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Vertbaudet, primé pour avoir actionné tous les leviers du retournement

La 11e édition du Prix Ulysse a récompensé l’enseigne de distribution spécialisée pour avoir réussi à structurer son redressement au cours des dernières années, en explorant tous les canaux d’intervention à sa disposition. Une situation qui fait presque figure d’exemple à suivre aux yeux des membres de l’Association pour le retournement des entreprises. Entretien avec Thierry Grimaux et Serge Pelletier, membres du comité Prix Ulysse de l’ARE.


« En créant le Prix Ulysse, il y a onze ans, les membres de l’ARE souhaitaient mettre en lumière des sociétés qui étaient parvenues à se redresser, alors que le retournement demeurait un sujet un peu tabou et, il faut bien le dire, tout sauf glorieux. Avec Vertbaudet, cette année, la preuve est une nouvelle fois faite qu’il convient non seulement de saluer de tels parcours quand ils sont couronnés de succès, mais aussi de faire savoir au plus grand nombre qu’il est possible de se tirer d’affaire, en détaillant comment procéder », résume Thierry Grimaux, associé du cabinet de conseil Valtus et membre de l’association. Bien que décerné à l’occasion d’un événement 100 % digital – crise sanitaire oblige –, le Prix Ulysse 2021 aura donc pleinement rempli sa mission. Comme le confirme Serge Pelletier, associé du cabinet d’avocats Rescue et également membre de l’association : « Le retournement constitue une aventure humaine autour de personnes qui se sont retroussé les manches pour sortir la tête de l’eau. Il est nécessaire de saluer ce type de parcours, d’autant qu’il est rare qu’il se termine par une nouvelle success story. »


Trois entreprises avaient été passées au crible par les membres de l’ARE et présélectionnées sur dossier pour cette nouvelle édition : l’enseigne de vente de vêtements pour enfants, donc, mais aussi ASI Innovation, société d’ingénierie active dans l’aéronautique créée en 2010, et Côte, expert du génie électrique et des automatismes présent dans l’industrie, l’énergie et le tertiaire. C’est ce trio que le jury – composé de professionnels du retournement, des présidents des trois dernières sociétés lauréates du Prix, d’experts du monde de l’entreprise et du Secrétaire général du Ciri – a eu pour mission de départager lors de ses délibérations. « Avec des profils différents, les trois sociétés en lice ont connu une même situation : être plongée en enfer avant d’identifier et de mettre en œuvre les conditions du retour au succès », pointe Thierry Grimaux. Avec, dans le cas précis de Vertbaudet, un point essentiel : toutes les parties en présence (actionnaires, banquiers, etc.) ont accepté de jouer le jeu pour lui permettre de renouer avec des jours heureux.


Conciliation, PSE, etc.


Mais les points à mettre au crédit de l’ancien vépéciste ne s’arrêtent pas là. « Ce dossier est un exemple de la façon dont il est possible d’utiliser les procédures juridiques dont nous disposons en France¸ relève Serge Pelletier. D’abord, une période de conciliation a permis à Vertbaudet de mener une véritable restructuration sur le plan financier, car ses engagements étaient trop lourds au vu de ses capacités. Ensuite, il lui a fallu déployer des efforts énormes pour restructurer son modèle économique et effacer le handicap provenant d’un virage numérique mal négocié par celui qui avait connu des heures de gloire avec son catalogue papier. Ici, c’est un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui s’est avéré nécessaire, en parallèle de formations dispensées aux équipes pour migrer vers le digital et d’un travail considérable sur le dispositif de logistique. » Un plan en plusieurs volets, donc, qualifié d’« exemple topique et typique d’un retournement au sens de l’ARE » par les deux professionnels du retournement.


