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Paprec : la métamorphose d’un chiffonnier

En vingt-cinq ans, le petit recycleur de La Courneuve aux 3 millions d’euros de chiffre d’affaires est devenu le troisième acteur français du traitement des déchets, pesant 1,5 milliard d’euros de revenus, et toujours détenu majoritairement par son fondateur Jean-Luc Petithuguenin.


C’est une « success story » comme on aimerait en raconter plus souvent pour décomplexer les ETI hexagonales vis-à-vis du fameux Mittelstand allemand : un entrepreneur visionnaire sur un secteur répondant aux défis environnementaux du XXIe siècle, une politique sociale exemplaire… et surtout une formidable histoire de croissance qui a vu Paprec multiplier son chiffre d’affaires par 430 un quart de siècle après que le jeune cadre-dirigeant de la Générale des Eaux, Jean-Luc Petithuguenin, eut claqué la porte d’une division où il chapeautait 15 000 salariés pour reprendre une PME de recyclage à la Courneuve employant 45 personnes. Du haut de ses 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2019, l’ETI compte désormais parmi les principaux acteurs des services à l’environnement, revendiquant une place de numéro 1 du recyclage des plastiques, du papier, du carton, des déchets du bâtiment ainsi que du tri de la collecte sélective des ménages, numéro 2 du recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques et numéro 3 pour les déchets verts, le bois, la biomasse et les déchets industriels banals ainsi que le recyclage des ferrailles et métaux. Pour financer cette croissance hors-norme, l’entrepreneur a ouvert son capital en minoritaire à des financiers à plusieurs reprises, tout en gardant jalousement la mainmise sur la majorité. Le dernier tour de table en 2012 est composé d’investisseurs au capital patient : Bpifrance entouré d’un pool de filiales bancaires Arkéa Capital, BNP Paribas Développement, Société Générale Capital Partenaires et CM-CIC Investissement. Pas le genre à s’immiscer dans la stratégie de conquête du groupe qui lorgne avec détermination le palier des 5 milliards d’euros de revenus.


 



Une soixantaine d’acquisitions intégrées


Justement, l’OPA de Veolia sur Suez offre de nouvelles perspectives à Paprec de jouer les consolidateurs sur fond de cession d’actifs antitrust, et l’impétueux dirigeant-fondateur n’a pas manqué de se positionner à coup de déclarations médiatiques, y compris pour la totalité de l’activité déchets de Suez en France, soit 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 18 000 personnes. Le 21 septembre, alors que la fusion était encore nimbée d’incertitudes, Jean-Luc Petithuguenin plaçait déjà ses pions : « À ce stade, ma première remarque est que le rachat possible de Suez par Veolia nous amènerait à être le numéro 2 du traitement des déchets en France. Nous serons garants que l’innovation, le caractère écologique des solutions proposées et la qualité de service restent les clés du choix des opérateurs par les collectivités et les industriels pour leur gestion des déchets », soulignait-il à l’occasion de la publication des comptes semestriels de Paprec, ajoutant « que les personnels des sociétés déjà reprises par Paprec au cours des dernières années peuvent témoigner de la qualité de management de Paprec, un groupe où il fait bon travailler. » En effet, en la matière, le spécialiste du recyclage peut afficher un bilan impressionnant avec plus d’une soixantaine d’acquisitions réalisées en un quart de siècle et plutôt bien digérées. Le plus gros morceau a été le rachat en 2016 de Coved, l’activité de déchets de la Saur, pour une valorisation d’environ 250 millions d’euros. Les 350 millions d’euros de chiffre d’affaires de la cible ont permis à Paprec de passer allègrement la barre du milliard d’euros de revenus mais surtout de se diversifier dans le service aux collectivités, point fort de Coved. Mais sur un secteur encore très atomisé, la plupart des acquisitions du groupe sont de petits « add-on », soit pour élargir son maillage territorial, soit pour s’adjoindre de nouveaux métiers comme la reprise en octobre dernier de la PME Privacia, 6 millions d’euros de chiffre d’affaires dans la collecte et le recyclage de déchets issus d’activités du secteur tertiaire. Un périmètre qui viendra compléter les activités franciliennes de sa filiale La Corbeille Bleue, qui revendique la place de premier acteur français du recyclage des déchets de bureaux en France.



Chiffres-clés


1994, année de la création du groupe.


60 % de la croissance de Paprec est interne, et 40 % provient d’acquisitions.


12 M de tonnes de déchets traités par le groupe chaque année.


1,5 Md€ de chiffre d’affaires en 2019.



Tropisme social


Qu’elles soient petites ou grosses, Paprec veille à accueillir ses acquisitions avec le plus grand soin en mettant en place un comité d’intégration ad hoc pour piloter les synergies et insuffler la culture forte de l’entreprise. Dès 2014, le groupe a adopté une charte de la diversité imposant notamment la neutralité religieuse au sein de l’entreprise et le rejet des discriminations. À la tête de 10 000 collaborateurs répartis sur plus de 210 sites en France et en Suisse, le dirigeant de Paprec s’est toujours enorgueilli de son tropisme social : les salaires les plus bas sont de 150 euros supérieurs au Smic sans les primes, et l’accent mis sur la formation permet aux collaborateurs les plus motivés de monter rapidement en compétences. Son engagement pour la promotion de la diversité et de l’inclusion se reflète même dans ses acquisitions récentes. En 2019, Paprec a racheté Résilience, une entreprise dont le but est d’insérer les personnes éloignées de l’emploi, ainsi que « Le Petit Plus », une structure de l’Économie sociale et solidaire (ESS) qui emploie 70 salariés en situation de handicap pour collecter et trier des déchets de bureau.


Habitué des trophées et des consécrations, Paprec et son médiatique patron Jean-Luc Petithuguenin ne versent pas pour autant dans le monde des bisounours. La rentabilité de l’entreprise est surveillée comme l’huile sur le feu et, avec un taux de marge brute de 13 %, elle surperforme largement les ratios du secteur. De quoi lui permettre d’encaisser sereinement la violence de la crise actuelle qui a fait baisser son activité de 40 % pendant le confinement. L’entreprise, qui a levé il y a deux ans, un milliard d’euros de financement obligataire sur les marchés, dont 800 millions en « green bonds », a tout de même contracté un PGE cet été pour 144 millions d’euros. Mais Paprec affiche une belle résistance à la crise Covid et annonce des résultats au 30 juin en amélioration par rapport à l’année précédente. En effet, la rapidité d’action du groupe a permis de compenser la baisse d’activité sur le quadrimestre. « Dotée d’un modèle économique extrêmement résilient et bénéficiant de la motivation formidable de ses collaborateurs, l’entreprise est restée agile et a su s’adapter à l’évolution rapide de la conjoncture – ne fermant aucune usine. De fait, à fin juin 2020, nos résultats financiers s’annoncent en amélioration comparativement à 2019, alors même que chez nos grands concurrents, la profitabilité a fortement baissé sur la même période », se félicitait Jean-Luc Petithuguenin dans un édito début octobre. L’entrepreneur, toujours mobilisé sur tous les fronts, a déjà préparé sa succession en nommant son fils aîné Sébastien directeur général adjoint en 2007, puis directeur général en charge de l’informatique, des divisions plastique et D3E et de La Corbeille Bleue. Ses deux autres fils font également partie du Comex, l’un en tant que directeur délégué, l’autre chapeautant la direction de la communication. La relève est donc assurée pour l’entreprise familiale…


Par Houda El Boudrari

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