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LE BOULEVERSEMENT FISCAL DES MANAGEMENT PACKAGES

Crédit photo Antoine KIBLER
Le 13 juillet 2021, le Conseil d’État a bouleversé sa doctrine du traitement fiscal des gains issus de management packages. Explications et mise en perspective par Stéphane de Lassus, associé du cabinet Charles Russell Speechlys, et Philippe Latombe, député de la 1re circonscription de la Vendée.

ENTRETIEN CROISÉ entre Stéphane de Lassus, associé du cabinet Charles Russell Speechlys, et Philippe Latombe, député de la 1re circonscription de la Vendée

Quelle était la teneur des décisions rendues en juillet 2021 ?

Stéphane de Lassus : Ces trois arrêts de juillet 2021 ont clarifié la situation sur le traitement fiscal des management packages, car jusqu’à présent l’administration nous opposait la jurisprudence Gaillochet, qui était, en réalité, un arrêt d’espèce relevant de schémas abusifs. Les conseils fiscaux pensaient qu’en l’absence de conditions préférentielles liées au contrat de travail, le manager pouvait investir dans son entreprise via des outils capitalistiques évalués à leur juste valeur (actions, actions de préférence, voire des BSA bien construits et valorisés par des experts), sans que les gains ne soient requalifiés en salaire, mais le Conseil d’État a tout bouleversé, la rapporteuse publique étant assez offensive sur le sujet. La notion de conditions préférentielles a été conservée quand le manager achète l’outil, c’est-à-dire que l’administration se réserve le droit, dès l’acquisition, de contester la valeur. En outre, lorsqu’il cède le management package à la sortie, si trop d’indices rattachent les sommes perçues au mandat social ou au contrat de travail, l’administration peut alors les requalifier en salaire. Le caractère de prise de risque du gain est inopérant, selon la rapporteuse publique. Fort heureusement, ce n’est pas inscrit comme tel dans l’arrêt du Conseil d’État. J’ose donc espérer qu’une évolution des Sages est encore possible car, selon les grands principes du droit fiscal, lorsqu’un investissement capitalistique est réalisé, il doit être taxé en plus-value. Curieusement, l’administration n’a pas semblé étonnée de ces arrêts de principe, arguant que telle était sa position depuis déjà de nombreuses années. Je n’ai pas constaté, depuis, d’augmentation de contrôles fiscaux liés à ces arrêts. La fin de l’année arrivant, avec la sortie de LBO large cap, des demandes d’informations pourraient survenir. On aurait une première application concrète de ces arrêts.

Cette nouvelle lecture fiscale a-t-elle été confirmée depuis ?

Stéphane de Lassus : Il n’y a pas eu de nouvelles affaires avec des management packages purs qui auraient pu donner application de ces arrêts. Quelques arrêts d’espèces ont été rendus. Je pense par exemple à un manager d’un cercle 2 ou 3, qui avait apporté ses titres à une holding belge, faisant de l’optimisation fiscale clairement abusive. On ne peut donc pas en tirer de conséquences. Rappelons tout de même que les arrêts de juillet 2021 sont des arrêts de principe, publiés au Lebon. Si un contribuable saisit la Haute Juridiction et que l’affaire est assez simple, elle risque de ne pas passer le filtre. Le Conseil d’État expliquant que le pourvoi n’est pas recevable, puisqu’une affaire semblable a déjà été jugée. À ma connaissance, il n’y a pas eu d’arrêt de cour administrative d’appel sur les management packages, donc je ne m’attends pas à de nouvelles jurisprudences dans les prochains mois.

Quelles leçons la place en a-t-elle tiré depuis un an ?

Stéphane de Lassus : Au regard de la publicité réalisée sur ces arrêts, d’abord par le Conseil d’État, puis par les professionnels, la place se devait de réagir dans la structuration des montages LBO. Dès lors, ce qui était déjà réalisé pour le cercle 2 des managers a été étendu au cercle 1, c’est-à-dire distribuer des actions gratuites sous conditions de rester dans l’entreprise et d’atteinte, par le fonds d’investissement, d’un certain niveau de TRI à la sortie. Si cet outil des actions gratuites est aujourd’hui incontournable, il présente néanmoins des limites car il est par essence gratuit. Or les investisseurs du private equity exigent des managers un investissement capitalistique pour permettre un alignement de leurs intérêts. Dans l’hypothèse d’un premier LBO, dans lequel l’incentive des managers ne représente pas encore un pourcentage trop important de la plus-value, tout peut être structuré sous forme d’actions gratuites, en demandant au top management d’acheter des actions pari passu. En outre, je rappelle que les actions gratuites sont limitées à 10 % du capital d’une société. Si le chef d’entreprise ou l’actionnaire exigent que tous les salariés en reçoivent, il ne reste plus grand-chose pour le top management. Dans un LBO secondaire, ou un MBO, opération dans lequel les managers sont au coeur du montage, comment faire ? C’est pourquoi les managers continuent parfois à acheter des actions de préférence en réalisant un lourd investissement. Quand un manager investit 500 000 € dans l’entreprise, soit un, deux, trois ou quatre ans de salaire net, ce n’est pas parce qu’il y a un lien diffus avec son mandat social qu’il n’a pas le droit à la qualification de plus-values. Je pense également à l’hypothèse d’une société de croissance dont le fondateur détient 20 % du capital après entrée des fonds d’investissement. Le fondateur est essentiel à l’entreprise, donc il doit recevoir un management package, mais comment lui expliquer qu’il doit investir avec sa casquette de salarié alors qu’il a lui-même créé l’entreprise ?! Il y aura forcément de nouvelles jurisprudences.

