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La fin des cookies tiers n’entame pas l’appétit de croissance de Criteo

Après avoir fait évoluer sa gouvernance à la suite du départ d’un de ses fondateurs et engagé une diversification de son offre de produits, Criteo a bouclé en début d’année le rachat de l’adtech Iponweb. Une opération de croissance externe importante dont le processus a été affecté par la guerre en Ukraine.

Pouvez-vous nous présenter Criteo en quelques mots ?

Olivia Homo : Créée en 2005, Criteo est une entreprise technologique internationale qui fournit la première Commerce Media Platform au monde. Son activité consiste à activer le plus grand ensemble possible de données commerciales sur Internet, afin de permettre à ses 22 000 clients d’obtenir de meilleurs résultats commerciaux en proposant des publicités fiables et percutantes. Cotée sur le Nasdaq depuis 2013, la société compte aujourd’hui plus de 3 500 collaborateurs, qui sont répartis dans 35 pays. Sa présence s’étend de la zone des Amériques à l’Asie, en passant par l’Europe. En 2021, Criteo a réalisé un chiffre d’affaires de 2,254 milliards de dollars.

Entre son changement de CEO en 2019 et l’annonce par Google, l’année suivante, de la fin programmée des cookies tiers dans son navigateur Chrome, le groupe a connu ces dernières années de profondes évolutions…

Olivia Homo : En effet. En octobre 2019, le PDG en poste Jean-Baptiste Rudelle, par ailleurs fondateur de Criteo, quittait la direction du groupe. Son départ a entraîné une évolution de la gouvernance, marquée notamment par la séparation des fonctions de président et de directeur général. Composé jusqu’alors de 4 hommes et de 3 femmes, le conseil d’administration est alors devenu majoritairement féminin, avec un rapport inversé. Nommée présidente du conseil d’administration, Rachel Picard est devenue la première femme à exercer ce poste dans l’histoire de Criteo. La direction générale a quant à elle été confiée à Megan Clarken, qui a alors renouvelé l’équipe dirigeante. Face à la décision de Google de supprimer à terme l’usage des cookies tiers, qui a pour conséquence de rendre moins efficace le reciblage publicitaire sur Internet, cette nouvelle équipe a rapidement été confrontée à la nécessité de diversifier le portefeuille produits de l’entreprise. C’est dans ce cadre que Criteo a lancé, une nouvelle plateforme de commerce média, qui n’a cessé de se développer depuis. 

Afin justement de renforcer cette plateforme, Criteo a bouclé en début d’année le rachat d’Iponweb, un des leaders mondiaux sur le marché de l’adtech valorisé 380 millions de dollars. Quels ont été les spécificités juridiques afférentes à cette transaction ?

Arash Attar-Rezvani : Les deux entreprises étaient déjà des partenaires de longue date et leurs dirigeants respectifs se connaissaient bien. Ainsi, lorsque Criteo a approché Iponweb en vue d’un rapprochement, les discussions ont avancé rapidement entre les parties. Dans la mesure où Iponweb disposait – et dispose toujours – d’autres clients tout aussi importants que Criteo, il a fallu les rassurer sur le fait que ce projet de transaction ne les affecterait pas, mais aussi obtenir quelques accords préalables de leur part, ce qui est somme toute classique dans ce type de transaction. La structuration du deal avait également nécessité un peu d’ingénierie à l’aune de son originalité. D’une part, le volet rachat d’actions Iponweb par Criteo était complété d’un volet rachat d’actifs. D’autre part, l’acquéreur a financé une partie de l’opération avec des actions Criteo auto-détenues. Prévue par le Code de commerce français, cette modalité, qui est autorisée mais strictement encadrée dans le cadre d’une transaction M&A, est très rarement utilisée. Mais le principal facteur ayant bouleversé le process aura été l’éclatement de la guerre en Ukraine. 

C’est-à-dire ?

Olivia Homo : Le closing du rachat d’Iponweb devait initialement intervenir quelques jours après le début du conflit, qui a eu lieu le 24 février dernier. Face à cet événement inattendu, nous avons été contraints d’exercer les clauses suspensives prévues dans le contrat afin de mettre ce projet de transaction en suspens. Même si l’intention de l’ensemble des parties était toujours de le mener à bien, Iponweb détenait une filiale en Russie, rendant de fait l’opération particulièrement sensible en termes juridiques.

