on a respecté les termes du financement, et donné une visibilité sur ce qu’on a annoncé, les prêteurs deviennent des partenaires de confiance. Nous avons pour notre part désormais des banques dans notre pool avec lesquelles nous avons construit cette relation de confiance. Elles nous accompagnent depuis longtemps, d’un LBO sur l’autre.



Catherine Courboillet : Pour lever et structurer la dette, il est fondamental que l’équipe de direction ait créé la confiance. Les prêteurs veulent avoir en face d’eux des dirigeants qui sont solides, qui délivrent ce qu’ils ont annoncé. Nous sommes donc très investis auprès des agences de rating, auprès des bondholders à chaque fois qu’il y a des communications à faire, auprès des banquiers de syndication de dette ou des prêteurs. Plus le management explique où il va et comment il le fait, plus il donnera de la confiance aux parties prenantes sur la stratégie de l’entreprise.


LE + : Créé en 2000, Webhelp est un des leaders mondiaux de l’expérience client et de l’externalisation des processus métiers (BPO). Il développe des solutions innovantes combinant prestations de conseil, solutions technologiques et capacités de traitement omni-canal grâce à ses 50 000 collaborateurs répartis dans plus de 35 pays.


Diane de Moüy : Les prêteurs sont en effet attentifs au profil des dirigeants. Mais le fait que le fonds ait lui-même un historique connu et des équipes expérimentées et sophistiquées pour le montage des financements est également fondamental, notamment pour lever des financements de taille importante ou ayant des caractéristiques qui permettront à l’entreprise de se développer sans contraintes inutiles et des conditions financières attractives.



Maxence Bloch : L’une des explications au succès du financement de type obligataire, unirate et high yield, c’est qu’il est plus souple pour une politique de build up qu’un syndicat bancaire.


Diane de Moüy : Oui tu as raison. Ces financements sont souvent plus flexibles et peuvent être mis en place plus rapidement. Il faut toutefois souvent les compléter par de la dette bancaire classique pour financer les besoins en fonds de roulement. Actuellement, je note que souvent le financement initial du LBO va être réalisé avec ces financements obligataires de type unirate puis refinancé quelques années plus tard avec de la dette bancaire. Toutefois, très récemment, nous avons également vu le cas d’un groupe qui a refinancé un financement bancaire par de la dette obligataire de type unirate, notamment pour faciliter ses opérations de croissance externe. La flexibilité du financement est très importante.



Jeremy Scemama : Un autre point mérite d’être soulevé en amont : lorsque l’on décide d’intéresser les dirigeants et fondateurs dans le cadre d’une opération de build-up, il peut être envisagé de les intéresser au-dessus en participant au package global lié à la performance de l’ensemble du groupe, mais également de leur permettre de conserver une participation minoritaire dans la société qu’ils revendent. C’est un sujet clé qu’il faut anticiper pour la sortie du fonds, car le tiers acquéreur voudra bien sûr être en mesure d’acquérir la totalité du capital des sociétés du groupe sans conserver d’intérêts minoritaires. Il faudra donc mettre en place un mécanisme de drag along ou autre mécanisme de liquidité au niveau de chacune des participations.


Carole Degonse : Bien sûr, il faut anticiper la sortie sur le débouclage du package. Mais il faut surtout anticiper la sortie d’un groupe qui a grandi par build-up successifs. Il faut pouvoir trouver un acquéreur. Il existe des fonds qui ont les moyens de racheter, mais il faut également penser aux problématiques anti-trust qui peuvent se poser. C’est difficile à anticiper, mais il faut pouvoir raconter l’histoire du début jusqu’à la fin.


LE + : « Les PME et ETI accompagnées par des fonds d’investissement enregistrent une forte croissance de leur valeur. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas la dette d’acquisition qui explique cette hausse de leur valorisation mais la forte progression de leurs résultats, issue de leur croissance organique et externe. Ces entreprises, le plus souvent familiales et dont le management est ou devient actionnaire, investissent et créent de l’emploi. », déclare Dominique Gaillard, Président de France Invest.



