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LES START-UP AU RÉGIME SEC

Après deux années d’euphorie et des tours de tables vertigineux, l’atterrissage est brutal pour les pépites de la French Tech habituées à être courtisées par les VCs et à brûler du cash sans quasiment rendre de comptes.

LA FERME URBAINE AGRICOOL, la pépite des objets connectés Sigfox, le spécialiste des potagers d’intérieurs Prêt à Pousser, la start-up de quick commerce Kol, la biotech Deinove… Autant de jeunes pousses prometteuses placées en redressement judiciaire dans les 12 derniers mois. D’autres sont directement liquidées sans passer par la case RJ comme l’Airbnb du voyage d’affaires MagicStay ou la néobanque Vybe dédiée à la génération Z. De fait, le tarissement du robinet prolifique des financements combiné à la dégradation de l’environnement économique global fragilise un écosystème par définition plus vulnérable. « La difficulté à trouver de nouveaux financements a précipité les difficultés de jeunes pousses dépendantes des levées de fonds pour survivre », confirme Joanna Rousselet, associée de l’administrateur judiciaire Abitbol & Rousselet, qui a vu affluer de nouveaux dossiers depuis cet été.

Des défaillances en forte hausse

S’il est difficile d’évaluer la surmortalité dans les rangs des start-up depuis le second semestre 2022, il est incontestable qu’elle suit le même trend, voire dépasse la tendance des défaillances globales recensées dans l’hexagone. Or le bilan annuel d’Altares sur les entreprises en difficultés fait ressortir une hausse des procédures collectives de près de 50 % en 2022 avec 42 500 défaillances enregistrées sur l’année dont 30 % uniquement au quatrième trimestre. « Si le cataclysme n’a pas eu lieu en 2022, le rythme est plus soutenu qu’envisagé, faisant craindre un retour aux valeurs d’avant crise plus tôt que prévu. 2023 pourrait dépasser le seuil de 2019 et nous ramener aux valeurs de 2017, audelà de 55 000 », analyse Thierry Million, directeur des études Altares. En amont des procédures collectives, l’amiable a également connu un afflux inédit de dossiers. D’après les statistiques du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), le nombre d’ouvertures de procédures de prévention a augmenté de 35 % sur le second semestre et 26 % sur l’ensemble de l’année 2022 pour atteindre un total de 7 172 dont 4 731 en mandat ad hoc et 2 441 en conciliation. Les ouvertures de procédures de prévention atteignent ainsi leur plus haut niveau depuis la création de l’Observatoire du CNAJMJ. « 83 % des procédures de prévention ouvertes depuis le début de l’année 2022 concernent des entreprises de moins de 10 salariés », précise le rapport qui ne permet pas de distinguer les PME/ TPE conventionnelles de leurs consoeurs start-up.

Tarissement des financements

Après deux années d’euphorie et des tours de tables vertigineux, l’atterrissage est donc brutal pour les pépites de la French Tech habituées à être courtisées par les VCs et à brûler du cash sans quasiment rendre de comptes. Le tarissement des financements s’est surtout fait sentir au troisième trimestre 2022 après un début d’année encore marqué par des levées stratosphériques comme celles de la fintech Qonto (486 M€), de l’éditeur de logiciels Ecovadis (478 M€) ou de la place de marché Back Market (450 M€). Ainsi, les start-up françaises ont récolté plus de 13,5 Mds€ en 2022, selon le baromètre capital-risque d’EY, en hausse de 17 % en valeur par rapport à 2021. Mais l’année fut complètement asymétrique comme le souligne le rapport : après avoir bondi de 63 % au premier semestre, les fonds levés ont reculé de 21 % lors du second. « Déjà palpable ces derniers mois, le changement de paradigme en cours devrait se confirmer, pronostique Franck Sebag, associé en charge du secteur Fast Growing Companies chez EY. Concrètement, l’heure de l’hyper croissance est en train de laisser place à la sobriété des investissements mais surtout au retour en force de la profitabilité comme indicateur principal de performance. » Exit donc les start-up ayant perdu pied avec la réalité, et les scale-up ayant oublié la finalité ultime d’un business model rentable. Après avoir atteint un pic fin 2021 à 3.100 Mds$, la valorisation du secteur européen de la tech est tombée à 2.700 Mds$ début décembre 2022, d’après le rapport annuel « State of European Tech 2022 » du fonds de capital-risque britannique Atomico. 400 Mds$ de valorisation se sont donc évaporées en l’espace d’une petite année. Autant dire que les VCs échaudés par le dégonflement de la bulle ne sont pas très enthousiastes à l’idée de remettre au pot pour un énième tour. Les annonces de licenciement des licornes stars qui ont été acculées à réduire la voilure ont d’ailleurs défrayé la chronique, d’abord outre-Atlantique puis sur le continent européen. Depuis le début de l’année, plus de 14 000 employés de start-up européennes ont perdu leur emploi, ce qui représente 7 % de tous les licenciements tech dans le monde. Trois ans après avoir été propulsée licorne avec une levée de 230 M$, la start-up spécialisée dans la soustraitance photographique Meero a annoncé fin 2022 le licenciement de 72 salariés, un changement de p-dg et de business model pour espérer se rétablir d’un « covid long » qui a brisé son élan de croissance. D’autres ont au contraire boosté leur activité grâce à la crise sanitaire, mais se sont cassé les dents depuis, comme le pionnier français du circuit court alimentaire « La Ruche qui dit Oui ! » qui vient d’annoncer une refonte de sa stratégie et une cinquantaine de licenciements, soit la moitié de ses salariés.