Arash Attar-Rezvani : Alors que la communauté internationale a rapidement adopté plusieurs trains de sanctions à l’encontre de la Russie – avec, pour ne rien arranger, des différences d’une zone à l’autre –, il a en effet d’abord fallu les recenser et analyser leurs impacts potentiels sur ce projet d’acquisition. Finalement, ce sont les mesures de rétorsion décrétées par le gouvernement russe, plus précisément l’interdiction pour n’importe quel actionnaire russe de céder un actif domestique à un acquéreur issu d’un pays considéré comme ennemi, qui ont contraint Criteo et Iponweb à modifier la structuration de l’opération.

De quelle manière la structuration du deal a-t-elle ainsi évolué ? 

Arash Attar-Rezvani : Un carve-out de l’entité russe a dû être réalisé, afin de la sortir du périmètre du deal. Une partie des équipes a ensuite dû être relocalisée juridiquement dans d’autres pays afin que les développeurs informatiques puissent intégrer le giron de Criteo, une fois la transaction bouclée. Ce travail de relocalisation des équipes ainsi que le niveau de risque ayant changé, il était devenu nécessaire de revoir les termes financiers de l’accord des parties, ce qu’elles ont fait avec succès. Dans le souci de satisfaire les deux parties, une partie du prix devant être réglé en numéraire a été transformée en clause de complément de prix. Cet earn-out porte sur une durée assez longue, à savoir deux ans. Il a également fallu prévoir, main dans la main avec Iponweb, un solide package de garanties visant à protéger Criteo en cas d’évolution de l’impact des sanctions sur les activités issues d’Iponweb. 

D’une taille significative, cette opération de croissance externe a-t-elle entraîné de nouveaux changements en matière de gouvernance ?

Olivia Homo : Fondateur, CEO et Chief Scientist d’Iponweb, Dr. Boris Mouzykantskii est entré au comité de direction de Criteo, au sein duquel il occupe la fonction de Chief Architect. Stephen Taylor, Chief Operating Officer d’Iponweb, a été également nommé au comité de direction en tant qu’Executive VP and GM d’Iponweb. Pour le reste, cette transaction ne s’est pas traduite par d’autres évolutions notables dans ce domaine.

A quels enjeux juridiques un groupe comme Criteo est aujourd’hui confronté ?  

Olivia Homo : Il nous incombe de poursuivre l’évaluation des impacts de la fin des cookies tiers sur Chrome et Android et nous continuons à tester l’efficacité des solutions alternatives proposées dans le cadre de la Privacy Sandbox. A noter que cette fin des cookies tiers a été repoussée à fin 2024, voire 2028 compte tenu de la surveillance approfondie du Privacy Sandbox par l’Autorité de la concurrence britannique. Cependant, cela ne change pas la stratégie Criteo, visant à ne plus dépendre des cookies tiers. De même, nous regardons de près l’actualité juridique et réglementaire, en particulier au niveau européen et notamment les développements relatifs à l’économie de la donnée et la future régulation de l’intelligence artificielle. 

Criteo est une success story dans l’univers de la French Tech. Depuis plusieurs mois, ce secteur est entré dans une phase de turbulences. Etes-vous inquiet quant à ses perspectives ? 

Arash Attar-Rezvani : Grâce à un début d’année toujours très dynamique sur le front des levées de fonds, les chiffres de l’exercice 2022 de la French Tech devraient être globalement bons. Pour autant, il est vrai que les fondamentaux de ce marché se sont sensiblement dégradés depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien. Après une envolée des valorisations durant les mois qui ont suivi le déclenchement de la crise sanitaire, les investisseurs se montrent dorénavant plus sélectifs dans un contexte macroéconomique difficile qui impacte toutes les industries.  Cela se matérialise par une analyse approfondie des fondamentaux tant technologiques que financiers des sociétés concernées. Dans ce contexte, les sorties sont devenues extrêmement compliquées. Alors que les levées et que les introductions en Bourse – seul Deezer est parvenu à se coter récemment dans le cadre d’une opération de Despacking – sont devenues plus délicates à exécuter, il faut probablement s’attendre à un regain d’opérations de M&A.

Criteo pourrait-il en profiter ?

Olivia Homo : Notre priorité du moment consiste à parachever l’intégration d’Iponweb. Pour autant, nous nous montrerons attentifs dans le cas où une opportunité de marché viendrait à se présenter à nous. 

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