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Relever collectivement le défi d’une technologie responsable - Entretien avec Frédéric Mazella, France Digitale

La crise économique, née de la crise sanitaire, ne doit pas faire perdre de vue un objectif essentiel : la nécessité de privilégier une économie responsable, en particulier dans la sphère technologique. Les initiatives et les positionnements de nombreuses start-up sont autant d’exemples à suivre en la matière, selon l’analyse de Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar et coprésident de France Digitale.


Propos receuillis par Charles Ansabère


« Nous n’avons pas d’autre choix que de faire le pari d’une technologie responsable, plaide d’emblée Frédéric Mazzella, le coprésident de France Digitale. Les différentes études scientifiques qui analysent les conséquences de l’activité de l’homme sur l’environnement nous obligent collectivement à proposer des modes de développement d’entreprise autres que ceux qui avaient cours jusqu’à présent, où prédominait la rentabilité financière. C’est un sujet prioritaire pour bâtir sereinement ce que d’aucuns appellent ‘le monde d’après’. »


À l’heure de l’accélération de la digitalisation des économies, pour cause de crise sanitaire, cette conviction prend une toute nouvelle dimension. Ajuster les paramètres du logiciel de croissance des acteurs de la sphère technologique participe, plus encore qu’avant, à l’élaboration des schémas d’une économie responsable. Pour le coprésident de l’association (qui fonda BlaBlaCar, en 2006), il est évident que les entreprises à dimension technologique ne peuvent pas rester à l’écart d’une réflexion de fond sur ces questions de société, que les jeunes générations portent de plus en plus. Si tel était le cas, elles maintiendraient des positions allant à l’encontre de ce qui apparaît désormais comme une évidence.


Plus gênant encore : ces entreprises ne tiendraient pas cas des négociations que mènent en cette fin d’année les différents gouvernements européens, en écho au discours prononcé par Ursula von der Leyen sur l’état de l’Union européenne, le 16 septembre dernier. Pour la présidente de la Commission européenne, porter l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 à 55 % à l’horizon 2030 [versus 1990, ndlr] « mettrait résolument l’UE sur la voie de la neutralité climatique d’ici à 2050 et du respect de ses obligations découlant de l’accord de Paris ».


Structurer des sociétés à impact. Plus près de nous encore, le plan France Relance, dévoilé par le Premier ministre le 3 septembre dernier, s’inscrit pleinement dans cette dynamique. En mettant notamment l’accent à la fois sur la transition numérique et sur la transition écologique, le dispositif d’envergure de l’État invite aussi les dirigeants d’entreprise à apporter leur pierre à l’édifice. « Au sein de France Digitale, nous sommes convaincus de la nécessité de faire des patrons de la tech des acteurs volontaires de ce mouvement d’ensemble, voulu par les différentes instances politiques¸ poursuit Frédéric Mazzella. Dans cette optique, nous avons pris le parti de ‘montrer l’exemple’, de privilégier la carotte au bâton, afin de fédérer le plus d’initiatives possible.


À commencer, même si cela peut sembler anecdotique, en poursuivant à notre échelle un impératif zéro déchet lors de notre événement phare du France Digitale Day, le 15 septembre dernier. »


Dans la même veine, l’association milite pour faciliter la structuration de sociétés à impact dans l’univers de la tech. Tel est l’objet de la Task Force Impact, qu’elle a créée en février autour d’une trentaine de start-up et d’investisseurs soucieux de leur impact. Leur mission première : formuler des propositions pour un cadre réglementaire, juridique, fiscal et financier leur permettant de largement se développer.


Tout sauf un vernis « green tech »


Mettre en avant les belles initiatives et donner envie de suivre l’exemple, voici donc le credo de France Digitale. Loin des effets de mode, qui consisteraient à se contenter d’un vernis « green tech » dont personne ne serait dupe. Dans cet esprit, lors de la deuxième édition des Tech For Good Awards, qui s’est déroulée mi-novembre, ont été attribués six prix à des start-up qui œuvrent pour une société plus responsable :


• Prix de l’action citoyenne : EcoVadis, plateforme d’évaluation des performances RSE des fournisseurs ;


 Prix de l’éducation : Kokoroe, plateforme d’éducation en ligne ayant notamment noué un partenariat avec Pôle Emploi pour former gratuitement les demandeurs d’emploi ;


 Prix de l’environnement : EcoTree, spécialiste de la compensation carbone et de l’investissement forestier ;


 Prix de l’économie circulaire : Geev, application de dons d’objets et de denrées alimentaires entre particuliers, pour lutter contre le gaspillage ;


 Prix de la santé : Wandercraft, développeur d’un exosquelette pour permettre aux personnes paraplégiques en fauteuil roulant de remarcher ;


 Prix de la mobilité : Phoenix Mobility, inventeur d’un kit de conversion de véhicules thermiques en véhicules électriques, destiné à des garages partenaires.


« Le point commun de ces entreprises est leur caractère inspirant pour tout porteur de projet, affirme Frédéric Mazzella. Ce sont des illustrations concrètes de la capacité de la tech française à porter des valeurs fortes, qu’il nous faut absolument mettre en avant à l’échelle mondiale. » Avec, là encore, la volonté de l’association de se faire le porte-voix de ces entreprises auprès des législateurs.


Cela étant, les porteurs de projet tech doivent aussi avoir à l’esprit qu’il leur faut valoriser cette dimension éco-responsable, même si tel n’est pas l’objet premier de leur entreprise. BlaBlaCar en est l’un des exemples : créée pour proposer des solutions de transport alternatives aux offres des acteurs traditionnels, autour du concept du covoiturage, la licorne a évalué à 1,6 million de tonnes la quantité annuelle de CO2 qu’elle permet d’économiser en optimisant le remplissage des voitures sur les routes, évitant ainsi à des conducteurs d’être seul dans leur véhicule.


Un tel impact se mesure tout aussi aisément pour des start-up telles que Back Market, dont le métier consiste à reconditionner les produits électroniques pour en limiter la surconsommation, Yuka, l’application qui permet de sélectionner ses aliments en fonction de leur impact sur la santé, ou encore Ynsect, développeur de nourritures animales alternatives. Autant d’entreprises dont le succès réside dans leur aptitude à répondre aux problématiques sociétales actuelles…


Souveraineté économique. Mais ne nous y trompons pas. L’enjeu est ici autrement plus important que celui d’un lobbying, fût-il conduit de façon intelligente. Pour France Digitale, il s’agit par-dessus tout de faire en sorte que les diverses mesures de relance de l’économie instillent une dynamique dont profiteront les fleurons technologiques français, porteurs de valeurs fortes. « Ce n’est pas seulement une question d’argent à injecter dans l’économie, destinée à accroître le nombre de licornes françaises. Au contraire, il s’agit de permettre l’émergence dans l’hexagone de leaders mondiaux, à même de répondre aux besoins d’une économie soucieuse de son impact environnemental », souligne Frédéric Mazzella.


Dans l’une de ses récentes déclarations, Bruno Le Maire a donc vu juste, en rappelant les erreurs commises lors du déploiement de l’industrie des panneaux solaires, où l’essentiel des plans financiers ont conduit à importer massivement des composants fabriqués hors de l’Union européenne. Mais il faut aujourd’hui voir plus loin. S’il convient de jouer la carte de la souveraineté économique, c’est aussi parce que l’Europe a conscience qu’en matière de numérique, il faut protéger nos données. Même si nous bénéficions du règlement RGPD, nous pouvons aller vers davantage de responsabilité en matière d’utilisation des données. Sans nul doute, la tech se doit de relever un tel défi. C’est l’une de ses raisons d’être.

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