Qui pour mener le build-up ?



« Les prêteurs doivent être choisis comme des partenaires, comme on choisit son fonds.» Diane de Moüy, associée du cabinet Holman Fenwick Willan


Maxence Bloch : Le dirigeant devient le chef d’orchestre du build-up au fur et à mesure que le groupe prend de l’ampleur. Dans un LBO smid-cap, le rôle du fonds est essentiel pour accompagner l’équipe interne. Mais quand le dirigeant a vécu quatre ou cinq LBO, il n’a plus grand-chose à apprendre du fonds. Il est capable d’identifier les cibles, d’intégrer les équipes et de préparer le post-acquisition. Ce dirigeant doit donc être très opérationnel et être doté d’un esprit très « M&A » car c’est lui qui va mener le projet, chercher les cibles et convaincre les vendeurs-dirigeants de le rejoindre. En ce moment les LBO se font sur des multiples très élevés et l’intérêt est donc de faire des buil-up qui soient relutifs. On va aller chercher des opérations de croissance externe qu’on achète pour un multiple moindre que celui de son propre LBO. Dans mon expérience, plus le LBO est important, plus le travail du dirigeant est fondamental et moins le fonds est décisif. Le rôle de ces derniers est décisif sur du smid market. Au-delà, le fonds accompagne et gère la structure financière et l’ingénierie financière. Mais le build-up est avant tout réalisé par le dirigeant.



Bruno Roqueplo : Pour des build-up à un niveau local et régional, effectivement le rôle du dirigeant est décisif car il connaît les équipes rachetées et le marché, souvent compétiteurs historiques directs. Quand il s’agit de partir à l’international, en Chine ou en Amérique du Sud, il faut souvent que le management soit accompagné, par le fonds qui a l’envergure internationale, par des experts. Au début du parcours de build-up, notre process M&A était peu structuré quand il s’agissait d’acheter un compétiteur voisin. Rapidement, il nous a fallu standardiser les méthodes d’évaluation et d’intégration pour pouvoir avancer plus vite. Nous avons, par exemple, organisé et conduit un séminaire avec les managers clés, une formation pour leur apprendre les basiques en matière d’évaluation de la cible, les leviers de la dette, les enjeux de structuration et d’intégration, etc.


Jeremy Scemama : Je crois que le build-up est la traduction d’un véritable partenariat entre les fonds et les dirigeants, avec des apports qui vont être différents suivant la taille et la maturité de l’entreprise et la façon dont travaillent également les équipes des fonds. Il n’y a pas une seule et unique pratique. Sur les opérations de build-up, le fonds peut apporter sa vision stratégique du marché, la connaissance des marchés et des cibles, l’accès à certaines zones géographiques, son expérience dans l’exécution et la réalisation des opérations de build-up. D’ailleurs dans le cadre de processus compétitifs, l’identification en amont des cibles ainsi qu’une vision claire de la stratégie de build-up à suivre sont des critères de plus en déterminants pour la sélection du fonds.



Sur la façon de travailler et d’échanger, il existe des fonds de nature très hands on, qui participent au projet et parfois même aux négociations. Il y en a d’autres qui laissent l’équipe M&A interne mener le deal et sont plus sur un rôle de supervision.


Bruno Roqueplo : Selon mon expérience, les fonds anglo-saxons sont très intéressés à participer à la stratégie M&A, y compris dans les négociations et dans la mise en œuvre opérationnelle de l’intégration de la cible. En France, compte tenu du rôle du mandataire social, les fonds ne peuvent intervenir dans la gestion courante de l’entreprise. Au contraire, dans des pays anglo-saxons, cette barrière juridique existe moins. J’ai donc vu une différence entre les fonds avec lesquels j’ai travaillé et j’ai trouvé les anglo-saxons plus impliqués dans le quotidien opérationnel.


