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Protéger ses données face aux demandes des autorités étrangères

Les entreprises françaises agissant dans un cadre mondial font, de plus en plus régulièrement, face à des demandes de transmission de documents internes par des autorités étrangères dans le cadre d’enquêtes ou procédures juridiciaires internationales. Pour protéger la fuite d’informations sensibles, la loi de blocage de 1968 a réformée il y a deux ans. Quelles leçons en tirer ?

Entretien croisé entre Margot Sève, european counsel, cabinet Skadden Arps, et Cécile di Meglio, responsable contentieux et enquêtes, Société Générale

 

La loi de blocage a été réformée au premier trimestre 2022. Quel nouveau cadre procédural prévoit aujourd’hui le texte ?

Margot Sève : La loi de blocage formule deux interdictions aux entreprises françaises. D’abord celle de partager avec les autorités étrangères des informations sensibles pour la souveraineté de notre pays. Je pense par exemple à des plans d’une centrale nucléaire, information d’intérêt stratégique n’ayant pas vocation à être diffusée à des tiers. En dehors de cette hypothèse d’information sensible souveraine, la seconde interdiction prévoit que si l’entreprise se voit demander de livrer des informations à une autorité étrangère, elle doit le faire par le biais de traités existants. De nombreux traités ont en effet été signés avec des pays étrangers, visant à réglementer le partage de preuves dans le cadre de procédures internationales. Les entreprises qui reçoivent une demande d’information étrangère ont l’obligation de prévenir les autorités françaises. Et elles doivent désormais passer par un service interministériel, le SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques). Celui-ci a été désigné par la réforme de 2022 comme chargé d’aiguiller les entreprises sur la procédure à suivre pour transmettre des informations et, le cas échéant, pour les aider à répondre à une demande étrangère. Par exemple s’il s’agit d’une requête émanant de la SEC américaine, le SISSE indiquera que l’AMF est l’interlocuteur pertinent pour transmettre les informations demandées. Le SISSE (et parfois l’autorité française également) vérifiera bien entendu si le contenu des données à transmettre ne correspond pas à des informations sensibles souveraines.

 

L’entreprise n’est donc plus autonome dans ses relations avec les autorités étrangères ?

Cécile di Meglio : Les entreprises reçoivent de nombreuses demandes de production de documents dès lors qu’elles ont des activités à l’étranger. Le SISSE accompagne les entreprises dans ses relations avec les autorités étrangères lorsqu’elles en ont le besoin ou lorsqu’elles perçoivent une réticence de l’autorité étrangère à passer par l’entraide judiciaire. Mais c’est l’entreprise qui garde la main dans ses relations avec l’autorité. Et nous percevons l’avis de l’administration comme étant non contraignant, même si dans les faits nous mettons tout en œuvre pour nous y conformer.

Margot Sève : Le rôle de l’avocat dans ces dossiers va être d’expliquer la loi de blocage aux autorités étrangères tout en les assurant de la volonté de l’entreprise d’offrir sa coopération à l’enquête dans le respect du droit français. Un contact régulier et de qualité avec les autorités étrangères et françaises est primordial.

Quelles conséquences pratiques pour les entreprises depuis l’entrée en vigueur de la réforme?

Margot Sève : Cette réforme a entraîné des conséquences importantes sur la perception par les autorités étrangères de la loi de blocage. Jusqu’à présent, le texte de 1968, réformé en 1980, n’était pas pris très au sérieux puisqu’il n’y avait eu qu’une seule condamnation sur son fondement dans une affaire assez particulière. Les autorités la concevaient plutôt comme un argument dilatoire lorsque l’entreprise française l’invoquait pour bloquer la transmission des informations demandées. La réforme a permis d’envoyer un signal fort quant à la reconnaissance par les autorités françaises de la loi de blocage. Cela permet aux entreprises françaises de préserver leur crédibilité auprès des autorités étrangères, tout en se conformant à la loi de française.

Comment se passent vos relations avec le SISSE ?