Procédures amiables

Mais parfois, il ne suffit pas de couper dans les effectifs et réduire les coûts pour retrouver une bulle d’oxygène. S’il reste encore insuffisamment connu des dirigeants de start-up, l’arsenal des procédures préventives peut être un recours salvateur pour peu que les jeunes pousses s’en saisissent à temps. « Il y a une récente prise de conscience de l’écosystème des start-up de l’intérêt des procédures amiables pour anticiper les difficultés », se félicite Joanna Rousselet, de plus en plus sollicitée pour faire de la pédagogie dans les pépinières et autres incubateurs. « Les dossiers de start-up sont généralement peu adaptés aux procédures de redressement judiciaire et sauvegarde car elles ont un besoin vital de new money », poursuit l’administratrice judiciaire. Si l’état de la trésorerie n’est pas trop dégradé, les procédures amiables, et la conciliation en particulier, plus rapide que le mandat ad hoc tout en préservant la confidentialité du dossier, sont en mesure de trouver des solutions de financement et de négocier des accords avec les actionnaires. Plutôt que de perdre entièrement leur mise en précipitant la faille de leur participation, les VCs peuvent ainsi se laisser convaincre de remettre au pot sous forme de « bridge » protégé par un privilège de « new money » en attendant que l’entreprise soit en mesure d’organiser un nouveau tour de table. « La conciliation offre une multitude d’instruments, plaide Joanna Rousselet. Elle permet de négocier un moratoire fiscal et social avec les créanciers publics, de lever des financements adossés aux stocks quand l’entreprise en dispose, et surtout pour une start-up qui s’appuierait sur une R&D importante, le paiement immédiat du Crédit Impôt-Recherche que la loi prévoit dès l’ouverture de la conciliation. »

Le plan de cession en dernier recours

Même si elle n’est pas spécifiquement adaptée aux particularités de ces jeunes pousses parfois sans revenus, la boîte à outils du système de prévention français a fait ses preuves dans la recherche de solutions pérennes quand le modèle de développement est viable. « Ce qui manque surtout, ce sont des acteurs capables d’apporter des financements aux start-up en difficultés », déplore Joanna Rousselet. Faute de fonds de retournement dédiés, les industriels restent la seule piste d’adossement quand les VCs historiques jettent l’éponge, mais leurs process de décision sont trop longs pour secourir une entreprise exsangue et à court de cash dans les trois mois. Le plan de cession peut alors devenir la seule issue pour sauver l’activité de l’entreprise délestée de sa dette. Ce fut le cas pour la ferme urbaine Agricool, qui cultive fraises, salades et herbes aromatiques dans des conteneurs en Seine- Saint-Denis, placée en redressement judiciaire début 2022 et reprise pour 50 000 € en juin dernier par Vif Systems, une société lyonnaise qui conçoit des containers, fermes et armoires de culture, alors qu’elle avait levé plus de 35 M€ depuis sa création en 2015. Ou encore de l’ancienne pépite de l’internet par les objets Sigfox qui a levé 277 M depuis sa création en 2010, et dont les actifs ont été repris au printemps par le singapourien UnaBiz pour 3,3 M€…

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