Jeremy Scemama : Lorsque les fonds anglo-saxons réalisent pour la première fois des opérations en France, nous les sensibilisons bien évidemment sur cette question.



« J’ai connu trois profils très différents de fonds, indépendamment des nationalités. Nous avons appris à marcher ensemble au fur et à mesure du temps.» Sandrine Asseraf, Group General Secretary, Webhelp


Sandrine Asseraf : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question de nationalité du fonds. Je crois que c’est davantage une logique de partenariat qui se crée entre l’investisseur et le management de l’entreprise. J’ai connu trois profils très différents de fonds, indépendamment des nationalités. Nous avons appris à marcher ensemble au fur et à mesure du temps. Nous avons expliqué nos besoins et nos attentes. Au-delà de l’intérêt financier, leur niveau d’implication dépend de leurs attentes et de celles des fondateurs et dirigeants, et de l’histoire de l’entreprise.


Diane de Moüy : À partir du moment où le fonds comprend et partage la stratégie, le partenariat sera efficace.


Sandrine Asseraf : Chez Webhelp, les fondateurs sont fondamentaux, ils ont créé l’entreprise, en ont conçu et déployé la vision depuis 20 ans et demeurent à la tête de l’entreprise. Dans un processus de build-up, ils vont bien entendu à la fois concevoir l’opportunité stratégique de l’acquisition mais aussi et parfois avant tout s’assurer de la compatibilité culturelle des managers de la cible avec Webhelp. Cette compatibilité culturelle est un facteur de succès fondamental pour la réussite d’une opération de croissance externe.


LE + : Selon Bpifrance Le Lab, le premier des 10 commandements pour réussir son intégration est : « Tu n’acquerras que si au préalable, tu as établi une stratégie claire, pluriannuelle et validée par ta gouvernance ».


Catherine Courboillet : Je crois que tout dépend aussi de la maturité de l’équipe interne. Chez Cerba, nous avons construit une équipe solide depuis de nombreuses années et sommes très éclairés sur les choix stratégiques et les cibles à acquérir. C’est d’ailleurs fondamental pour le fonds de trouver dans l’équipe de direction de la vision et de la visibilité. Les équipes du fond nous apportent leur réseau notamment à l’international et leur puissance de financement.


Maxence Bloch : Tout dépend finalement de la personnalité des dirigeants, de l’entreprise, du type de fonds. Certains fonds utilisent des operating partners qui peuvent représenter une valeur ajoutée certaine, d’autre non.


Diane de Moüy : Les prêteurs doivent également être choisis comme des partenaires, comme on choisit son fonds.


Maxence Bloch : Le partenariat se fait en effet à tous les niveaux.


Sandrine Asseraf : Nous parlons très régulièrement à notre partenaire financier, actuellement GBL. S’il se passe quoi que ce soit d’important, ils sont au courant. Rien n’arrive comme une surprise. Nous vivons l’aventure ensemble. Avec les lenders, c’est différent. Nous « reportons » un certain nombre d’informations selon un format prévu et à échéance régulière. Les relations sont donc naturellement plus formelles mais elles n’empêchent pas l’instauration de la confiance.


Catherine Courboillet : Ce ne sont pas les mêmes acteurs ! Les prêteurs ne sont pas actionnaires de la société ! Avec nos investisseurs actionnaires nous vivons et développons l’entreprise. Plus les bonnes ou les mauvaises surprises sont anticipées et partagées, plus la vie commune sera facile. Mais rappelons-le, le LBO n’est jamais un long fleuve tranquille. Il faut donc avoir créé cette confiance et cette transparence pour surmonter toutes les étapes.



Comment assurer l’intégration post-deal ?