Cécile di Meglio : Société Générale a contacté le SISSE à plusieurs reprises, plutôt pour lui signaler d’éventuelles difficultés d’invocation du traité d’entraide. Le SISSE a alors été très réactif, transmettant un courrier à l’entreprise (en français et en anglais) pour que celle-ci le transfère à l’autorité étrangère et qui rappelait l’application de la loi et la nécessité pour celle-ci de respecter les procédures.

Margot Sève : La discussion est très ouverte avec le SISSE, les échanges sont nombreux et les services très efficaces. Le rôle de l’avocat est d’obtenir un avis le plus rapidement possible, et de trouver une solution au partage d’informations. Lorsque la situation est évidente, il est parfois possible d’obtenir un avis du SISSE en quelques jours qui liera toute l’administration. Dans des situations bien plus complexes, mon expérience est que le SISSE trouve des solutions pour que l’entreprise puisse coopérer avec l’étranger sans être pénalisée, et nous avons obtenu de très bons résultats par le passé. Finalement, statistiquement, la quantité d’informations interdites à la transmission est très faible. Le SISSE ne cherche pas à bloquer les procédures, mais à accompagner les entreprises dans le respect du droit français.

Cécile Di Meglio : En matière civile et commerciale particulièrement, il est important pour les entreprises françaises de pouvoir démontrer que l’application du traité d’entraide ne va pas venir ralentir inutilement la procédure pendante à l’étranger. J’avais beaucoup insisté sur ce point lors des réflexions de place sur la réforme, c’est le gage de la crédibilité de la coopération de l’entreprise face aux autorités étrangères. Celle-ci peut se retrouver dans une situation difficile à l’égard des autorités de poursuite si elle ne produit pas les documents, et si elle les transmet directement c’est en France qu’elle connaîtra des problèmes.

Comment apprécier le caractère sensible souverain de la donnée ?

Margot Sève : Un guide Afep-Medef a été rédigé, en coopération avec le SISSE, pour aider les entreprises à déterminer les données « sensibles souveraines » susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 1 de la loi de blocage. Le document est très clair et explicatif. De manière générale, il invite les entreprises à classifier leurs données et à les stocker de manière adaptée à leur niveau de sensibilité. Il est conseillé d’éviter d’héberger des données sensibles à l’étranger : si elles sont accessibles depuis l’étranger, elles seront plus à risque d’être produites à un tiers en violation de la loi de blocage, soit par accident soit sous la contrainte. Il convient donc d’anticiper le sujet.

Cécile di Meglio : Le guide Afep-Medef s’adresse à toutes les entreprises françaises, quels que soient leur taille ou leur secteur. Ce pragmatisme et cette flexibilité est très appréciable pour les groupes qui, par principe, ont chacun des informations sensibles de natures différentes

Société Générale a classifié les documents en fonction de leur sensibilité. Une dizaine de documents internes ne pourront pas être transmis à des autorités étrangères directement et nous exigerons systématiquement de passer par des traités d’entraide.

Quels risques pour l’entreprise si elle ne respecte pas la loi de blocage ?

Margot Sève : Des sanctions pénales sont encourues : une amende et jusqu’à six mois d’emprisonnement pour les personnes physiques, et une amende pour les personnes morales avec inscription au casier judiciaire. Mais pour qu’il y ait poursuite, il faudra que le parquet soit informé d’une violation éventuelle de la loi de blocage. Cette information peut avoir plusieurs sources. Par exemple, le SISSE a récemment affirmé qu’il n’hésitait pas à effectuer un signalement au parquet en cas de soupçons de contournement.

Cécile di Meglio : Il a un temps été question d’augmenter le niveau des sanctions pénales encourues. J’y étais assez opposée au motif que le maillage de conventions internationales qui existent entre la France et d’autres juridictions ne couvre pas tous les domaines dans lesquels nous sommes susceptibles de devoir produire des documents. Il aurait été injuste pour les entreprises de risquer se faire condamner alors même que l’Etat français ne leur donne pas encore totalement les moyens de se conformer à la loi de blocage.

 

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