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GOUVERNANCE D’ENTREPRISE : COMMENT CONCILIER DURABILITÉ ET EXIGENCE DE RENTABILITÉ ?

Si la pandémie du covid-19 a bien sûr bouleversé les entreprises et la société, elle a également accéléré certains mouvements, au premier rang desquels la transition climatique. Par-delà les nouveaux règlements européens aux acronymes obscures, le droit souple et les enjeux réputationnels ont poussé les entreprises à engager des modifications organisationnelles. Mais concrètement, comment concilient-elles les exigences de durabilité avec la rentabilité attendue par leurs parties prenantes ? Quelles stratégies mettre en place ?

QU’EST-CE QUE LA DURABILITE ?

Carol Xueref : La durabilité, c’est la manière dont l’entreprise va atteindre ses objectifs sociétaux et environnementaux et rester viable. Elle permet de créer de la valeur à long terme, d’atténuer les risques, de renforcer la réputation de la marque, d’augmenter les revenus, de réduire les coûts, d’attirer et de retenir les talents et les investissements. Elle assure ainsi à l’entreprise une place dans l’économie future. Les stratégies de durabilité sont une préoccupation réelle et importante pour les entreprises. Par-delà les influences et les enjeux réputationnels, cette initiative est justifiée par un ensemble de raisons au premier rang desquelles la pérennité de l’entreprise. Depuis 2020, face aux diverses pandémies, confinements, à l’inflation et aux événements militaires qui se déroulent actuellement, les entreprises ont dû ajouter à la durabilité stratégique la notion de résilience.

Fanny Letier : La notion de durabilité a une signification proche de celle de pérennité – une valeur chère aux PME et aux ETI. Et aujourd’hui plus que jamais, la pérennité de l’entreprise rejoint celle de la cohésion sociale et celle de la planète. Tout converge et cela impacte forcément les stratégies d’entreprise. La crise du covid a montré que les stratégies RSE classiques ne suffisent plus. Ce n’est pas en réduisant à la marge, dans des plans d’amélioration ou de compensation, nos externalités négatives, notamment environnementales, que l’on va répondre aux enjeux qui sont devenus urgents, immédiats et d’une magnitude dont on vient seulement de prendre conscience. Il est urgent d’innover pour créer directement et puissamment des externalités positives. C’est en cela qu’aujourd’hui, la durabilité fait partie de la stratégie de l’entreprise, des nouveaux modèles de développement. Elle doit être portée par ses leaders : le chef d’entreprise en premier lieu, mais aussi par les équipes qui doivent être embarquées. Elle n’implique pas de changer la nature de l’entreprise.

Et heureusement car très peu d’entreprises sont à impact « par nature ». Les deux tiers des ETI exercent dans le secteur des services ou de l’industrie. Ancrées dans les territoires, elles sont le principal moteur de l’emploi en France et ont donc une utilité en elles-mêmes. Elles vont cependant devoir changer la façon dont elles font leur métier. La durabilité suppose de mobiliser ses compétences, d’innover, pour faire évoluer son offre de produits et services, ses procédés voire son business model pour servir une demande sociétale qui est plus présente, plus immédiate et plus forte. Une entreprise qui exerçait jusqu’à présent en BtoB, travaille aujourd’hui en BtoBtoC et le « C » représente le citoyen consommateur. Une entreprise qui n’en prendra pas la mesure disparaîtra du marché. Celles qui l’intègrent deviendront leaders.

Stanislas de Laporte : Sur des sociétés à taille plus importante, l’impulsion de cette stratégie de durabilité revient au conseil d’administration. Les administrateurs doivent être formés sur la durabilité, établir une gouvernance dédiée à ce sujet et définir une politique qui, ensuite, sera mise en place par les dirigeants. La gouvernance de la durabilité est un sujet d’attention essentiel pour les actionnaires de sociétés cotées, ce qui se manifeste lors des échanges et lors des assemblées générales.

