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« Pour financer le rebond des PME et des ETI, il est temps de penser au financement obligataire »

Didier Bruère-Dawson, Arnaud Moussatoff, associés, et Louis Gibon, avocat du cabinet Brown Rudnick, dressent les différentes voies à étudier pour trouver des liquidités et financer le rebond.


En tant que conseils, comment travaillez-vous à sauvegarder la trésorerie de vos clients et à réfléchir sur la fin du confinement ?


La crise est marquée par un arrêt massif des activités économiques, avec une chute simultanée de l’offre et de la demande unique dans l’histoire. On le voit bien au constat de la diminution drastique de toute la logistique des transports routiers, maritimes et aériens de marchandises encore aujourd’hui, sauf une bulle récente de transports maritimes et aériens au départ de la Chine. Il s’agit d’une situation unique, car c’est une mise en sommeil qui ne résulte pas d’une crise industrielle ou financière. Les dirigeants et leurs conseils travaillent donc à la sauvegarde de la trésorerie des entreprises le temps du confinement et pour financer la reprise et ses éléments de complexité. Cette trésorerie est devenue l’enjeu prioritaire pour assurer la survie pendant le confinement et pour préparer la relance de l’activité avec des forces intactes. Cela passe par un suivi et la discussion avec nos clients de toutes les chaînes d’approvisionnement ainsi que de distribution, la revue de tous les accords qui font la vie de l’entreprise, en ce compris, évidemment, les relations de travail et pour assurer le maintien de l’emploi. 


Parmi les mesures déployées par les gouvernements en France et ailleurs, il y a un corps très vaste de mesures chaque jour améliorées qui concernent aussi l’accès à des financements à prix coûtant et exceptionnels que nous discutons également avec les clients. Une des mesures phare du dispositif de financement des entreprises est évidemment la mise en place du PGE. Il a pour l’instant et pour l’essentiel et, sauf exceptions médiatisées, profité aux TPE et PME. Les grands groupes avaient, avant la crise, constitué des réserves importantes en profitant de conditions de financement très avantageuses. Cela étant et, par-delà les délais records d’accusés de réception des dossiers, l’obtention du PGE s’avère être un exercice souvent plus complexe qu’attendu, en partie du fait des conditions d’éligibilité et de bénéfice effectif de la garantie de l’État et malgré les directions données par les pouvoirs publics, ainsi que l’assouplissement relatif aux règles européennes, encore objet de travaux pour les entreprises en difficulté. Il faut - pour gérer de façon efficace ces difficultés lors des négociations aux côtés des clients - comprendre les questions posées par les prêteurs bancaires qui voient, en France comme ailleurs, toutes les limites des business plan dans les circonstances présentes, alors qu’on parle déjà de la deuxième vague du Covid-19.


Quoiqu’il en soit, pour imparfait que soit le système en ce que nombre de questions restent posées - comme celle des marges dans les éventuelles périodes d’extension de la ligne de crédit ou pour la part non garantie par l’État -, pour indéniables que soient frustrantes certaines résistances à l’octroi de ces prêts, le dispositif est une partie de la solution pour les entreprises qui pourraient se trouver dans une impasse de trésorerie. Beaucoup d’ETI vont avoir un plus grand besoin de liquidités dans les semaines à venir, car la remise en marche de l’appareil sera un exercice complexe alors que nombre d’entre elles feront face à l’échéance des NEU CP.


Enfin le rôle du conseil est aussi de rappeler que, à la fin du confinement et de la suspension des obligations posée par les ordonnances de mars et avril 2020, viendra le temps de payer les échéances de bail, de financement etc., reportées, que rajouter de la dette à la dette n’a de sens que si l’on cerne la documentation existante et le plan industriel à travailler, fut-ce avec des caveat.


Comment gérez-vous la question des engagements financiers préexistant à la crise et ceux à venir ? 


Les effets des difficultés sont suspendus, mais il faut travailler ensemble - créanciers, débiteurs, conciliateurs et conseils - à la sortie du confinement, aux investissements et au rebond. L’horizon de la fin de la « période juridiquement protégée » organisée par les ordonnances de mars et avril 2020 impose d’abord d’anticiper les défaillances au vu des covenants financiers. Sans que le cours des obligations ne soit suspendu, il est temporairement interdit de tirer les conséquences d’un défaut d’exécution dans un délai expirant pendant cette période et pour nombre d’obligations. Le non-respect d’une échéance due pendant la période protégée ne peut donc pas être sanctionné par la déchéance du terme. Mais attention, seules les clauses sanctionnant une inexécution du débiteur sont concernées, de sorte que le non-respect d’engagements qui dépendent de paramètres exogènes au débiteur pourrait potentiellement continuer à être sanctionné.


À l’issue du sursis laissé au débiteur, les clauses dont les effets étaient paralysés produiront en tout état de cause à nouveau leurs effets. Le débiteur devra alors être en mesure de régler les échéances impayées pendant la période protégée qui s’ajouteront aux échéances suivantes, en ce compris, le cas échéant, les échéances de PGE, de même qu’il devra respecter ses ratios financiers, sous peine de s’exposer à une prise de contrôle par les créanciers entrés sur le marché depuis la précédente crise et alors que le marché de la dette court terme va évidemment repartir. 


Après les mesures d’urgence de trésorerie, il apparait donc indispensable que les entreprises mettent en place, le plus tôt possible et en profitant de la situation, dans un cadre préventif, les mesures appropriées pour réaménager leurs engagements et adapter leur structure de coût aux prévisions d’activités aléatoires. Il y a alors plusieurs contraintes à prendre en compte. Réussir tout d’abord à composer entre différentes typologies de prêteurs coexistant dans nombre de dossiers, que ce soit les banques ou les prêteurs alternatifs, qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes et n’ont pas forcément la même approche des pratiques de marché. Quoiqu’il en soit et vu les délais de discussion, il faut réagir pendant la période de confinement - en tout cas avant août 2020 - pour restructurer ses dettes et réfléchir, en particulier lorsqu’on ajoute de la dette à la dette.


Certes, la plupart des prêteurs alternatifs aux créanciers bancaires n’ont pas actionné, même à titre conservatoire et pour d’évidentes raisons légales et de circonstances, les clauses de bris de covenants. Cela étant, il apparaît acquis que l’économie va devoir vivre avec le Covid-19 pendant 12 à 18 mois et revoir ses modèles. Cela implique que des investissements seront nécessaires là où le financement du fond de roulement par l’affacturage ou les Dailly est compromis pour un temps, faute de chiffre d’affaires, et là où les financements resteront difficiles à obtenir faute de certitudes. Le bris des covenants trouvera alors - et quand les business plans seront tirés - sa place dans la discussion entre créanciers (fonds de dette, Euro PP et unitrancheurs, etc.) et débiteurs. Pour les créanciers comme pour les débiteurs il faut l’anticiper maintenant. À ce titre, il est temps de penser pour financer le rebond des PME et des ETI au financement obligataire. Certes il a pour d’évidentes raisons ralenti quelques semaines. Mais l’Europe, après avoir participé au financement du chômage partiel en Italie et en Espagne (projet SURE), cassé tous les codes de l’endettement et des critères de Maastricht, a mis les 12 et 18 mars sur le marché plus de 870 milliards de programmes de rachat d’actifs et, dans les 15 jours suivant, il y eut pour plus de 80 milliards d’émissions pour les entreprises bien notées. Donc pour les grandes entreprises ETI et PME, il y a et aura des voies au financement d’un rebond qui passera par un travail de fond avec les conseils sur les nouveaux modèles et aux côtés des prêteurs. 

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