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Un retournement de petit calibre pour Verney-Carron ?

Placé en procédure de sauvegarde en septembre 2021, le manufacturier d’armes stéphanois a intégré, en mars 2022, le giron du spécialiste coté de tir de loisir Cybergun, qui a investi de nouvelles munitions dans les fusils de chasse et les armes de petits calibres.

Une légende urbaine, ou plutôt rurale, murmure que chaque famille de chasseurs français a un Verney-Carron dans son coffre… Créé en 1820, le plus ancien fabricant français d’armes de chasse basé à Saint-Étienne a pourtant failli disparaître. À l’image du déclin de l’industrie stéphanoise, le manufacturier n’a pas su s’adapter aux évolutions de son marché et s’est sclérosé dans une transmission dynastique dont la sixième génération, incarnée par Jean Verney-Carron et son cousin Guillaume Verney-Carron, a clôturé le bicentenaire de l’actionnariat familial par une procédure de sauvegarde ouverte en septembre 2021 auprès du tribunal de commerce de Saint-Étienne. « Cela faisait plus de deux ans que j’avais Verney-Carron en ligne de mire », confie Hugo Brugière, le jeune président du groupe de tir de loisir Cybergun, qui a repris le fabricant d’armes en mars 2022. Il faut dire que le trentenaire est spécialisé dans la reprise d’entreprises en difficulté, via son groupe coté, qui sort à peine la tête de l’eau après des années de pertes accumulées et un parcours chaotique sur Euronext Growth. Il a affiché en 2021, et pour la première fois depuis huit ans, un résultat opérationnel courant positif et a fortement réduit sa perte nette. Issu de l’univers des répliques d’armes à feu pour le tir de loisir, le groupe repris par Hugo Brugière en 2014 poursuit son virage vers le secteur de la défense conforté par la reprise du manufacturier aéronautique et de défense Valantur fin 2021.

Relancer les armes légères

Le spécialiste de la vente et de la distribution de répliques d’armes « airsoft » – qui tirent des billes en plastique – veut ainsi faire de la PME stéphanoise le fer de lance de son repositionnement sur le marché militaire. Si la candidature de Cybergun à la reprise de Verney-Carron a été présentée avant la guerre en Ukraine, le déclenchement du conflit aux portes de l’Europe n’a fait qu’affermir la volonté du dirigeant de « sauver » la dernière fabrique d’armes de petit calibre française. D’ailleurs, fin novembre 2023, Verney-Carron a annoncé en grande pompe avoir décroché un contrat d’armes légères avec l’Ukraine. L’affaire est loin d’être encore bouclée, mais l’armée ukrainienne voudrait lui commander 10 000 fusils d’assaut VCD-15, 2 000 fusils de précision VCD-10 et 400 lance-grenades pour un montant de 36 M€. Un contrat faramineux pour la PME exsangue dont le chiffre d’affaires avait fondu de 7,9 M€ à 5,3 M€ entre 2021 et 2022. Son activité fusils de chasse a ainsi particulièrement souffert en France depuis mars 2020 en raison des périodes de fermeture des commerces non essentiels impactant les armuriers et vendeurs d’articles de chasse, tandis que son département Sécurité a quant à lui été affecté ces dernières années par la perte du marché du ministère de l’Intérieur pour les Flash-Ball®, dont l’entreprise stéphanoise était le fabricant. 

Sanctuariser les armes de chasse

Pour trouver des relais à son marché historique du fusil de chasse qui s’essoufflait, Verney-Carron avait pourtant tenté sa chance à plusieurs reprises sur des compétitions militaires françaises lancées par la DGA (Direction générale de l’armement). En 2016, il n’avait pas pu participer à l’appel d’offres du remplacement du célèbre Famas, faute d’atteindre le seuil minimal de 50 M€ de chiffre d’affaires. La DGA avait finalement choisi le HK416 du fabricant allemand Heckler & Koch pour ce contrat géant, qui prévoyait la livraison de 117 000 fusils de 2017 à 2028. Rebelote trois ans plus tard, sur une compétition pour 2 620 fusils de précision, destinés à remplacer les fusils FR-F2 des forces françaises. En décembre 2019, la DGA officialisait le choix du fusil SCAR-H PR de l’industriel belge FN Herstal, au détriment du VCD 10 de Verney-Carron. « En reprenant Verney-Carron, j’avais la conviction qu’il fallait aller sur le marché de la défense car la France a besoin de garder sur son sol la fabrication d’armes légères », affirme, avec un patriotisme à l’accent sincère, Hugo Brugière.

Mais le patron de Cybergun ne compte pas seulement miser sur le marché militaire pour redresser l’entreprise. Le spécialiste de la reprise des entreprises en difficulté veut redorer le blason de Verney-Carron sur les fusils de chasse, dont le réservoir de croissance est loin d’être épuisé. « Comme beaucoup d’entreprises centenaires qui n’ont pas su se renouveler, l’armurier s’est reposé sur ses lauriers et n’a pas investi dans l’innovation et la modernisation de ses produits, perdant ainsi en compétitivité d’année en année », analyse Hugo Brugière, qui assure avoir investi 8 M€ sur les fonds propres de son groupe pour le redressement de la PME stéphanoise. « La France compte encore un million de chasseurs rejoints par 30 000 à 40 000 adeptes de ce loisir chaque année, tandis que Verney-Carron vend 7 000 armes de chasse par an. Le potentiel de croissance est immense », démontre le patron de Cybergun, qui veut dépoussiérer la marque et investir dans la R&D et le marketing. En septembre dernier, Cybergun a ainsi annoncé un nouvel accord de distribution avec Rivolier, l’une des plus anciennes entreprises françaises spécialisées dans la distribution d’équipements de chasse et de tir, qui dispose de plus de 550 points de vente sur tout le territoire. L’objectif de cet accord est d’atteindre 7 M€ de chiffre d’affaires en 2026. Le repreneur espère faire renouer rapidement Verney-Carron avec son chiffre d’affaires normatif d’une dizaine de millions d’euros, mais affiche de grandes ambitions à terme en incluant les marchés militaires d’armes légères. « L’objectif est de faire monter la capacité de production de l’usine à 100 000 armes par an en cinq ans, ce qui équivaudrait à terme à une centaine de millions d’euros de chiffre d’affaires », calcule le sémillant patron trentenaire. Cybergun évoque notamment la création de plusieurs dizaines d’emplois, en lien avec le CAP d’armurerie dispensé au lycée professionnel Benoît-Fourneyron, à Saint-Étienne, pour étoffer les rangs de la PME labellisée Entreprise du patrimoine vivant, qui compte 75 salariés et devrait réaliser un chiffre d’affaires d’environ 8 M€ en 2022.

 

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