Quelles conséquences sur l’environnement des dirigeants d’entreprises sous LBO ?

Philippe Latombe : Ces arrêts battent en brèche le principe fondamental de l’investissement capitalistique. C’est désormais le contrat de travail qui prime sur le montage financier. Et que se passera-t-il si, à la fin du LBO, le management package est en moins-value ? Faudra-t-il rembourser le salaire et les cotisations sociales ? La rapporteuse publique a répondu par la négative. Mais le principe fiscal veut que si le management package peut être traité en moins-value d’un côté, il doit être traité en plus-value de l’autre. Je rappelle que le cycle économique est susceptible de se retourner. Comment cette situation va-t-elle être gérée ? J’ajoute, qu’au-delà de la question fiscale, cette jurisprudence un mauvais signal donné à l’ensemble de la société et des investisseurs étrangers qui voient désormais la France comme un mouton noir sur cette problématique. Elle implique également des conséquences sur un certain nombre de levées de fonds qui doivent se faire rapidement, parce que les taux d’intérêt sont encore acceptables et la croissance économique plus ou moins stable, sans que personne ne sache pour combien de temps encore. Certaines opérations se réalisent déjà à l’extérieur de la France, notamment menées par des chefs d’entreprise qui ne sont pas loin de la frontière belge.

Stéphane de Lassus : Il existe en effet un risque de voir réapparaître les réactions que la France a connues il y a 10 ou 15 ans, avec un départ de certaines entreprises, ou des choix d’investissement à l’étranger, plutôt que dans l’hexagone.

Vous avez tenté de trouver une solution par voie législative. Quelles ont été vos démarches ?

 Philippe Latombe : Après la publication des arrêts, j’avais contacté Bercy qui m’avait répondu qu’il n’y avait pas de sujet pour l’administration. Un groupe de travail informel a tout de même été lancé pour analyser la situation un peu plus précisément. Rien n’en a filtré : ni la composition, ni les conclusions. J’ai alors fait tourner deux amendements : le premier visant à revenir à la situation antérieure, le second permettant de trouver une solution à l’américaine avec une déclaration préalable permettant d’éviter les requalifications abusives. Bercy avait donné son accord au second texte, avant de le renvoyer à l’Élysée « pour arbitrage » en fin d’année. Les élections présidentielles arrivant, et face à une opposition des fonds structurés en France qui craignaient que le régime fiscal applicable à leur investissement soit en même temps réécrit, la situation a été gelée. Pourtant Éric Woerth, alors président de la Commission des finances, avait lui-même affirmé que l’amendement devait être soutenu. Je m’étais rapproché des Sénateurs pour que l’amendement soit voté lors du passage du projet de loi de finances au Sénat. Mais comme le budget a été refusé pour insincérité, il n’y a même pas eu de lecture du texte. Puis en deuxième lecture, le filtre des amendements m’a empêché de le représenter.

Pensez-vous qu’une réforme soit envisageable à court terme ?

Philippe Latombe : Je pense qu’il existe une possibilité de faire passer le texte, avec l’appui des LR, lors de l’examen du budget de cette année. Il est possible qu’il soit présenté dans le projet de loi de finances rectificative, s’il y a une fenêtre sur les discussions sur l’actionnariat salarié. Sinon, il le sera en fin d’année dans le projet de loi de finances. Ces arrêts constituent un mauvais signal donné à l’ensemble du monde économique et financier. En fin d’année dernière, le sujet était sans doute trop neuf, les arrêts datant de quelques semaines. Nous avons désormais plus de recul : ils commencent à causer des problèmes, dans une phase où les entreprises ont besoin de créer de la valeur. Tout ce qui peut soutenir la croissance et la création de valeur doit être une priorité.

Stéphane de Lassus : J’ajoute que les services chargés du contrôle fiscal ne trouvent pas ces arrêts très confortables. L’administration pourrait publier des fiches, comme ce qui a été fait précédemment sur d’autres sujets fiscaux. Elles sont moins opposables que la doctrine administrative, mais elles donnent des indications aux contribuables et au service des vérificateurs pour mieux comprendre les mécanismes abusifs ou pas et donc apporter certaines garanties…

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