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Ascoval, le phénix qui renaît cinq fois de ses cendres

Si le sort s’est acharné sur Ascoval avec quatre repreneurs défaillants en moins de trois ans, la ténacité de son dirigeant et sa capacité à mobiliser le corps social, les medias et les pouvoirs publics ont réussi à sauver l’aciérie et l’adosser enfin à un industriel aux reins d’acier.

Ascoval va bien. Malgré la flambée du coût de l’énergie, l’aciérie de Saint-Saulve reprise par l’allemand Saarstahl à l’été 2021, fourmille de projets, adresse de nouveaux marchés pour faire monter sa capacité de production et envisage même un plan de recrutements en 2024. Après d’incroyables rebondissements ayant largement mobilisé les pouvoirs publics, ce joyau de la sidérurgie, considéré comme l’une des usines les plus modernes d’Europe et les moins polluantes de son secteur, semble enfin tiré d’affaire. Arrivé en janvier 2017 à la tête d’Ascoval, Cédric Orban a quitté l’aciérie de Saint-Saulve en septembre 2022 avec le sentiment du devoir accompli. De son abandon par Vallourec jusqu’à la réussite de son intégration par Saarstahl, le dirigeant aura vécu cinq années intenses ponctuées de sauvetages in extremis et de promesses non tenues par des repreneurs défaillants, pendant lesquelles il aura mené de front la métamorphose d’Ascoval passant d’un outil de production captif et mal exploité à une pépite industrielle viable.

Exit le mode « coopérative »

Créée en 1975 par le groupe Vallourec, l’aciérie de Saint-Saulve près de Valenciennes, spécialisée dans la production de « blooms », ou barres d’acier, est devenue Ascoval en 2017. Si le géant des tubes en acier sans soudure a investi au total près de 150 M€ dans cette usine pour en faire un outil de production industriel moderne, il était loin d’en exploiter tout le potentiel en n’arrivant à atteindre que 30% de sa capacité de production de 550 000 tonnes. Confronté au retournement du marché pétrolier, le leader mondial des tubes de forage, a souhaité se délester du site nordiste dans le cadre d’un vaste plan de restructuration dans les années 2015/2016. En janvier 2017, il en cède 60% à Ascometal qui souhaitait y basculer la charge d’une usine obsolète. Mauvaise pioche, le sidérurgiste lorrain, lui-même encore fragile après sa reprise à la barre en 2014, rechute en redressement judiciaire à l’automne 2017, ce qui entraîne l’ouverture d’une procédure de sauvegarde pour Ascoval. « Quand je suis arrivé début 2017 à la tête d’Ascoval, la situation était assez confortable : je vendais à mon prix de revient aux deux actionnaires principaux sans aucune contrainte de rentabilité, puisque la fonction finance était toujours centralisée au niveau de Vallourec », témoigne Cédric Orban, ancien directeur commercial d’Ascometal. Les difficultés de l’actionnaire principal ont mis fin à cette vie d’insouciance hors des lois de compétitivité du marché. « Nous devions passer d’un statut de quasi-coopérative à un nouveau modèle économique et commercial multi-clients », poursuit le dirigeant.

En février 2018, la reprise d’Ascometal par le métallurgiste suisse Schmolz laisse l’aciérie de Saint-Saulve sur le carreau. Heureusement qu’entre-temps, l’équipe avait retroussé les manches pour réduire les coûts de 40% et trouver un modèle économique viable qui puisse attirer de nouveaux repreneurs. La tâche n’était pas des plus faciles pour une entreprise sans force commerciale ne vendant pas de produits finis et qui traîne un passé de centre de coût sur un marché de la métallurgie sinistré en Europe. C’est le moment de mobiliser les médias et les pouvoirs politiques pour que l’usine ne subisse pas le destin de ses multiples congénères fermées définitivement. Xavier Bertrand, Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher s’activent pour trouver des solutions face aux caméras. Cédric Orban présente alors l’image d’un patron atypique, entièrement dévoué à la cause de son usine et au sauvetage de tous les emplois. L’entreprise aux 280 salariés fait même l’objet d’un documentaire filmé par Eric Guéret, qui sortira en salle à l’automne 2019, récit poignant et haletant façon thriller social, retraçant cette période intense.

