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MEERO, l’étoffe d’un champion

Par Ondine Delaunay
Reportage photographique : Mark Davies

Présentée comme la sixième licorne française, Meero est une suite d’outils et de services utilisant l’IA afin d’améliorer la vie des photographes et développer leur activité dans le monde. Créée il y a un peu plus de trois ans, elle vient de lever 230 millions de dollars. Son PDG, Thomas Rebaud, témoigne de cette belle aventure à marche rapide.


Quelle est l’histoire de Meero ?


De manière générale, j’ai toujours été obsédé par l’innovation. Au début de l’année 2016, j’ai rencontré une personne qui travaillait dans le monde de l’art et je me suis alors intéressé à ce secteur avec l’ambition de créer une start-up visant à aider les artistes. Je me suis ensuite concentré sur le domaine de la photographie pour créer une plateforme d’outils et de services à destination des photographes. Six mois après, j’ai organisé un tour en seed dans lequel je suis parvenu à récolter 380 000 euros, en quatre semaines. C’était une belle performance ! J’avais une vision claire de mon projet et j’ai envoyé des mails à divers investisseurs. Un certain nombre de personnes m’a demandé des précisions et je leur ai alors expliqué mon projet et mes motivations. J’ai mené ces démarches seul, en préparant très sérieusement mon mail d’approche puis mon discours. C’était très artisanal. Tout s’est ensuite mis en place assez rapidement : des missions ont été signées, des employés recrutés, le chiffre d’affaires a commencé à croître. En juin 2017, nous avons levé 17 millions de dollars, puis un an après, 45 millions de dollars. Et nous venons d’annoncer la levée de 230 millions de dollars. Je m’étais fixé de respecter un rythme sain de levée de fonds, que j’avais constaté chez d’autres start-up, c’est-à-dire tous les 9 à 10 mois. Je suis assez optimiste et ambitieux dans mes objectifs de vie et professionnels. Ce qui peut être fait rapidement, je le fais. Je fixe des challenges élevés à l’entreprise et j’embarque tous les salariés dans mes projets. Ces levées de fonds régulières représentent un objectif palpable par toute l’équipe, et qui impose de dépasser certains seuils en termes de croissance, de nombre de photographes, etc.



60 % de vos revenus sont aujourd’hui réalisés aux États-Unis.  Est-ce un atout pour lever ?


Dans une série C, l’activité à l’international est indispensable pour parvenir à attirer les investisseurs. Tel n’est pas forcément le cas en seed ou en série A. Selon la taille du tour et donc de la valorisation de l’entreprise, le marché doit être suffisamment grand pour que les investisseurs se projettent. Ces derniers cherchent à multiplier leur investissement par cinq, voire dix. Ils doivent être convaincus d’y parvenir, ce qui passe par une analyse attentive des chiffres et de plans de développement auxquels ils doivent croire et adhérer. Dans les premiers tours, c’est surtout le fit avec l’entrepreneur qui prime. Passée une certaine taille, ce sont les métriques notre atout principal.



Au-delà de la technologie, les investisseurs ont aussi parié sur l’équipe. Comment la fidéliser ?


Nous misons d’abord sur une question de culture. Il faut que les salariés se lèvent le matin en étant heureux de venir travailler. Nous veillons donc à maintenir un environnement sympathique de travail. Une ambiance de guerre, mais surtout agréable et motivante. D’un point de vue financier, nous avons mis en place des stock-options pour une centaine de personnes. On en redonne après chaque tour. Les beaux profils doivent être intéressés au capital pour se battre à vos côtés. Plus les gens sont intéressés, plus ils ont l’impression d’être chez eux.



Les données clés

2016. L’année de création de la société par Thomas Rebaud.

600. Le nombre de salariés de l’entreprise de 49 nationalités différentes. L’effectif devrait doubler d’ici un an.

31 000. Le nombre de clients au niveau mondial.

Quels étaient vos objectifs en termes d’investisseurs ?


