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PORTRAIT - CATHY COLLART GEIGER

DEPUIS LA FONDATION de l’enseigne en 1906 par Raymond Picard, sous le nom « Glacières de Fontainebleau », les contours du groupe Picard ont bien changé. Détenu conjointement par Lion Capital (51 %) et la famille Zouari (49 %), le groupe a recruté, il y a deux ans, Cathy Collart Geiger comme nouveau PDG. Pétillante et volontaire, cette femme d’affaires a entrepris de transformer l’entreprise en cinq ans. 


Picard, une transformation à grande vitesse



Après plusieurs LBO, le groupe est désormais détenu par le fonds britannique Lion Capital et la famille Zouari. Comment fonctionnez-vous avec ce binôme d’actionnaires ?


Les actionnaires du groupe Picard ont des profils totalement différents, mais complémentaires : d’un côté, un fonds d’investissement anglais et, d’autre part, une famille de commerçants entrepreneurs français. Cette diversité représente pour moi une grande richesse, car je suis nourrie, par l’un, sur les aspects financiers et, par l’autre, sur notre cœur de métier et le secteur du commerce. La famille Zouari a plutôt une vision à long terme et s’intéresse à savoir comment les projets vont se mener concrètement, tandis que Lion Capital, comme n’importe quel fonds d’investissement, me challenge sur les aspects financiers. C’est une vraie exigence pour mon quotidien de PDG, mais également une richesse : lorsque mes deux actionnaires sont contents, c’est que la copie est bonne ! Lors de mon arrivée au printemps 2020, juste après le premier confinement, ils m’ont confié la mission de relancer la croissance de Picard. Avant de rejoindre cette entreprise, j’ai mené un parcours dans la grande distribution, d’abord au sein du groupe Auchan, puis d’Intermarché. J’ai débuté comme chef de rayon pour devenir directrice d’hypermarchés, avant de passer ensuite sur des fonctions plus stratégiques, comme directrice marketing, des achats, en France et à l’international. Cette culture de la grande distribution m’a permis d’être rapidement opérationnelle dans ma prise de fonction chez Picard où les défis étaient grands. La croissance de l’entreprise était étale depuis 2012, tandis que les frais de structure continuaient de progresser, érodant donc doucement la profitabilité. De plus, le solde de clients était en régression depuis quatre ans, avec une clientèle vieillissante. En 2020, Picard ne comptait que 13 % de sa clientèle âgée de moins de 30 ans.


Lors de votre arrivée à la tête de l’entreprise, vous avez fait le tour du propriétaire pendant plusieurs semaines pour rencontrer les salariés. Qu’avez-vous appris du terrain ?


Après avoir étudié les chiffres et l’histoire de l’entreprise, j’ai fait le tour de nombreux magasins durant l’été 2020. J’ai visité nos entrepôts, nos fournisseurs et j’ai fait organiser des tables rondes avec des clients et des non-consommateurs de Picard. Ces visites ont été riches d’enseignements. J’ai tout de suite constaté que la relation client était l’une des forces de la marque : les collaborateurs sont polis, souriants, aidants et sont appréciés pour ces qualités. En même temps, j’ai compris les freins des consommateurs qui ne se déplaçaient pas dans nos magasins : soit ils les estimaient trop loin de chez eux, soit ils jugeaient la marque très parisienne, voire bobo. Le Covid-19 a ouvert des opportunités pour notre enseigne, mais également révélé certaines faiblesses. D’abord, les consommateurs ont redécouvert les bénéfices du surgelé, des produits stockables, pratiques et économiques. Ils se sont également remis à cuisiner pendant les confinements. En même temps, les restrictions de déplacement ont conduit à l’augmentation phénoménale des achats en ligne des produits alimentaires. La part de marché de la vente en ligne de surgelés est passée de 7 à 10 % en quelques mois. Or Picard n’avait pas les moyens de répondre à cette demande, puisqu’à l’époque, l’entreprise n’avait pas opéré sa transformation digitale.


En septembre 2020, vous avez présenté le plan Proxima. Où en êtes-vous de son exécution ?