ANALYSER LA PERFORMANCE DIFFÉREMMENT

Patrick Bertrand : Cette stratégie de durabilité doit s’analyser sous l’angle de la définition que l’on donne à la performance. Beaucoup d’entreprises ont eu, durant de nombreuses années, les yeux rivés sur leur Ebitda en mondialisant leur approvisionnement, en s’organisant pour produire au coût le plus réduit, en cherchant d’abord la rentabilité à court terme. Mais lorsqu’est survenue une situation objectivement non prévisible, comme celle de la pandémie, elles n’ont pas échappé à de grandes difficultés. Bien sûr l’Ebitda est révélateur du cash-flow et donc des capacités de financement des entreprises, mais il ne traduit pas les efforts d’investissement réalisés en matière de durabilité. Je crois qu’il convient de revoir notre lexique d’analyse de la performance, qui ne peut plus s’évaluer sur un, deux ou trois ans. Elle doit s’analyser désormais sur le moyen et long terme.

Stanislas de Laporte : Entre la durabilité et l’Ebitda, il ne faut pas oublier le concept de matérialité des impacts que peuvent avoir les critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance sur les activités de la société et sur ses résultats financiers. Nous proposons de mettre en place des matrices de matérialité pour prendre conscience de ces impacts directs.

Patrick Bertrand : La dimension long terme et la logique de pérennité de l’entreprise sont liées. Les groupes dont l’actionnariat est composé de personnes impliquées ayant un intérêt fort au développement de l’entreprise – par-delà l’aspect financier – ont souvent une approche plus long terme de la gouvernance dans une logique de pérennité de la personne morale. Je pense par exemple aux entreprises familiales ou à celles ayant développé un fort actionnariat salarié.

Fanny Letier : La gouvernance est gardienne d’un espace pour le temps long. Chez GENEO Capital Entrepreneur, nous travaillons avec des PME et des ETI qui sont pour l’essentiel des sociétés non cotées, familiales, patrimoniales et qui ont toujours eu pour objectif de pérenniser l’entreprise.

Carol Xueref : Les entreprises ont beaucoup appris ces trois dernières années, par la force de ces événements exogènes. Elles ont dû faire une introspection pour mieux organiser leurs process, leurs structures et procédures internes. Elles ont développé des stratégies pour rester aussi bien résilientes que compétitives. La pandémie leur a imposé de s’interroger sur ce qu’elles font et comment elles peuvent faire encore mieux. Ce contexte nouveau suppose de ne pas seulement se laisser guider par l’Ebitda.

La conduite de l’entreprise impose à l’équipe dirigeante d’avoir un esprit long terme, multi-niveaux donc inclusifs, mais disruptif et en ayant confiance dans l’entreprise et son écosystème. Le leadership impose de chasser en meute, de travailler en équipe. Patrick Bertrand : Il paraît en outre nécessaire que l’information produite par le conseil d’administration, ou par la direction, intègre, au-delà des résultats financiers, les objectifs de pérennité de l’entreprise : les investissements en matière d’innovation qui permettent de préparer le futur, le processus pour rendre « propre » l’Ebitda, etc.

