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Pierre-Édouard Sterin, le business angel inspiré

Par Ondine Delaunay

Entrepreneur dans l’âme, fondateur et propriétaire de la success story française Smartbox, Pierre-Edouard Sterin est également un business angel avisé et très organisé à travers sa holding Otium Capital. Une double casquette qui lui confère un certain particularisme dans l’univers feutré des investisseurs français.


À 45 ans, vous êtes l’un des rares business angels à ne pas avoir revendu votre entreprise. Que vous apporte cette double casquette dirigeant/investisseur ?


Je peux porter cette casquette de business angel dès maintenant puisque mon principal actif, l’entreprise Smartbox que j’ai créée, est rentable et me verse des dividendes assez significatifs chaque année. Si je ne suis plus directeur opérationnel de cette société depuis cinq ou six ans, je persiste néanmoins à lui donner une impulsion stratégique en tant que président du board. La quasi-totalité des dividendes qui me sont versés est ensuite réemployée dans l’investissement d’entreprises. Au regard des montants assez élevés que nous investissons dans le private equity – environ quarante millions d’euros chaque année - j’ai recruté une équipe composée d’une quinzaine de personnes pour m’accompagner dans mes démarches de business angel. Elle se répartit en trois pôles : le premier est orienté sur des sujets digital/tech, le deuxième est positionné sur des sujets retail et consumer good, enfin le troisième est plutôt agnostique en termes de secteurs. Par exemple, nous avons des cliniques dentaires en France et en Espagne, qui est un marché important sur lequel les niveaux d’Ebitda peuvent être significatifs. Nous avons également investi dans des mines d’or au Maroc. Enfin nous avons participé au redressement judiciaire de La Pataterie, avec un autre family office. Nous sommes très opportunistes sur cette troisième brique d’activité.



Données clés :

32. Participations

150 M€. Le montant investi par Otium Capital sur les quatre dernières années.

250 M€. La valorisation réévaluée
de l’investissement aujourd’hui.


5 000 €.  Le montant d’investissement pour créer Smartbox en 2003. 

En 2008, l’entreprise faisait 250 M€  d’euros de CA et 25 M  d’Ebitda.

Comment ont débuté vos démarches d’investisseur ?


Au départ, la volonté était de diversifier l’activité de Smartbox sur d’autres univers de loisirs. À côté des coffrets cadeaux, on a très vite créé weekendesk qui est une plateforme de réservation de week-end, et Balinea qui vise la réservation de spa. Sur la thématique des restaurants, nous n’avons pas créé mais choisi d’acquérir 80 % du capital d’une société qui connaissait alors des difficultés : La Fourchette. Nous avons ensuite investi dans Camping&Co, qui est positionné sur la réservation de camping sur Internet. La première étape de cette vie d’investisseur s’est donc faite sur le secteur de l’intermédiation de loisirs qui est connexe à celui de Smartbox.


Après quatre ans, en 2014, nous avons revendu La Fourchette. L’équipe qui m’accompagnait a alors choisi de voler de ses propres ailes. J’ai donc constitué une nouvelle équipe, en ouvrant mes perspectives d’investissement à d’autres secteurs. Bruno Raillard, Antoine Fine et Mélodie de Pimodan m’ont rejoint, chacun développant une thématique d’investissement.


Dans quels types de société investissez-vous aujourd’hui ?


Nous considérons, de façon assez classique, trois critères : un marché avec un fort potentiel, un produit qui disrupte d’une façon ou d’une autre son industrie, et enfin une équipe très performante.


Nous cherchons avant tout des profils d’entreprises à très haut potentiel de croissance. Nos tickets vont de 100 000 euros à 15 millions. Nous visons 50 % de TRI dans chacun de nos dossiers, et 50 millions de capital gain, c’est-à-dire de plus-value potentielle pour notre ticket d’investissement quel qu’en ait été le montant initial. Je m’assure ainsi que nous ne passons pas trop de temps sur des sujets qui ne sont pas suffisamment générateur de gains potentiels. Notre durée d’investissement s’étend de cinq à sept ans. Elle est relativement longue aujourd’hui pour permettre aux entreprises de délivrer. Ceci s’explique aussi par le fait que je n’ai pas de contrainte de LP’s puisqu’il ne s’agit que de mes propres liquidités.