Carole Degonse : Une fois que l’on a mis de côté la dette et la façon dont on structure le deal, il faut que tout le monde vive ensemble. Le post-deal est une étape essentielle, car il s’agit de concilier des cultures différentes, des modes de travail, des personnalités. Il arrive parfois que les fondateurs ne veuillent pas lâcher les rênes de l’entreprise qu’ils ont vendue, ce qui peut rendre compliquée l’intégration d’un build-up. Le dirigeant doit avoir une psychologie assez fine de l’être humain.



« Quand il s’agit de partir à l’international, en Chine ou en Amérique du Sud, il faut souvent que le management soit accompagné, par le fonds qui a l’envergure internationale, par des experts. » Bruno Roqueplo, membre de MB-Entreprendre et Pdg de KP1


Sandrine Asseraf : Chaque groupe a ses « petits trucs » pour favoriser l’intégration. Il y a un enjeu d’intégration bien sûr, mais aussi un enjeu de synergie. L’objectif lorsque nous rachetons une entreprise qui ajoute une offre au portefeuille de services est de pouvoir déployer son offre dans l’ensemble des régions d’implantation du groupe. Par principe, nous ne concluons pas d’opération avec des dirigeants avec lesquels nous savons que l’entente est impossible. C’est la part culturelle du deal qui est fondamentale. Bien sûr dans certaines hypothèses, les fondateurs peuvent vendre et prévoir de quitter l’entreprise, mais généralement le reste des salariés partagent des valeurs qui ne nous ressemblent pas. Dans tous les cas, l’intégration sera très difficile.


L’équipe de management de Webhelp dispose de tous les outils pour réaliser une intégration mais certaines parties ne sont pas aussi formalisées que d’autres. Bien sûr la partie opérationnelle doit s’intégrer dans les process Webhelp, les systèmes de production, les outils de mesure de performance, etc. C’est aussi indispensable vis-à-vis de nos clients à qui nous devons le même niveau d’excellence à travers le groupe. En revanche, il n’existe pas de recette absolue pour embarquer les gens, si ce n’est passer du temps ensemble, présenter les salariés, l’offre, apprendre à se connaître. Dans toutes les sociétés que nous avons acquises, nous avons également permis à des salariées de Webhelp de rejoindre cette nouvelle activité, ce qui facilite généralement la transmission de la culture au quotidien et la création de liens entre le groupe historique et la nouvelle société.


LE + : En 2018, l’activité Buy & Build en Europe a atteint son niveau le plus élevé jamais enregistré avec une valeur totale de 10,5 milliards d’euros, selon le European Buy & Build Monitor de Silverfleet Capital. Malgré le Brexit, la zone « Royaume-Uni et Irlande » est restée la région la plus active en matière d’opérations de croissance externe.


Catherine Courboillet : Cerba a déjà réalisé une centaine d’opérations de build-up, de toutes tailles, en France comme à l’international.


Bien entendu, les qualités stratégiques et économiques de la cible sont importantes mais nous privilégions surtout des sociétés qui ont une culture proche de la nôtre afin de garantir le succès de l’intégration. Si ces valeurs ne correspondent pas aux nôtres, les problèmes futurs sont inévitables et peuvent ralentir ou faire échouer l’opération.


Pour que l’opération soit synergique, pour qu’elle fonctionne globalement, il faut par ailleurs que les processus métiers soient alignés. Il s’agit de questions d’informatique, de production, de gestion, de choix de matériel, etc. C’est pourquoi nous avons mis en place une équipe d’intégration pour faire fonctionner le métier et dérouler l’intégration. Nous avons en outre une importante direction des ressources humaines qui se charge de la gestion des contrats de travail et de la gestion des talents. Car l’entreprise cible a une histoire sociale, des contrats avec des caractéristiques spécifiques qui ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres. Il faut donc travailler sur le mariage à travers des audits, et en prévoyant souvent des coûts supplémentaires permettant d’aligner les contrats. Il est ensuite indispensable d’identifier les talents en allant rencontrer les gens. Les process sont très rodés chez Cerba qui achète des entreprises tous les mois. Mais autour de cette technique d’intégration, il ne faut pas sous-estimer le rôle de l’équipe dirigeante. Je m’investis beaucoup dans la pédagogie. Je rencontre les communautés de dirigeants, de managers et d’employés pour leur expliquer qui on est, où l’on va, pourquoi on y va et pourquoi on se marie. On a également une charte éthique qui précise ce qu’on attend en termes de comportement dans l’entreprise.