CHANGER SON RAPPORT AU TEMPS

Fanny Letier : Il convient de changer notre rapport au temps. On ne transforme pas son business model, on ne devient pas une entreprise durable si l’on ne s’inscrit pas dans le temps. C’est un challenge pour les sociétés cotées et non cotées, évoluant dans un environnement réglementaire qui pousse à l’urgence, qui est instable et qui encourage les entreprises à n’être que dans la réaction plutôt que dans l’anticipation. Il faut aujourd’hui pouvoir superposer les temps : à court terme, il convient de structurer la donnée pour produire des reportings extra-financiers précis à ses clients, ses financeurs et les pouvoirs publics, et les analyser pour forger une stratégie RSE adaptée. Le long terme, c’est le cap stratégique, incluant une réflexion sur l’offre et le positionnement de l’entreprise à dix ans pour apporter directement un impact sociétal positif. On peut adopter toutes les raisons d’être ou produire de grands slogans, ce travail implique un lourd investissement, notamment en capital humain, et conduit à une véritable transformation de l’entreprise. GENEO Capital Entrepreneur a choisi d’être société d’investissement evergreen pour démontrer que si l’on veut concilier performance et sens, il faut que le temps ne soit pas un problème et qu’on ait la capacité à superposer le court, le moyen et le long terme. Le moyen terme faisant le lien entre les deux temps, ce sont les plans d’action opérationnels d’innovation et de transformation, actualisés régulièrement, qui permettent d’être agiles et dont il faut cadencer l’exécution. C’est le plus difficile, et nos équipes sont là pour appuyer les dirigeants ambitieux en ce sens.

Stanislas de Laporte : Sur les marchés, les grands asset managers ont une approche plus complexe car ils ont des contraintes sur le court et moyen terme. Yves Perrier, ancien président d’Amundi a déclaré que les performances (absolues) ne pourraient plus être aussi élevées que dans le passé si l’on intègre la révolution carbone. Il n’en reste pas moins que la majorité des investisseurs institutionnels pensent que la durabilité peut être intégrée dans une stratégie compétitive. Selon notre sondage, plus de 60 % jugent que l’attention portée aux contraintes climatiques est un critère d’investissement, suivis par la composition du board et par le capital humain. Ceci dit, force est de reconnaître que les marchés fonctionnent pour le moment plus à la sanction. Les investissements qui ne sont pas durables sortent des portefeuilles.

Fanny Letier : Il a été démontré que les investisseurs de long terme sont plus performants que les autres. Précisément parce qu’ils n’ont pas de contrainte temporelle, ils peuvent réaliser les investissements d’avenir. Ce n’est pas parce que nous investissons à long terme que nous dégradons nos ambitions de rentabilité. Les family offices en sont le reflet.

Stanislas de Laporte : Les clients doivent être prévenus et éduqués sur le fait que leurs performances pourraient être moins bonnes à court et moyen terme avec un fonds ESG. Tel a été le cas de 2022 où les actions ESG ont sous-performées. De même que les émetteurs doivent éduquer leurs investisseurs sur ce sujet. En revanche, sur le très long terme, tout porte en effet à croire que les performances seront aussi bonnes.

Patrick Bertrand : Si les dirigeants/antes n’intègrent pas la RSE dans leur stratégie, il est à craindre que leur entreprise ne soit confrontée à de vraies difficultés sur le court et long terme. Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle aura du mal à se financer. Elle ne trouvera quasiment plus d’investisseurs et de banquiers qui accepteront de l’accompagner dans son financement. De même, la bataille est perdue d’avance dans cette fameuse « guerre des talents ». Si l’entreprise ne donne pas du sens en s’engageant résolument en matière de RSE, et notamment de transition écologique, elle aura énormément de mal à recruter ou à retenir ses collaborateurs et collaboratrices. Au sein de sa chaîne logistique, l’entreprise sera également sous pression de ses donneurs d’ordres pour livrer des produits ayant une empreinte climat acceptable. Et enfin, les clients consommateurs seront attentifs à ces engagements et, s’ils ne sont pas convaincus, ils se déporteront vers un produit qui leur paraîtra plus en phase avec cette idée de durabilité. Donc, de toute façon, la durabilité est moteur de performance, au-delà même de la vertu et/ ou de la conviction des dirigeants/antes. L’entreprise n’a aujourd’hui plus le choix : elle doit être engagée pour être performante.