Il est comme ça :

Une réussite ?


En 2010, j’achète 80 % du capital de La Fourchette. 8 M d’euros investis. La ligne est revendue quatre ans après pour 66 M.


Un flop ?


Gault & Millau dans laquelle j’ai investi 8 M d’euros pour ensuite revendre l’entreprise 2 M.


Un projet ?


Avec ma casquette d’entrepreneur, je travaille sur un nouveau concept d’icone architecturale d’envergure en Belgique. Paris a la Tour Eiffel, New York a l’Empire State Building, Bruxelles aura aussi son poumon touristique.


Quelle est votre philosophie d’investissement ?


Si chacune de mes trois équipes d’investissement a une approche un peu différente, deux mots pourraient refléter la philosophie d’Otium Capital. D’abord la bienveillance. Nous sommes des investisseurs très « hands on ». Nous répondons aux attentes des CEO et passons beaucoup de temps avec eux pour les aider sur le prochain tour de financement, les challenger sur la stratégie produits, sur celle de leur développement à l’international.


Le second mot, que je ne considère pas comme antinomique du premier, est l’agressivité. Nous accompagnons les entreprises qui ont vocation à croître rapidement, donc à être agressives sur leur marché. Prendre des risques fait partie de l’ADN d’un entrepreneur. Si l’on est ambitieux, il faut tendre un peu plus les leviers d’endettement et prendre plus de risques au niveau commercial. Mes propres expériences, réussies ou non, ont toujours été empreintes de risques. J’ai créé plusieurs entreprises qui n’ont pas fonctionné et j’estime que c’est en acceptant de casser les codes qu’on peut mettre en place de belles opportunités de création de valeur.


En tant qu’investisseur et ancien dirigeant, quelle est votre approche du niveau des management package en France ?


La grande partie de nos dossiers d’investissement concerne des start-up classiques dont le fondateur est présent au capital de façon majoritaire. Il n’est donc pas nécessaire de l’incentiver. Mais lorsque nous rentrons dans des dossiers plus matures dans lesquels les dirigeants ne sont pas forcément majoritaires, nous mettons toujours en place des management packages. Bien sûr en tant qu’investisseur, j’ai tout intérêt à les minorer. Mais face au manager qui fait la différence avec tous les autres pour mener l’entreprise sur le chemin de la création de valeur, je suis prêt à le surpayer. Le calcul est vite fait pour un investisseur : s’il a deux fois plus de chance d’aller plus loin, il est prêt à payer plus. Il est certain que ces questions de management package élevés se posent moins dans les autres pays européens, mais il faut aussi rappeler que les salaires sont plus élevés à Paris qu’à Madrid, Rome ou encore Berlin.


Quelle est votre analyse du marché français des start-up ?


Les valorisations des entreprises sont aujourd’hui deux ou trois fois plus élevées qu’il y a quatre ans. Nous constatons une inflation importante des niveaux de prix lors des premiers tours de financement – en seed ou en série A. Elle est notamment due aux nombreuses liquidités présentes sur le marché. Celles apportées par la BPI ou par le FEI jouent un rôle important dans l’augmentation des prix. Ces investisseurs publics ont des exigences moins élevées que des structures d’investissement plus classiques. C’est une sorte de concurrence un peu artificielle ayant pour corollaire de faire émerger un certain nombre de dossiers qui n’auraient jamais dû lever des fonds. En outre, j’estime que ce n’est pas le rôle des structures d’État de jouer les investisseurs dans les start-up. À mon avis, il serait préférable d’employer l’argent du contribuable autrement.


Du point de vue du marché, il faut reconnaître que depuis 18 mois il y a moins d’opportunités intéressantes. J’ai donc décidé de changer un peu ma stratégie d’allocation et j’investis désormais 50 % de mon portefeuille dans des titres listés. Mais nous n’abonnons pas le private equity car, même avec des niveaux de prix élevés, dans certains cas le jeu en vaut vraiment la chandelle.

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