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Portrait - Olivier Duha

IL Y A QUELQUES SEMAINES, la fusion de Webhelp avec l’américain Concentrix Corporation a été annoncée au marché. L’opération donnera naissance à un nouveau leader mondial de l’expérience client. Avec Olivier Duha, PDG et co-fondateur, retour sur la success story du groupe français qui a su s’internationaliser à pas de géants.

Vous avez créé, il y a 23 ans, avec Frédéric Jousset, le groupe Webhelp. Quelle était votre ambition à l’époque ?

L’idée de départ était de créer un moteur de recherche à assistance humaine. Aussi innovant qu’il soit au début du nouveau millénaire, nous avons rapidement constaté que ce projet serait difficile à rentabiliser. Il nous fallait donc le faire évoluer. Nous avons alors récupéré l’intégralité de la chaîne de valeur qui avait été créée pour en faire une activité BtoB, et monter un centre de relations clients totalement digital. Nous nous sommes positionnés auprès des nouveaux acteurs du digital, à savoir les fournisseurs d’accès à Internet et les premiers sites d’ecommerce. Webhelp voulait être le partenaire des grandes marques pour les accompagner dans cette nouvelle économie du digital. L’offre du groupe a été construite autour de trois éléments différenciants. D’abord nous avons souhaité révolutionner le call center traditionnel en proposant aux consommateurs des canaux de communication on line, c’est-à-dire de l’e-mail management, du chat, des outils de selfcare. Nous avons rapidement pris conscience que les groupes allaient vivre une évolution très transformante de leurs outils de relation clients et leur avons donc proposé de faire remonter notre nouvelle technologie dans leur chaîne de valeurs, pour devenir un partenaire dans le design de leurs grandes marques. Nous avons rapidement recruté des consultants pour les accompagner. Le troisième différenciateur a été de penser que la ressource humaine, qui représente un coût important pour un groupe, peut être localisée un peu partout dans le monde puisque nous privilégions l’écrit à la voix dans nos canaux de communication. Nous avons été précurseurs dans cette approche du management très international. Aujourd’hui, notre positionnement a été enrichi, mais les trois socles d’origine perdurent. Nos clients sont amenés à nous demander des prestations de bout en bout parce qu’ils aiment cette logique de one stop shopping.

Comment avez-vous gardé votre capacité d’adaptation en atteignant aujourd’hui 130 000 salariés et bientôt plus demain ?

La première phrase du livre Founder’s mentality, rédigé par deux anciens consultants de Bain, était : « La croissance crée la complexité, la complexité tue la croissance ». Comment réussir à gérer une entreprise dans 60 pays avec 130 000 collaborateurs sans tomber dans le travers de la complexité, de la rigidité et donc de l’inertie ? La culture est essentielle pour ne pas perdre cette agilité, cet état d’esprit consistant à se réinventer en permanence. « Culture eats strategy for breakfast », disait Peter Drucker, le fameux professeur et consultant américain. Le garant de cette mentalité de bâtisseur est bien sûr le dirigeant. Il doit insuffler une cohérence entre le discours et la méthode, entre les intentions et ses actions au quotidien. Il incarne les piliers de la culture d’entreprise. Mais il ne suffit pas. Cette culture doit irradier l’ensemble de l’organisation et a donc besoin de relais, d’ambassadeurs qui partagent une certaine vision, des valeurs, et qui se sentent à l’aise dans le modèle culturel qui a été choisi. Je ferais un parallèle avec l’éducation dans une famille : à l’âge adulte, les enfants auront les réflexes naturels liés à l’éducation qu’ils ont reçue. La culture d’entreprise, c’est l’ADN du groupe, les réflexes qui doivent faire partie de chaque salarié. Dans toute aventure entrepreneuriale, c’est un élément déterminant de la capacité à industrialiser et à continuer à croître.

Webhelp a réussi à conserver cette culture d’entreprise alors même qu’une succession de fonds sont entrés au capital. Mais sans faire perdre au groupe cette âme du début…

Même lorsque l’entreprise était sous LBO, le management a toujours conservé un bloc très important des droits (entre 40 et 45 % selon les LBO). Aujourd’hui 50 % du capital de Webhelp appartient au management. L’entreprise a en outre toujours été dirigée par ses fondateurs, au début par Frédéric Jousset et moi et désormais par moi uniquement. Pour sélectionner les fonds avec lesquels nous voulions poursuivre l’aventure, nous choisissions des partenaires qui avaient plutôt envie d’avoir une place d’operating partners plutôt que d’actionnaires intrusifs. Il n’a jamais été question que l’un d’entre eux gère l’entreprise à la place du management. Le respect était mutuel, mais chacun à sa place. Si les fonds de private equity nous ont respectés en tant que fondateurs et managers, il est vrai de dire que nos chiffres et nos objectifs, toujours atteints, nous ont permis d’avoir leur confiance au quotidien. Il n’y avait donc aucune raison de changer l’ADN du groupe. Dans des cas très spécifiques, le management demandait au fonds de s’intéresser à un sujet ou à un dossier particulier. Lorsque nous sommes entrés dans une phase de croissance externe, j’étais bien sûr intéressé par bénéficier de leur expérience de build-up.