C’est toujours moi qui approche les fonds qui entrent au capital. J’opte pour des fonds ayant une taille suffisante pour participer au prochain tour. Je veille aussi à la personnalité du partner et je cherche à savoir si je pourrai m’entendre avec lui durant le temps où il sera au capital. Pour cette dernière levée, j’ai fait un pré-tour entre octobre et décembre 2018. J’ai pris le temps d’aller rencontrer de nombreux fonds, sans notes, sans tableau Excel, juste pour comprendre avec lesquels je m’entendais le mieux. Tous les fonds se connaissent et les portes s’ouvrent assez facilement. J’ai passé une semaine à New York et ils m’ont recommandé les uns aux autres. Le rôle des fonds est d’investir et donc ils sont toujours intéressés de rencontrer des patrons d’entreprises.



On parle de vous comme de la sixième licorne française. Est-ce que le mot start-up vous définit toujours ?


Il nous définit totalement. Nous innovons en permanence, via de la tech, sur un million de choses en même temps. Tout est nouveau, on essaye, on échoue, on recommence… C’est très différent d’un grand groupe, dans lequel les processus de décision sont plus lents, tout est mûri, réfléchi et débattu avant de lancer un plan de développement. La start-up, c’est la technologie, la rapidité et la réactivité. C’est une culture. Et Meero est en plein dedans.



Qu’allez-vous faire de ces liquidités ?


Plus de la moitié se focalisera sur la partie des revenus alloués aux photographes, notre but est de travailler avec le plus de professionnels possibles pour pouvoir effectuer le plus de missions. Ceci suppose d’ouvrir de nouveaux sujets de photographies et d’aller plus loin, dans plus de pays, plus de marchés pour avoir plus de clients. Nous comptons également poursuivre nos développements de solutions pour les photographes leur permettant de les aider dans leurs tâches administratives, la comptabilité, la relation clients, etc. Nous organisons également des masterclasses pour les aider à apprendre de nouvelles compétences, leur proposer des documentaires pour les inspirer et leur donner envie d’aller plus loin. Nous souhaitons enfin continuer à faire croître l’organisation mondiale de notre communauté en permettant aux photographes de se rencontrer.


Vos objectifs à terme : la bourse/ la vente ?


J’évite de me projeter sur des sujets qui, pour l’instant, ne font pas sens. Peut-être que Meero restera ainsi pendant 15 ans, peut-être qu’il faudra relever des fonds – soit en public, soit en privé. Quant au corporate venture, il ne m’effraie pas. Ce n’est pas parce qu’un grand groupe rachète une start-up qu’elle ne peut pas continuer à fonctionner de la même façon qu’avant. Tout dépend de la société qui achète. Il faut surtout veiller à garder les équipes en place.


Votre plateforme subit quelques critiques. Comment éviter d’être qualifié d’Uber de la photo ? Et d’ailleurs le faut-il ?


Le parcours d’Uber est impressionnant. Ils ont révolutionné le transport dans le monde entier en très peu de temps. Ceci étant dit, Meero n’a rien à voir. Ils ont créé un nouveau métier en contraste du métier de taxi existant avec ce que cela implique en termes de sujets administratifs et juridiques, et avec des taux horaires nettement inférieurs aux nôtres étant donnée l’expertise des utilisateurs de Meero. Nous, nous n’inventons aucun métier, on accompagne un métier existant en aidant les professionnels à améliorer leur revenu et à accélérer leur carrière. Notre revenu par photographe est passé de 38 à 51 dollars par heure en 18 mois, notamment parce que nous avons augmenté les prix et la rétrocession dans leur intérêt. En outre, nous investissons dans plusieurs autres projets totalement gratuits. Je pense par exemple à la Fondation Meero qui est en cours de création et qui a vocation à subventionner certains sujets essentiels dans le secteur, comme le photojournalisme.


Que pensez-vous des critiques sur la formation d’une bulle de la tech française ?


S’il y a une bulle, elle n’est pas chez nous car les montants levés en France sont bien inférieurs à ceux levés aux États-Unis ! Si les valorisations montent, c’est surtout parce que de plus en plus de fonds étrangers regardent la France et donc que la concurrence est plus acharnée pour prendre les tours. Les investisseurs sont prêts à investir, même sur des tours de plus en plus petits. C’est magnifique. On lit partout dans la presse que les français n’ont pas encore leur Facebook ou leur Google. Mais jusqu’à présent nous n’avions pas les fonds pour parvenir à former un tel géant. Désormais, nous allons pouvoir créer des mastodontes de la tech. Et avec un peu de chance, Meero en fera partie !

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