J’ai présenté ce plan de croissance en septembre 2020, avec quatre axes distincts. Le premier consiste à mettre en oeuvre une stratégie commerciale orientée client, en passant du mass market à de la personnalisation. Environ 30 % de nos clients viennent dans nos magasins une fois par an, tandis que d’autres se déplacent plus de 25 fois. On ne les adresse pas de la même façon. Nous avons commencé à coconcevoir des produits, des recettes avec nos clients, de manière à être plus en interaction avec eux, le but étant de créer une communauté d’ambassadeurs Picard. Les résultats ont été assez probants avec, en deux ans, 1,5 million de clients encartés supplémentaires, et le doublement de notre part de marché chez les jeunes. Le deuxième axe est d’opérer notre transformation digitale et de proposer d’autres parcours de courses à nos clients. La livraison à domicile a été lancée en novembre 2020, puis le click & collect a été déployé, ainsi que la livraison express, en partenariat avec Deliveroo, qui nous permet de livrer nos clients en moins de 10 minutes dans 110 agglomérations. Ces nouveaux parcours de course ont rapidement conquis de nouveaux clients et généré du chiffre d’affaires supplémentaire. Des snack-bars connectés ont également été créés pour nous rapprocher de nos clients. Il s’agit d’un distributeur automatique de produits surgelés installé dans des écoles, hôpitaux ou immeubles de bureaux. Cette innovation a été particulièrement plébiscitée au moment des mesures étatiques de fermeture des restaurants. Le troisième axe vise à la reconquête du territoire, là où il y avait une tendance baissière d’ouverture de magasins depuis quelques années. Sur l’exercice précédent nous avons ouvert 19 magasins et 30 en 2021. Nous avons l’ambition d’ouvrir 200 magasins d’ici 2026. Pour adresser des villes de 10 000 habitants environ, le modèle de la franchise est tout indiqué. Nous avons donc redéfini ce modèle, tant économiquement que sur le choix des franchisés. À l’international, la stratégie a, là aussi, évolué. Nous ouvrons désormais des corners, en partenariat avec des retailers premium bien implantés dans leur tissu local. Picard leur apporte une proposition commerciale supplémentaire, avec une centaine de produits et un concept marketing adapté aux clients du pays. Nous avons ainsi ouvert plusieurs corners à Dubaï au printemps dernier, en partenariat avec Marks & Spencer. Les résultats sont au rendez-vous et Picard est désormais implanté dans 14 pays. Le quatrième axe est de travailler toutes les dimensions de la marque : enseigne, employeur et citoyenne. Nous avons ainsi refondu notre plateforme de marque pour la rendre plus inclusive et illustré cela à travers une campagne de communication baptisée Bienvenue, qui met en avant les différents instants de consommation Picard. Nous avons également travaillé notre marque employeur, en redéfinissant un projet humain ambitieux : la signature d’un accord handicap en 2020, l’accueil de 120 alternants en 2021, les réflexions sur la qualité de vie au travail… Enfin nous avons défini un projet RSE et travaillé notre raison d’être.


Lors de l’exercice clos en mars 2021, le groupe a annoncé une augmentation de 15 % des ventes à périmètre constant. La pandémie a bien sûr été un facilitateur, mais plus globalement, comment vos actionnaires vous ont-ils aidé ?


À mon arrivée, Picard affichait 1,5 Md€ de chiffre d’affaires. J’ai annoncé à nos actionnaires que nous ferions +30 % en 5 ans. J’ai alors rédigé un bsusiness plan avec, chaque année, des leviers d’action faits d’innovation produits, d’ouvertures de magasins en France (40 sont prévues en 2022), de développements à l’international, etc. Nous sommes aujourd’hui en avance de phase sur cette courbe qui devrait nous amener à 2 Mds€ de CA en 2026. Le soutien des actionnaires a été essentiel puisque ce projet est constitué de vrais schémas de rupture. Leur adhésion s’est manifestée très concrètement avec un accompagnement budgétaire historique, nécessaire pour opérer toutes ces transformations. Nos actionnaires sont parties prenantes et alliés dans notre projet, nous portons ensemble le renouveau de Picard.


Le dividend recap de 2021 a maintenu un effet de levier persistant. Le LBO est-il un booster ou un frein pour l’entreprise ?


Le modèle économique de Picard n’est manifestement pas incompatible avec sa croissance. Le dividend recap n’a pas empêché d’obtenir cet investissement historique des actionnaires dans l’entreprise. Nous avons d’ailleurs été alignés dès le début de notre coopération : le plan de croissance doit avoir les moyens de sa réalisation.


Quelles sont les clés pour que cette croissance et rentabilité exceptionnelle soient durables ?


Il est fondamental que nos équipes en soient le relais. Nous organisons donc des workshops sur différents sujets pour embarquer toute l’entreprise et que les managers comprennent le sens de notre action. Ils doivent aussi être incentivés. Les cadres reçoivent donc un bonus qui sert ce plan de croissance. La participation et l’intéressement constituent d’autres leviers de rémunération. En 2020, notre croissance a été de +15 % et nous avons versé 16,5 mois de salaire à tous les collaborateurs de Picard. Chacun est donc récompensé à la mesure de l’investissement et des résultats de l’entreprise.


Comment vivez-vous le retour de l’inflation en 2022 ?


L’inflation est une réalité qui touche tous les postes de notre chaîne de valeur. Le prix des matières premières augmente, tout comme celui de nos emballages, du transport, de l’énergie. Une partie sera malheureusement répercutée dans certains prix mais nous oeuvrons avec discernement. Nous disposons aussi de quelques atouts nous permettant d’aborder cette période avec plus de sérénité. Nous avons notamment la main sur nos recettes, ce qui peut nous permettre d’arbitrer sur un ingrédient ou un autre. Nous regardons aussi, avec nos fournisseurs de longue date, comment lisser cette inflation dans le temps pour limiter l’impact sur les prix.


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