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Investissements Français en Private Equity aux États-Unis : quelle structure fiscale d’acquisition ?

Point de vue de Thomas Cazals, Avocat Associé, Cazals Manzo Pichot, et Benjamin Tolub, Managing Partner, Gray Tolub


Le marché du private equity américain confirme en 2018 encore une tendance de croissance substantielle au cours de cette décennie1. En effet, les fonds d’investissement cherchent plus que jamais des investissements en capital dans des sociétés non cotées en Bourse, avec un nombre record de fonds de private equity sur le marché en 2018. L’un des facteurs de ce dynamisme est la décision du Congrès américain et de l’administration Trump de réduire l’impôt fédéral sur les sociétés, le faisant ainsi passer du taux de 35 % à celui de 21 % à partir de l’exercice fiscal 2018.


D’un point de vue français, les investissements en private equity aux États-Unis sont de plus en plus souvent réalisés par des fonds constitués sous forme de sociétés de libre partenariat (SLP). Cette structure a la particularité d’être transparente d’un point de vue fiscal français mais aussi d’un point de vue fiscal américain. L’investissement à travers une SLP peut se faire soit directement dans la cible américaine soit par l’interposition d’une société américaine qui servira alors de « blocker ». Ces deux voies d’investissement (i.e. directe ou indirecte) ont leurs conséquences fiscales propres. Si l’investissement direct présente le mérite de la simplicité, nous verrons qu’il peut être toutefois plus avantageux d’interposer un blocker.


L’investissement en direct dans une cible américaine. Dans le cadre d’un investissement en direct, la SLP prendra directement une participation dans une cible américaine. Les conséquences fiscales liées à cet investissement vont dépendre du traitement fiscal de la cible. Si l’investissement en direct se fait dans une cible constituée par exemple sous la forme juridique d’une Limited Liability Company (LLC), la LLC et la SLP étant par défaut fiscalement transparentes du point de vue fiscal américain et la cible réalisant une activité commerciale aux États-Unis, les investisseurs ultimes seront eux-mêmes considérés d’un point de vue fiscal américain comme engagés dans une activité aux États-Unis, dite U.S. trade or business. Par conséquent, ils devront, à ce titre, remplir personnellement une déclaration fiscale quant à leurs revenus américains dérivant de cette activité (effectively connected income ou ECI). Ainsi, un contribuable étranger qualifié de corporation sera soumis à l’impôt sur les sociétés fédéral au taux de 21 % et un contribuable personne physique étranger a un impôt fédéral pouvant aller jusqu’à 37 % (réduit à 20 % pour des plus-values à long terme) plus le cas échéant une imposition supplémentaire2. Ce type de structure soulève par ailleurs des problématiques liées au rapatriement des revenus (branch profits tax) pour les contribuables corporate étrangers, à l’allocation des revenus (profits allocations) et également une imposition américaine spécifique résultant de l’ECI sur la plus-value de cession des titres dans la cible et ce, en particulier depuis la réforme fiscale de décembre 2017. Cependant, l’application de conventions fiscales peuvent permettre de réduire cette retenue. Si la cible américaine opère sous forme d’un Inc. (ou de LLC qui aurait opté pour le traitement fiscal de corporation), la cible sera considérée comme fiscalement opaque et qualifiée de corporation d’un point de vue fiscal américain. Dans ce cas, ce sera la cible elle-même qui sera soumise à l’imposition américaine à l’impôt sur les sociétés, au taux fédéral susvisé de 21 % (plus le cas échéant une imposition supplémentaire d’un point de vue State et Local). Dans cette hypothèse, les investisseurs associés de la SLP, ainsi que la cession des titres de la cible par la SLP, ne seront en principe pas imposables aux États-Unis3. Toutefois, les distributions de la part de la cible pourront être, dans certaines situations, soumises à des retenues à la source et les investisseurs associés de la SLP soumis à des obligations déclaratives américaines spécifiques, à moins que la SLP n’opte pour le régime de Withholding Agent.


Aux contraintes de l’investissement en direct, répond la possibilité d’investir dans la cible américaine par le biais d’un ou plusieurs blockers.


Les conséquences de la réforme fiscale de Donald Trump pour le Private Equity


Alors que le monde du private equity US était habitué à une forme de stabilité fiscale, la réforme américaine de 2017 a constitué un changement majeur pour les intervenants du secteur. Ce sont ainsi plusieurs régimes qui ont été totalement bouleversés. On peut citer notamment la réduction significative du taux d’imposition sur les sociétés passant d’un taux majoré progressif de 35 % au taux de 21 % à compter des exercices commençant après le 31 décembre 2017, la mise en place d’un mécanisme de déduction forfaitaire de 20 % pour les qualified business income from passthroughs, la mise en place d’une période de détention minimum de 3 ans pour bénéficier du régime des plus-values sur les carried interests, le renforcement des règles de limitation de la déductibilité des intérêts financiers mais également des pertes fiscales, ou encore l’imposition étendue des foreign earnings et du régime mère-fille pour contraindre les sociétés américaines à rapatrier leurs revenus étrangers et d’entreprendre aux États-Unis. Ce foisonnement législatif enveloppe ainsi les investissements dans le secteur d’un halo de nouveautés dont le champ d’application et les conséquences nécessitent encore un profond travail d’analyse de la part des conseils.


L’investissement dans la cible américaine par l’intermédiaire de blockers. Un blocker américain est une société résidente fiscale américaine qui est fiscalement opaque et qui sera soumise à l’impôt sur les sociétés aux États-Unis (au taux de 21 % plus state & local taxes le cas échéant). Il résulte de là que dans l’hypothèse où la cible est transparente fiscalement, la fiscalité américaine est « stoppée » au niveau du blocker de telle sorte que la SLP ainsi que ces associés ne sont plus soumis à l’ECI, ainsi qu’aux obligations déclaratives ci-dessus mentionnées. Cette interposition peut également être utile en cas de cible fiscalement opaque dans la mesure où elle permet d’apporter une réponse aux problématiques de retenues à la source sur dividendes et intérêts payés par la cible.


Enfin, il faut noter que la plus-value de cession des titres du blocker lui-même est en général non imposable aux États-Unis offrant un attrait fondamental pour cette solution4. Par ailleurs, un blocker étranger peut éventuellement parfois être rajouté.


En conclusion, la structuration des investissements private equity doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas. L’utilisation de blockers peut éviter le cas échéant l’imposition américaine des plus-values, optimiser la fiscalité des retenues à la source, et limiter les obligations déclaratives. Les blockers sont une carte à jouer pour tout investisseur étranger souhaitant rentrer sur le marché du private equity américain.


Notes.
(1) 2018 Prequin Global Private Equity & Venture Capital Report.
(2) Plus le cas échéant une imposition supplémentaire d’un point de vue State et Local.
(3) Sauf exception, par exemple pour les plus-values de sociétés à prépondérance immobilière.
(4) À moins que le blocker soit qualifié d’actif immobilier du point de vue américain car les actifs sous-jacents qu’il détient sont des biens immobiliers (U.S. Real Property Holding Company – USRPHC).

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