Bruno Roqueplo : Mon activité de base était centrée autour de la gestion d’actifs, les « Algecos », les unités modulaires. C’est un métier très standard qui tourne autour de 5 ou 6 thèmes opérationnels clé. En matière d’intégration en Europe, le sujet était donc essentiellement humain, dans l’apprentissage et la mise en place de nos standards par la cible. Nous arrivions avec nos cinq ou six process clé, nous les installions via nos « ambassadeurs », les hommes métier, dont la mission était d’aider la cible à se les approprier. Les questions sociales étaient ainsi gérées de façon très locale. En revanche, lors d’un rachat d’une société à l’étranger, j’ai toujours participé à l’opération très en amont avec une équipe centrale. Si la marque Algeco et son métier sont connus en Europe, ils ne le sont pas en Asie ou en Amérique du Sud, ou du moins pas de la même façon. Il faut donc très tôt personnifier la marque et le métier, donner du sens aux équipes à intégrer par une communication active et permanente.


Jeremy Scemama : Le build-up est une opération de M&A avec les mêmes objectifs, les mêmes enjeux, les mêmes contraintes notamment en matière d’intégration et de réalisation des synergies. L’avocat peut être un soutien lors de cette étape, mais il ne s’agira pas du même profil que l’avocat transactionnel M&A. Je compare souvent les conseils amenés à travailler sur des opérations transactionnelles à des sprinters, là où les équipes qui se chargent de l’accompagnement à la réorganisation sont des marathoniens. Au sein de notre cabinet, nous avons mis en place une équipe dédiée à l’accompagnement post-deal sur les aspects juridiques, sociaux, contractuels, fiscaux. Je crois que c’est clé car l’opération n’est en elle-même que le début de l’histoire pour le client. J’ai pu constater certaines frustrations des entreprises qui se sentent délaissées par leur conseil une fois le deal closé.



« Mais autour de cette technique d’intégration, il ne faut pas sous-estimer le rôle de l’équipe dirigeante. Je m’investis beaucoup dans la pédagogie. Je rencontre les communautés de dirigeants, de managers et d’employés pour leur expliquer qui on est, où l’on va, pourquoi on y va et pourquoi on se marie. » Catherine Courboillet, Présidente de Cerba HealthCare


Sandrine Asseraf : Vous avez raison. C’est très agréable, au cours de la vie du build-up, de pouvoir se tourner vers un conseil qui connaît le deal, l’historique de la négociation, les personnalités des acteurs… Il y a une vraie vie post-acquisition.


Maxence Bloch : Nous sommes aussi très sollicités post-acquisition.



Bruno Roqueplo : Post-intégration, mon avocat continue sur de nombreux sujets à faire une interface efficace avec mes fonds. Je teste auprès de lui ce que le fonds me propose et inversement. Il me donne le recul nécessaire pour que la relation se développe au mieux.


Carole Degonse : Les dirigeants nous appellent régulièrement pour nous demander notre avis sur leurs réactions vis-à-vis de l’actionnaire, des décisions prises par le conseil de surveillance, etc.


Catherine Courboillet : La relation entre le dirigeant et le conseil est primordiale. Souvent lors de l’entrée du nouveau fonds, celui-ci est tenté de mettre en place son conseil. Mais il faut lui expliquer l’importance de la connaissance de notre avocat de notre société, de son métier, de son histoire et donc sa capacité à mieux nous accompagner dans l’intégration des futures cibles.

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