Stanislas de Laporte : Même dans certains secteurs d’activité, comme l’armement ou le pétrole, la durabilité est un sujet prioritaire. Les groupes pétroliers parviennent néanmoins à s’engager dans une reconversion de leur activité, avec des ambitions à long terme qui sont surveillées par les investisseurs. Ces derniers regardent à la fois les critères à 2050, mais aussi les étapes intermédiaires. Certains fonds de pension, comme celui de la Floride ou du Texas, s’affichent à travers des croisades anti-ESG. Mais en réalité, quand la durabilité est assimilée à une stratégie visant à garder ses consommateurs, ses fournisseurs et ses salariés, les investisseurs suivent.

Patrick Bertrand : Perdre son temps à définir le bien et le mal ne permet pas de faire évoluer le monde. Toutes les entreprises doivent s’engager et, bien sûr, en particulier celles qui ont une externalité négative considérable doivent se fixer des objectifs de réduction de leur empreinte carbone beaucoup plus importants que les autres. La logique est plutôt de prendre des engagements, se fixer des objectifs, suivre leur réalisation et en rendre compte à ses actionnaires et parties prenantes.

Fanny Letier : Avoir de l’impact ce n’est pas investir uniquement dans les entreprises qui relèvent de la taxonomie ! Je rappelle qu’elles représentent moins de 1 % des entreprises européennes. On risque sinon de voir s’effondrer toute une économie productive. Les entreprises de taille intermédiaire ont créé 400 000 emplois ces dix dernières années et j’espère bien qu’ils seront préservés. Si dès aujourd’hui, on leur coupe directement ou on renchérit leurs sources de financement, alors on s’engage dans une pente dangereuse, d’aggravation de la désindustrialisation et du chômage. En revanche, les investisseurs peuvent leur demander la démonstration de la prise en compte de la durabilité dans leur stratégie, pour vérifier qu’elles se donnent les moyens de se transformer dans des délais raisonnables. Cette prise de conscience est véritablement stratégique pour les entreprises, elle est même un enjeu de survie. Je pense par exemple à un groupe qui fabrique des bacs en plastique pour le secteur agricole. S’il démontre que sa technologie est multi-matériaux et lui permettra, demain, de passer du plastique au chanvre ou au lin, il convaincra les investisseurs. Si sa technologie ne le permet pas, alors il sera en difficulté tôt ou tard. GENEO Capital Entrepreneur a investi dans une entreprise du Nord de la France qui construit des toilettes mobiles sur les chantiers BTP. Une incitation financière forte a été donnée pour qu’elle développe une gamme de produits permettant aux collectivités locales d’économiser de l’eau, pour inclure les handicapés sur les chantiers événementiels et musicaux, et surtout pour valoriser les urines et la transformer, demain, en engrais agricole. Nous ne les évaluons plus simplement sur ce qu’elles font en matière de RSE, mais nous engageons les équipes pour qu’elles prennent un leadership et deviennent l’acteur qui innove sur leur métier. S’il y a un leadership, s’il y a une gouvernance, des capex, de la R&D, des équipes, de l’engagement, notre regard d’investisseur change. Les ETI, sociétés de niche, peuvent prendre ce leadership.

Carol Xueref : La transition peut être financée. On constate d’ailleurs plusieurs émissions obligataires sous forme de green bonds.

Patrick Bertrand : Comme je l’évoquais, la question se pose pour attirer les financements, mais aussi pour le recrutement des talents. Le/la jeune ingénieur/e a-t-il/elle envie d’aller travailler aujourd’hui dans une grande compagnie pétrolière qui n’aurait pas de stratégie en matière de réduction d’empreinte carbone et/ou d’énergies renouvelables ? Celle qui s’est engagée dans un programme massif d’investissement dans les énergies renouvelables pour progressivement transformer son business sera bien plus attractive. L’engagement de l’entreprise irradie l’ensemble des parties prenantes.

Stanislas de Laporte : La transition n’implique pas de se transformer du jour au lendemain. Les émetteurs de CO2 ont aussi une responsabilité sociétale. Un pétrolier ne peut arrêter de produire de l’essence du jour au lendemain. De même, le producteur de charbon au Brésil ne peut pas éteindre sa centrale du jour au lendemain sans mettre en péril toute sa région. La transition doit être enclenchée avec sérieux, avec un objectif zéro CO2 à 2050 et des étapes intermédiaires. Je rappelle par ailleurs que la durabilité n’est pas qu’une question environnementale, même si du point de vue des investisseurs la problématique est centrale.