Le plan cousu de fil blanc d’Altifort

Sous pression médiatique, le gouvernement décroche un délai d’un an avant la fermeture de l’usine auprès du groupe suisse, en espérant entre-temps lui trouver un repreneur. De leur côté, les salariés en grève concluent un accord avec l’État et la région des Hauts-de-France de 12 M€ garantissant l’emploi pendant un an et un éventuel plan social. Mais le moins que l’on puisse dire est que les candidats à la reprise ne se bousculent pas au portail, de quoi rendre les politiques et le tribunal beaucoup moins regardants sur la crédibilité du seul repreneur qui se présente. Altifort, une holding de retournement franco-belge, ficèle un beau projet épaulé par la direction d’Ascoval et le cabinet Roland Berger. Le repreneur a prévu de construire dans l’usine un train à fil pour laminer des barres d’acier en « fils » de 6 à 30 millimètres de diamètres absorbant plus de la moitié de l’acier produit et annonce 57 clients, notamment internationaux, prêts à payer pour obtenir les aciers spéciaux dont ils ont besoin dans des délais courts. Au total, le plan de financement se monte à 152 M€, dont 47 M de fonds publics, prêtés par la région Hauts-de-France (12 M), la communauté d’agglomération Valenciennes Métropole (10 M) et l’Etat (25 M). Altifort apportera de son côté 35 M en fonds propres (dont 25 M financés via un emprunt obligataire auprès d’un industriel espagnol). Le solde sera financé par un crédit-bailleur (40 M) et un affactureur (30 M). Le 1er février 2019, Altifort entre formellement en jouissance d’Ascoval.

Mais l’argent promis n’arrive pas, conduisant à une première dans l’histoire des reprises : « une résolution du plan sollicitée par le repreneur » pour repartir en cession. Retour à la case départ ! Heureusement, l’environnement de marché avait changé et Ascoval était désormais largement dans les radars d’autres repreneurs. « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort », sourit Cédric Orban, qui admet que la douche froide a été cruelle pour les salariés qu’il a fallu remobiliser.

Des blooms carrés

Fort d’une trésorerie de six mois, le dirigeant qui baigne dans le milieu de la sidérurgie depuis 1986, sollicite le dirigeant du groupe britannique British Steel, détenu par le fonds Olympus. En plein Brexit, il lui propose d’alimenter ses usines d’Hayange et de Hollande pour ne plus avoir à les approvisionner depuis l’Angleterre. L’idée est lumineuse au détail prêt qu’il faut réajuster l’outil industriel d’Ascoval conçu pour fabriquer les tubes ronds de Vallourec pour qu’il puisse produire des blooms carrés et rectangulaires. Qu’à cela ne tienne, Olympus Steel investit les 17 M€ nécessaires à cette remise au carré. Mais Ascoval n’a pas le temps de sabrer le champagne. À peine la reprise signée début mai 2019 que son horizon s’assombrit à nouveau avec les difficultés de son repreneur British Steel qui fera faillite en mai 2020. Entretemps, Ascoval signe, en novembre 2019, une grosse commande de la part de l’usine de British Steel à Hayange, qui fabrique des rails : il s’agira de lui fournir 140 000 tonnes par an de blooms servant à produire des rails pour SNCF Réseau. Un engagement sur quatre ans, qui démarrera en septembre 2020. Si les nouvelles sur le front de la pérennisation de l’activité sont enfin bonnes, il n’en est pas de même au niveau de l’actionnariat. Après la reprise de British Steel par le chinois Jingye, Bercy impose un changement de propriétaire pour les usines d’Hayange et Ascoval. C’est finalement l’indo-britannique Liberty Steel qui hérite des deux sites en août 2020, assurant la combinaison parfaite : l’amont pour Ascoval, l’aval pour Hayange.

Mais c’était compter sans l’acharnement du sort et l’hécatombe qui touche les acteurs du secteur. En proie à des difficultés financières à la suite du dépôt de bilan de la société britannique Greensill, un important financeur de son holding GFG Alliance, maison mère de Liberty Steel, le nouveau propriétaire fait défaut à son tour et remet Ascoval et Hayange en vente en mai 2021. Cette fois-ci, l’épilogue avec Saarstahl semble être le bon. Cedric Orban assure que l’allemand est enfin « l’actionnaire idéal » après ces années de ballottement, qui n’ont vraisemblablement pas usé ses nerfs d’acier.

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