Il aura fallu quatre ans à Vertbaudet pour le déployer. Rien de moins. « Il faut particulièrement souligner le fait que l’entreprise a su enchaîner chaque étape de son retournement, année après année, en apportant la preuve qu’elle était en mesure de tenir ses engagements à chaque fois », pointent-ils. Engager des actions pour redresser la barre, certes, mais le faire de façon viable. Un deuxième aspect qu’il n’est pas toujours aussi fréquent de constater, puisqu’une démarche de retournement est loin d’être systématiquement couronnée de succès.


« Les entreprises que nous présentons dans le cadre du Prix Ulysse démontrent, année après année, qu’il faut cesser de se focaliser sur les entreprises en situation d’échec, en considérant qu’elles ne sont rien d’autre que le résultat d’un dirigeant qui a failli, insiste Serge Pelletier. Par le biais du Prix Ulysse, au contraire, nous célébrons ceux qui sont parvenus à tirer les leçons d’un échec et à dérouler une stratégie pour se relancer. Ceux-là mènent une aventure incroyable qu’il convient de mettre en avant. »


Nouvelle équipe fin 2015


À cet égard, l’histoire de Vertbaudet est riche en enseignements. Née en 1963, l’enseigne de vente par correspondance avait bâti une solide réputation dans l’univers de l’habillement et des équipements pour enfants. Au point de devenir une référence incontournable grâce à son catalogue papier. Le fait que l’entreprise ait rencontré des difficultés au moment de la montée en puissance d’Internet n’est certes pas un cas isolé en France. Bien qu’ayant ouvert son site en 1999, la marque n’avait pas suffisamment déployé ses efforts pour faire de la vente en ligne un atout sur lequel s’appuyer.


S’est ajouté à cela un marché en contraction, du fait de l’évolution des conditions démographiques, ainsi qu’une pression concurrentielle de plus en plus forte dans l’univers du textile. Résultat : l’entreprise qui avait été cédée par Kering au gérant de fonds Alpha Private Equity dans le courant de l’année 2013 a connu un ralentissement particulièrement marqué au cours des deux millésimes qui ont suivi, sur fond de dégradation conjoncturelle. Une situation qui a conduit au renouvellement de l’équipe de direction, avec l’arrivée de Thierry Jaugeas à la tête du groupe CVG – où Vertbaudet côtoyait une autre enseigne cédée par Kering : Cyrillus.


Le défi que la nouvelle équipe se devait de relever était de taille : le vépéciste a terminé l’année 2016 avec un endettement de 61 M€, tout en accusant un Ebitda négatif de 0,6 million. Désormais tiré d’affaire, il trace sa route en solo, sur de nouvelles bases.


Pas de recette "miracle", mais…


« La présence de deux PME dans le trio du Prix Ulysse 2021 illustre le fait qu’il n’y a pas de fatalité dans un processus de retournement et que les procédures dont nous disposons s’adaptent à tous les cas de figure », relève Thierry Grimaux. Un point qui résonne particulièrement à l’heure où nul ne saurait définir quand la crise générée par le Covid-19 prendra fin. Et bien que chaque situation soit unique et qu’il n’existe pas de recette "miracle", le chemin suivi par Vertbaudet pourrait être éclairant pour certains. « La rapidité et l’efficacité dont le groupe a fait preuve pour se digitaliser peut être un exemple à suivre pour certains acteurs présents dans le commerce ou les services », estime l’expert financier.


Et Serge Pelletier de poursuivre : « Pour les entreprises dont le passif s’est alourdi, du fait de l’accumulation des charges sociales et financières – y compris des PGE –, il sera difficile de solliciter les banques pour se relancer, surtout s’il n’y a pas d’apport d’argent frais. C’est là où mandats ad hoc, conciliations et sauvegardes seront particulièrement utiles pour mettre l’ensemble des parties en présence autour de la table. » Ce que les trois postulants au Prix Ulysse 2021 ont su faire, en somme. Au vu de l’ère inédite que nous traversons, nul doute qu’il y a ici matière à réflexion pour qui a vu sa situation financière se dégrader.


Par Charles Ansabère

Tribune

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