Carol Xueref : Je partage votre opinion. Si on ne peut plus construire ou réparer les routes, c’est toute la société civile qui serait impactée. Mais le BTP doit investir pour que, demain, son bitume ait un bilan carbone neutre en utilisant par exemple des liants végétaux et des matériaux recyclés. De la même façon, les groupes produisant du ciment font des efforts importants pour parvenir à se passer de clinker pour obtenir une diminution importante de rejets de CO2. La rupture ne doit donc pas être brutale, mais respecter l’évolution des espèces, pour citer Darwin.

Patrick Bertrand : L’entreprise qui investit massivement dans cette transition et se fixe des objectifs bien plus ambitieux que ses concurrents en termes de calendrier, doit être jugée plus performante que ses concurrents. Même si son résultat apparent ne l’est pas, au regard des anciennes façons d’évaluer la performance des entreprises. Il y a donc un gros travail de pédagogie à mener, notamment auprès des analystes, des journalistes financiers, des actionnaires qui commentent les résultats. Quand bien même l’entreprise aurait exprimé des intentions élevées en assemblée générale pour devenir « propre » en X années, avec un impact sur son résultat financier compte tenu des investissements à réaliser, il est encore à craindre que ses performances soient mal évaluées par rapport à ses concurrents qui n’auraient pas la même stratégie d’investissement. La rentabilité affichée immédiate continue à concentrer les intérêts même si nous sommes aujourd’hui clairement sur une tendance forte pour apprécier cette performance affichée en prenant en compte les critères de durabilité et de long terme. La récente modification du code Afep-Medef va dans ce sens en ce qu’elle recommande une présentation des objectifs devant l’assemblée générale. Le rapport annuel doit préciser les objectifs concrets de l’entreprise, s’ils ont été atteints ou pas, dans quel calendrier, etc. Le schéma sera alors vertueux car les commentateurs auront toute la matière pour analyser correctement la performance.

CRÉER L’ÉNERGIE DU CHANGEMENT

Patrick Bertrand : Pourquoi certains acteurs de l’économie sont-ils parfois accusés de greenwashing ? En réalité, c’est bien parce que peu d’actes réels sont menés par l’entreprise qui a choisi d’afficher une forme de raison d’être, un semblant de stratégie, sans y associer des objectifs concrets, des moyens financiers et les étapes pour y parvenir. Dans ce cas, la sanction est inévitable.

Fanny Letier : Les critiques se sont focalisées sur les groupes qui avaient annoncé des objectifs extrêmement larges. Le retour de bâton a alors été rapide. Des objectifs concrets doivent être reliés directement au métier et à la stratégie de l’entreprise. Il faut partir de ce que l’on est et de ses atouts pour ensuite définir comment on peut contribuer à l’un des objectifs du développement durable de l’ONU. GENEO Capital Entrepreneur a inscrit sa raison d’être dans ses statuts qui contient neuf objectifs statutaires que nous sommes en train de décliner en objectifs opérationnels. Nous avons un comité de parties prenantes, qui rend un avis chaque année à notre assemblée générale sur la façon dont nous mettons en oeuvre notre raison d’être. Dans l’ensemble des sociétés dans lesquelles nous investissons, nous n’imposons pas forcément la définition d’une raison d’être, mais elles doivent avoir un plan d’impact positif comprenant un à trois objectifs de développement durable, entre cinq à dix actions à mettre en oeuvre dans un calendrier précis. On essaye de mixer les gains rapides et les actions de long terme pour créer l’énergie du changement dans l’entreprise. Pour les accompagner, deux personnes sont totalement dédiées à chaque participation pour leur apporter la méthode et l’expertise dont elles ont besoin pour mettre en mouvement les plans, et pour qu’elles soient capables de communiquer sur les jalons. La transition impose une constance dans les objectifs et une agilité dans les moyens.