Comment avez-vous vécu cette phase de build-up successifs ?

Jusqu’en 2010, notre objectif était d’atteindre une position de leadership en France. À la fin de cette première décennie, nous avons cherché à européaniser l’entreprise. Charterhouse a alors été choisi comme partenaire. Le fonds britannique était alors quatre fois plus grand en taille que notre premier partenaire, Astorg. C’est sans doute ce cycle qui a été le plus déterminant par rapport aux différentes étapes que nous avons connues. C’était le début de cette phase de build-up et donc un moment clé dans la vie de notre société. Nous savions que nous devions passer à une autre dimension, mais il ne fallait pas se tromper. Après avoir grandi par croissance organique de façon efficace, nous devions allumer le deuxième moteur, celui de la croissance externe, sans que le premier s’affaiblisse. Charterhouse a été un partenaire fabuleux car il nous a aidés à avancer plus vite dans l’identification des cibles, dans l’analyse qu’il fallait en faire, dans les due diligences… Avec le bon partenaire, on peut aller plus vite et faire beaucoup mieux que ce que l’on avait espéré. Le LBO de KKR s’est ensuite inscrit dans la continuité de ce que nous avions forgé avec Charterhouse. L’objectif était de poursuivre cette croissance à l’international et particulièrement dans une stratégie de pénétration du marché nord-américain. Malheureusement, la période à laquelle nous avons travaillé avec eux était compliquée à cause du Brexit, de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, de la forte hausse du dollar… Au final, ce contexte exogène ne nous a pas permis de réaliser la stratégie prévue, mais nous avons réalisé d’autres objectifs grâce au soutien de KKR.

Vous avez finalement choisi GBL comme partenaire en 2019. Pourquoi ?

Lorsque GBL est entré au capital, Webhelp réalisait 1,5 Md€ de chiffre d’affaires et 200 millions d’Ebitda. Je souhaitais doubler sa taille, mais je ne voulais plus être tributaire de cycles d’investissement trop courts des fonds de private equity. J’étais donc ravi de pouvoir adosser le groupe à une structure très familiale et très entrepreneuriale, et bien sûr capable de s’investir dans la durée. J’ajoute que cette opération est aussi une histoire de rencontre. Notre groupe correspondait aux cibles visées par Ian Gallienne et notre entente personnelle a été importante. Je fonctionne encore beaucoup à l’affect et je crois que chaque opération avec un investisseur est une forme de mariage. Or depuis 2019, GBL est un formidable partenaire qui nous a conduits à signer un très beau deal transformant de consolidation. Dans une industrie qui continue à se consolider, j’avais pour objectif de continuer à étendre l’empreinte géographique de Webhelp. Après notre croissance menée en Europe, GBL nous a donné accès à l’Amérique latine et aux États-Unis.

GBL a notamment accompagné Webhelp pour son rapprochement avec l’américain Concentrix. Pourquoi ce deal ?

Le marché est en cours de consolidation. Peu d’entreprises vont dominer l’univers de la relation clients. La taille de Webhelp nous imposait de monter une marche de plus pour faire partie des leaders de demain, qui afficheront 10 millions d’euros de CA. Il nous fallait un deal transformant pour assurer la solidité, la résilience, la compétitivité de Webhelp. D’où cette fusion avec Concentrix qui devrait être finalisée d’ici la fin de l’année sous réserve de l’accomplissement des conditions habituelles de clôture, y compris les approbations des autorités de régulation. Le bloc de Webhelp – à savoir GBL, les fondateurs et les managers – réinvestit massivement. Nous devenons actionnaire de référence de l’ensemble qui restera coté au Nasdaq. Au regard des enjeux d’intégration, le groupe doit repenser sa gouvernance et sa façon de travailler. Bien sûr la fusion donnera lieu à un nouveau nom, mais nous nous inscrivons dans une continuité d’action car le management et les actionnaires gardent leur place dans l’histoire d’après. Avec Frédéric Jousset, vous avez formé un binôme durant de nombreuses années jusqu’à ce qu’il quitte son rôle opérationnel dans l’entreprise en 2020.

Comment avez-vous réussi à faire perdurer votre histoire si longtemps ?

Frédéric et moi avons des personnalités différentes, mais nous avons toujours été alignés sur la vision du groupe que nous avons monté ensemble, sur sa stratégie et sur les choix importants du quotidien. C’est une chance d’avoir eu une ambition commune et un esprit entrepreneurial que l’on a su faire vivre chacun à notre façon. L’exécution et l’implication se sont exprimées de manière différente. Je suis un passionné du business, Frédéric a développé d’autres centres d’intérêt. Pour nos actionnaires, nos clients et nos collaborateurs, nous avons séparé nos chemins au moment où GBL est entré au capital de la société.

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