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FONDS ET INDUSTRIELS : L’ALLIANCE GAGNANTE ?

FONDS ET INDUSTRIELS : L’ALLIANCE GAGNANTE ?


Les attelages hybrides entre firmes de private equity et groupes industriels se multiplient pour des acquisitions complexes qui nécessitent à la fois un savoir-faire de transformation opérationnelle et la mobilisation de capitaux importants.


LE DÉBUT D’ANNÉE a été ponctué de rumeurs régulières sur de grandes manœuvres M&A dont les fonds d’investissement seraient des parties prenantes essentielles. Si la guerre en Ukraine et le contexte politique national ont mis un coup d’arrêt à ces négociations en coulisse, les reportant à des temps plus cléments et a minima après les élections présidentielles de ce printemps, le poids de ces alliances entre investisseurs financiers et grands groupes industriels devrait peser indubitablement plus lourd dans les prochains mois. Ainsi du feuilleton de la fusion entre Auchan et Carrefour dont les épisodes tiennent la place en haleine depuis l’automne dernier. Après l’échec d’un premier projet d’OPA du groupe nordiste sur le géant des supermarchés en septembre, des investisseurs financiers se seraient manifestés pour aider l’acquéreur à revoir sa copie. Des sources concordantes ont cité de grands noms anglo-saxons comme CVC, KKR ou Clayton Dubilier & Rice qui auraient notamment offert à la famille Mulliez la possibilité de revoir son offre à la hausse, et intégralement en numéraire, pour une valorisation de près de 20 Mds€ de Carrefour en contrepartie d’une part minoritaire du capital. Début février, d’autres rumeurs concernant une offre conjointe de la part de Thales et d’un fonds d’investissement pour mettre la main sur Atos avaient ponctuellement redonné des couleurs au cours de bourse de l’entreprise de services numériques qui a vu sa capitalisation boursière fondre de moitié l’année écoulée.


Gouvernance PE pour sociétés cotées


Le cours de Sodexo a également été boosté en début d’année par la divulgation du projet de cession d’une participation minoritaire de 30 % de son activité Avantages et récompenses à un fonds de private equity. Si Bain Capital a été cité par Reuters, d’autres sources mentionnent une demi-douzaine d’investisseurs financiers sur les rangs dont les usual suspects Clayton Dubilier & Rice et CVC. Le process confié à Goldman Sachs vise à trouver un partenaire minoritaire pour développer sa branche Avantages et récompenses (titres-restaurants, carburant, sport, cadeaux…), la plus lucrative du groupe. Elle est le moteur de sa reprise après la pandémie, grâce à ses programmes d’avantages sociaux et de chèques repas pour les salariés, alors que ses cantines ont souffert des confinements et du télétravail. Représentant 4,3 % du chiffre d’affaires total sur l’exercice clos fin août avec 183 M€, elle en assure 32 % du résultat d’exploitation.


Le géant de la restauration collective espère en tirer pas moins de 2 Mds€, certaines estimations évoquant même plutôt une fourchette de 3 et 4 Mds€. Si les marchés ont accueilli favorablement ces rumeurs de prise de participation, même minoritaire, c’est que la gouvernance du private equity est désormais plébiscitée pour les sociétés cotées. La grande majorité des fonds de pension, compagnies d’assurance et grands investisseurs internationaux interrogés par le baromètre Coller Capital de décembre 2021 sont de fervents adeptes de la classe d’actifs au point d’ériger la gouvernance du private equity en modèle pour les sociétés cotées : « près de 90 % des LPs pensent que la plupart des sociétés cotées de petite et moyenne capitalisation bénéficieraient de périodes de détention par un fonds de private equity au cours de leur croissance », stipule l’étude de référence sur le secteur. Dès lors, les attelages hybrides entre firmes de private equity et groupes industriels se multiplient pour des acquisitions complexes qui nécessitent à la fois un savoir-faire de transformation opérationnelle et la mobilisation de capitaux importants.



Ce fut notamment le cas pour la reprise d’Aubert & Duval. La filiale de fabrication d’alliages du groupe minier et métallurgique Eramet a été cédée fin février à un consortium composé d’Airbus, Safran et Tikehau Ace Capital. Le trio a valorisé 95 M€ une activité qui pèse 500 M€ de chiffre d’affaires mais souffre de difficultés financières, aggravées par la crise de l’aéronautique. Surveillé de près par l’État depuis l’annonce mi-2020 du groupe minier Eramet de sa volonté de se délester de sa filiale stratégique, le process a finalement échu à un trio franco-français. Les deux industriels et le fonds d’investissement ont signé un protocole d’accord pour la reprise à parts égales du fournisseur stratégique de matériaux et pièces critiques pour l’aéronautique, la défense et le nucléaire. Cette acquisition permettrait à Airbus et Safran de sécuriser leur approvisionnement stratégique et le développement de nouveaux matériaux destinés aux programmes d’avions et de moteurs civils et militaires, actuels et futurs. La direction opérationnelle de la société sera assurée par Safran comme le précise son directeur général Olivier Andriès dans le communiqué du consortium. Sans en communiquer le montant, Guilaume Faury, président exécutif d’Airbus a de son côté parlé d’un « ambitieux plan de transformation » et enfin, le financier du trio, Marwan Lahoud, Président de Tikehau Ace Capital, s’engage à apporter les ressources financières nécessaires pour le redressement d’Aubert & Duval, considérant que « cette acquisition est un message fort et encourageant sur l’accélération de la restructuration, de la transformation et de la consolidation de la filière aéronautique ».


3 400 Mds$ de poudre sèche


De fait, les 3 400 Mds$ de « dry powder » du private equity dans le monde ne laissent pas indifférents les grands groupes industriels qui puiseraient bien dans ces poches profondes pour financer, du moins partiellement, leurs acquisitions stratégiques ou pour reprendre une partie du périmètre de la cible afin de satisfaire aux exigences de l’anti-trust. Ainsi du rachat du groupe Suez, conquis après huit mois de bataille acharnée par son rival Veolia. Les deux entreprises étaient bien trop puissantes dans l’hexagone pour que les autorités de la concurrence autorisent une opération qui aurait conduit à la disparition de l’une d’elles. Veolia avait donc anticipé la solution en invitant à la table des négociations les fonds d’infrastructures français Meridiam et américain GIP pour reprendre le périmètre problématique, soit 40 % de l’activité de son concurrent historique.


Selon les termes du traité de paix signé en mai 2021, Veolia conserve ainsi des activités de Suez allant des États-Unis à la Chine (50 000 collaborateurs, 10 Mds€ de chiffre d’affaires). De quoi porter les revenus du vainqueur à 37 milliards et ses effectifs à 230 000 employés. Le 31 janvier, Veolia a revendu pour 7 Mds€ de chiffre d’affaires constituant le nouveau Suez, recentré sur les activités historiques de distribution et traitement de l’eau, de recyclage et de valorisation des déchets de Suez en France, avec en outre quelques activités sur plusieurs marchés internationaux. Selon la nouvelle répartition du capital, Suez est désormais détenu à 39 % par Meridiam, 39 % par GIP et le reste par la CDC via CNP Assurances. Meridiam s’est engagé pour au moins 25 ans, et son président-fondateur Thierry Déau ne manque pas d’ambition pour ce « petit » Suez qu’il pourrait rapidement faire grandir…   


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