Carol Xueref : La prochaine mise en place d’un reporting harmonisé de durabilité va sans doute clarifier un peu plus ce qui relève du greenwashing ou d’une véritable progression, dans le temps, des engagements pris par l’entreprise. Plusieurs régulateurs sont en train de réfléchir sur le sujet du reporting ESG. Il me semble compliqué dans un premier temps pour les entreprises de suivre toutes ces réglementations et d’être compliant sur le plan international.

Patrick Bertrand : C’est même inquiétant ! L’ultra réglementation pour préciser en détail la façon de définir et calculer les critères et KPI’s d’écoresponsabilité n’est pas souhaitable. Je crains cette transformation d’un débat essentiel en moyen politique, comme ce qui a été fait en matière de taxonomie lors des débats entre la France et l’Allemagne pour savoir si le nucléaire était « propre » ou pas. La réglementation peut/doit imposer l’affichage des objectifs de réduction d’empreinte carbone (objectifs, suivi, moyens, calendrier), sous peine de sanction. Mais il me semble dangereux qu’elle précise aussi la nature des détails d’affichage, tant le monde économique est divers en termes d’activité et de modèles de business.

Fanny Letier : Sur tout le volet réglementaire, nous conseillons aux entreprises de s’équiper de conseils pour réaliser leur déclaration de performance extra-financière ou pour rédiger quelle est la trajectoire climat adoptée. Il serait dommage que toute l’énergie de l’entreprise soit concentrée sur des enjeux défensifs, pour rendre des comptes, alors que la transition se fera plus rapidement si chacun joue sur ses points forts pour être apporteur de solutions. Aujourd’hui, on a surtout besoin d’innovation. Et c’est bien sur cela que le financement doit se concentrer : le financement de l’innovation, des capex et, plus globalement, l’accompagnement de ces transformations de business models.

Stanislas de Laporte : Les entreprises ne sont pas jugées de la même manière suivant leur secteur. Certaines initiatives comme le Climate Action 100+ visent uniquement les plus gros émetteurs. Comprendre quelles sont les attentes des investisseurs, les systèmes de notation interne et externe, est aussi une manière de progresser pour les entreprises, notamment pour aller chercher le financement nécessaire.

Fanny Letier : Préserver du temps et des moyens d’investissement pour ces sujets-là, va être un vrai challenge pour la gouvernance d’entreprise et pour les équipes dirigeantes. Une organisation doit être pensée par l’entreprise pour se focaliser sur les enjeux d’innovation les plus différenciants, lui permettant de réconcilier performance et sens.

Patrick Bertrand : Le corpus réglementaire qui s’est mis en place est très compliqué, mais il ne doit pas effrayer les entreprises. L’important est de définir une stratégie et de démarrer réellement sa mise en oeuvre. Les entreprises et organisations ne doivent pas se contenter de cocher les cases compliance, sans chercher l’effectivité des actions menées en matière de durabilité.

Fanny Letier : La durabilité est une chance. Et c’est peut-être celle de l’Europe, nous ne devons pas passer à côté. Nous pouvons recréer des avantages comparatifs très différenciants dans le monde, parce que la culture européenne, la façon dont les dirigeants vivent l’entreprise en responsabilité et la capacité d’innovation de nos entreprises, sont des atouts importants. Si l’on sait saisir ce mouvement, on pourra reprendre le leadership. La question clé, c’est celle du temps et du long terme. L’investissement evergreen est bien plus développé en Amérique du Nord et en Asie, les fonds souverains et les plans stratégiques des gouvernements sont beaucoup plus longs qu’en Europe qui est passée, depuis quelque temps, dans une économie et une politique court-termiste. Il est urgent de rallonger l’horizon de réflexion des acteurs publics et privés.

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